Lors du dernier rendez-vous dominical désormais incontournable, Ferdinand Ayité nous a dévoilé un très lourd dossier à propos de l’homme d’affaires togolais M. Daou Aklesso Jonas. Celui que le régime de Lomé 2 nous présente comme un entrepreneur à succès cache en réalité un immonde secret mêlant vraisemblablement de graves infractions pénales telles que conflits d’intérêts, prises illégales d’intérêts, trafics d’influences, violations des règles de passation des marchés publics passibles de peines d’emprisonnement et de fortes amendes si on se réfère aux dispositions du Nouveau Code pénal togolais.
Le succès commercial de celui qu’on a qualifié « le chouchou de la république » reposerait-il en réalité sur un vaste schéma de corruption, de népotisme et de favoritisme qui lui confèrent une position quasi monopolistique dans l’écosystème togolais?
I- Les faits
Le 4 novembre dernier, dans une lettre adressée à M. Ayité, M. Daou tente de se dédouaner de ses accointances avec l’ex-commissaire général de l’OTR fraîchement démis de ses fonctions, M. Philippe Tchodie.
Il argue n’être qu’un simple membre du Conseil d’administration de l’OTR disposant d’un « rôle assez marginal ». Dans un légalisme approximatif, il nie les conflits d’intérêts qui lui sont reprochés et défie le journaliste d’investigation d’apporter les preuves de ce qu’il appelle des “allégations publiques”.
Nommé membre de ce CA par décret en Conseil des ministres, il nie cependant sa qualité de président en affirmant qu’il »a pu lui arriver, comme c’est le cas dans tous les conseils d’Administration, de présider des séances en l’absence ou en vacances du président ».
Ensuite, dans un raisonnement assez surréaliste, il déclare être le fondateur de la société DIWA International SA « une entité juridiquement distincte, dotée de son propre personnel et de sa propre direction générale, et fonctionnant de manière autonome ».
Il poursuit en déclarant que cette société n’a jamais vendu de véhicules de marque MG à l’OTR et invite M. Ayité à discuter avec ses équipes s’il souhaite acquérir un modèle.
Le 9 novembre dernier, une réponse cinglante lui a été apportée et nous allons essayer une analyse des informations que nous avons reçues.
II- Analyse
2.1- Les prérogatives du Conseil d’administration de l’OTR
En prenant connaissance des dispositions de l’article 9 de la Loi n°2012-016 du 14 décembre 2012 portant création de l’OTR et de l’article 19 de la Loi du 25 mars 2025, il apparaît malhonnête de la part de M. Daou d’affirmer que le Conseil d’administration de l’OTR a un rôle marginal. D’une part, ce Conseil définit les grandes orientations stratégiques et la politique de gestion de l’OTR. D’autre part, il est chargé du rôle crucial d’évaluer la performance de l’OTR. Depuis le mois de mars 2025, un contrat de performance est même établi qui assigne des objectifs chiffrés au Commissaire général (indicateurs de performance) et l’oblige à rendre compte annuellement au CA. S’il se révèle incapable d’atteindre les objectifs fixés, il est démis de ses fonctions par le PCM sur avis du MEF (qui travaille en étroite collaboration avec le CA).
Par conséquent, le rôle du CA n’est absolument pas marginal dans la gouvernance de l’OTR. Voici la liste de quelques unes de ses prérogatives :
– Approuver la politique générale de développement de l’Office Togolais des Recettes ;
– Approuver les orientations stratégiques de l’OTR (c’est-à-dire suivre la mise en œuvre des objectifs de performance fixés à l’Office, autoriser la conclusion de conventions, accords ou partenariats d’importance stratégique, délibérer sur la création ou la suppression de directions et services, etc..) ;
– Adopter les statuts, la politique de gestion et d’investissement de l’OTR,
– Approuver les principaux outils de pilotage et de gestion, notamment : le plan d’entreprise, le code de conduite, le statut du personnel, les manuels de procédures et de gestion,
– Analyser et arrêter les budgets de l’Office et suivre l’évolution de leur exécution ( c’est-à-dire adopter le budget annuel et approuver les comptes financiers, veiller à la conformité des opérations de l’Office avec les lois et règlements en vigueur. ) ;
– Examiner et adopter le rapport annuel d’activités, les états financiers annuels, le plan opérationnel actualisé de l’Office à court et moyen termes, les indicateurs de rendement et le programme des activités et tout autre renseignement que le conseil d’administration juge nécessaire, soumis par le Commissaire général avant de les transmettre au MEF) ;
– Approuver les rémunérations du personnel et les indemnités des commissaires aux comptes ;
– Définir le plan de recrutement du personnel de direction et suivre le processus de recrutement de celui-ci ;
– Nommer des auditeurs externes chargés de contrôler les comptes de l’Office.
Quand on est sérieux et consciencieux, on ne peut affirmer que ces missions sont marginales, à moins d’être un incompétent notoire qui s’ignore.
Pour rappel, depuis le décès du Président du CA, M. Daou assure son intérim et ce, même après l’adoption de la loi du 25 mars dernier. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il se tenait aux côtés du MEF le 24 octobre dernier lors de la passation de service entre M. Tchodié et Mme Tségan. Il est donc, de fait, le PCA par intérim de l’OTR même s’il n’est pas confirmé dans sa position par un décret. Dès lors, un PCA fut-il intérimaire, qui ne prend pas la mesure de sa fonction, constitue un danger pour nos finances publiques.
2.2- Le conflit d’intérêt
M. Daou ne semble pas reconnaître la situation de conflit d’intérêt dans laquelle il se trouve du fait de son rôle de responsable d’entreprises concomittant à sa fonction d’administrateur de l’OTR. Or, ses entreprises ont été attributaires de 89 marchés publics au cours des 5 dernières années, pour un montant total de 7,1 Milliards de Fcfa.
Parmi ces marchés, on compte la vente à l’OTR, en 2022, de 15 véhicules utilitaires légers « Pick-up » 4×4 double cabine, climatisés d’origine, immatriculation en série normale, pour 239 Millions de Fcfa, et en 2019 de pneus pour 31,6 Millions de Fcfa.
On note également 4 marchés passés avec l’autorité de tutelle de l’OTR à savoir le Ministère de l’économie et des finances pour un montant total de 127,3 Millions de Fcfa.
Concernant les marchés passés par entente directe, c’est-à-dire de gré à gré, ils sont de 2,03 Milliards de Fcfa en 5 ans et comprennent des fournitures de véhicules, de bus et des bouteilles de gaz. L’entente directe est prévue pour de cas restreints lorsque le marché nécessite l’utilisation d’un brevet, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par le fournisseur, ou lorsqu’il est question de défense, de sécurité nationale ou de souveraineté, ou encore dans des cas d’extrême urgence. Des raisons techniques ou artistiques peuvent également justifier l’entente directe si aucun autre opérateur sur le marché ne peut fournir les services en question.
M. Daou brandit le caractère autonome de l’une de ses sociétés pour tenter de se défausser alors qu’il est reconnu de notoriété publique qu’il est le PDG de Diwa International SA (Cf. article Togofirst).
Nous tenons à rappeler à M. Daou que l’autonomie juridique ne veut absolument pas dire “absence de responsabilité ou d’intérêt”. Diwa international est une société anonyme qui fait partie de la catégorie des sociétés par actions. Les “actions” sont les titres et les droits que l’on obtient en contrepartie d’apports en numéraires ou en nature au capital d’une telle société. Sur le plan pratique, c’est une forme juridique qui permet aux grandes entreprises de se constituer rapidement un capital social important. Donc, la société DIWA, bien qu’autonome, dispose d’actionnaires identifiables qui répondent de ses actes. M. Daou mentionne l’existence d’une direction générale. Dès lors, il s’agit d’une société dont la gouvernance est assurée par un conseil d’administration et une direction générale.
Les membres du Conseil d’administration sont désignés parmi les actionnaires de la société et décident des orientations de la société. De plus, la loi exige que le président de ce conseil d’administration soit une personne physique. Il est fort probable qu’en tant que fondateur, M. Daou soit le président de ce CA. Les actionnaires sont responsables des actes de ladite société dans la limite de leur apport. Ils se partagent également les bénéfices de la société en fonction de leur participation au capital. Ils y ont donc un intérêt pécuniaire indéniable. La direction générale et le personnel salarié ne sont que des exécutants.
En conséquence, le caractère “autonome” de ladite société n’empêche pas la présence d’un conflit d’intérêt. Dès lors que M. Daou est officiellement fondateur et actionnaire de DIWA International SA, il y a un intérêt privé susceptible de rentrer en conflit avec un intérêt public dont il a la charge par ailleurs.
D’après l’article 134 de la Loi n°2013-002 du 21 janvier 2013 portant statut général de la fonction publique togolaise, il y a conflit d’intérêts “lorsqu’un agent public a dans une entreprise, des intérêts de nature à compromettre son indépendance”.
L’article 2 du DECRET N°2019-097/PR DU 08/07/19 portant code d’éthique et de déontologie dans la commande publique, définit le conflit d’intérêt comme toute situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L’intérêt personnel de l’agent public englobe tout avantage pour lui-même ou en faveur d’organisations avec lesquelles il a ou a eu des relations notamment d’affaires, politiques ou même religieuses. II englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l’agent public est assujetti.
D’après l’OCDE (L’Organisation de coopération et de développement économique) dont le Togo fait partie depuis le mois de mai 2019, le conflit d’intérêt s’entend de “toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction publique ou d’une responsabilité publique”.
Ces définitions du conflit d’intérêt emportent 3 éléments clés :
1. L’existence d’un intérêt public : L’agent ou le responsable agit au nom ou pour le compte de l’État, d’un établissement public, ou d’une collectivité.
2. La présence d’un intérêt privé : L’agent détient un intérêt personnel (financier, familial, professionnel ou autre) pouvant entrer en concurrence avec la mission publique.
3. L’interférence entre les deux intérêts : Cette coexistence crée une situation où l’intérêt privé peut influencer ou sembler influencer la décision publique.
Il en découle que le conflit d’intérêt ne suppose pas nécessairement un acte concret de corruption ni un avantage matériel perçu mais que le simple risque d’influence suffit à le caractériser.
Pour prévenir ce risque, des mesures préventives ont été prises à l’instar des articles 15 et 16 de la Loi (n°2012-016 du 14 décembre 2012) portant création de l’Office Togolais des Recettes. En substance, il y est prescrit qu’un membre du conseil d’administration qui a un intérêt personnel dans une affaire inscrite à l’ordre du jour du conseil, doit le signifier par écrit avant la tenue de la réunion. Il ne doit pas prendre part aux délibérations du conseil portant sur cette affaire. Le défaut de communication du conflit d’intérêt d’un membre entraîne des sanctions disciplinaires pouvant aller à sa suspension du conseil. Le président du conseil d’administration est celui qui en prend l’initiative et informe le ministre chargé des Finances.
Autrement dit, le Conseil d’administration dont la mission est de suivre l’évolution de l’exécution du budget de l’OTR ne peut ignorer le plan de passation des marchés publics (PMP) de l’OTR et donc son exécution. Il est chargé d’approuver ce plan et a par conséquent connaissance de l’objet de tous les marchés prévus au budget.
M. Daou, en tant que PCA intérimaire de fait de l’OTR, ne peut valablement ignorer l’existence du plan de passation des marchés publics de l’OTR élaboré en fin d’année N pour N+1. Donc, il lui incombait de signaler les situations de conflits d’intérêts et de rendre son tablier conformément aux articles sus cités.
S’il ne l’a pas fait et que ses entreprises se sont positionnées, ont soumissionné et gagné les marchés publics qu’il a validé alors même qu’il occupait le poste de PCA par intérim, alors il y a de fortes probabilités qu’il ait commis de façon répétée des délits d’initiés. Ces délits ont pu permettre à ses entreprises de s’emparer de ces marchés publics, entraînant ainsi la commission d’infractions de prise illégale d’intérêts.
En effet, quand le conflit d’intérêt n’est pas traité et que l’agent public use de sa position directement ou indirectement pour obtenir un marché public, on se retrouve alors dans le cadre de la prise illégale d’intérêt régie par les articles 613 à 619 du Code pénal togolais.
2.3- La prise illégale d’intérêts
En vertu de l’article 613 du Code pénal du Togo, “constitue la prise illégale d’intérêts, le fait pour une personne chargée d’une mission de service public de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte [ici : l’attribution de marchés publics], en tout ou partie, la charge d’assurer l’administration”.
L’article 614 ajoute que “Toute personne coupable de prise illégale d’intérêt est punie d’une peine d’emprisonnement d’un (01) à trois (03) an(s) et d’une amende de cinq millions (5.000.000) à vingt millions (20.000.000) de francs CFA.”
Dans un premier temps, il convient de démontrer la qualité « d’agent public » ou de “personne chargée d’une mission de service public” de M. DAOU. Au sens de l’article 586 du Code pénal : “On entend par agent public toute personne qui détient un mandat administratif, qu’elle ait été nommée ou élue à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non et quel que soit son niveau hiérarchique”.
De ses propres affirmations, M. Daou a été nommé membre du Conseil d’Administration de l’établissement public administratif (EPA) OTR, par décret pris en Conseil des ministres. Dans le cadre de cette nomination, les dispositions de l’article 9 de la loi 2012/16 portant création de l’OTR, lui confèrent des missions d’administration de l’OTR. L’article 11 de ladite loi vient préciser que les membres du conseil d’administration perçoivent des indemnités en rémunération des prestations réalisées pendant les réunions du conseil. Il s’ensuit que M. DAOU détient en tant que membre du CA de l’OTR, un mandat administratif pour lequel il est rémunéré. Dès lors, il convient de lui reconnaître la qualité d’agent public au sens de l’article 586 du Code pénal du Togo.
Dans un second temps, la consultation du fichier des contribuables de l’OTR révèle que M. DAOU est le responsable et le bénéficiaire effectif de la société DIWA International SA dont il affirme expressément être le fondateur. Il s’agit d’une société spécialisée dans la distribution de véhicules, et dans l’agro-industrie, nouvelles technologies, toutes activités de distribution d’équipements mécaniques, automobiles, agricoles, industrielles, lubrifiants et dérivés pétroliers.
Juridiquement, le bénéficiaire effectif est la personne physique associée ou actionnaire qui détient plus de 25% des droits de vote ou du capital de la société. Il s’ensuit que M. DAOU occupe non seulement un poste d’administration au sein de la société DIWA International SA mais y détient également un intérêt privé pécuniaire certain.

Galaxie de sociétés de Jonas Aklessou Daou | Infog: ACGFiP
Les révélations nous apprennent que cette société a gagné des marchés publics conclus avec l’OTR en 2019 et en 2022 pour un montant total de 271 millions de Fcfa, et avec le Ministère de l’économie et des finances pour un montant total de 127,3 Millions de Fcfa. Cela ne se limite pas à cette société puisque le patron du groupe OSEOR (Energy, Industrie, Service) préside également une galaxie d’entreprises enregistrées en son nom auprès de l’OTR (graphique ci-dessus) qui ont été attributaires – pour certaines – de marchés publics auprès d’autres administrations. Il s’agit de :
– DIWA Industries SA spécialisée dans la production industrielle et la commercialisation de gaz domestique, d’emballages métalliques et accessoires,
– DIWA Products SA spécialisée dans le commerce général, la représentation commerciale, le développement de franchise, l’investissement dans les secteurs connexes, l’agroalimentaire, la restauration rapide (fastfood) et gastronomique, l’import-export, les mini-brasseries, le développement de bars et la distribution de boissons,
– DISSI Estate & Resort SA (DER SA) spécialisée dans l’hôtellerie de luxe et la restauration,
– KAPI Consult SARL spécialisée dans le conseil en management et organisation,
– OIL & GAZ Storage (OGS) spécialisé dans le stockage de produits pétroliers et de gaz.
– Zener SA (ex-SODIGAZ) spécialisé dans l’achat, le conditionnement, le stockage et la vente de produits pétroliers et de gaz domestique et naturel, et la mise en œuvre de centres emplisseurs.
En somme, alors qu’il siégeait comme membre du Conseil d’administration de l’OTR, M. DAOU a conservé, lors de l’attribution de plusieurs marchés publics faisant intervenir l’OTR, le MEF et d’autres administrations publiques, des intérêts économiques privés dans des entreprises dont il avait la charge.
Les soupçons de délits d’initiés et de trafic d’influence sont fortement raisonnables.
L’infraction de prise illégale d’intérêts est très probablement constituée au sens des dispositions des articles 613 et suivants du Nouveau code pénal. Par conséquent, nous invitons l’ARCOP, la HAPLUCIA, et toutes les entités judiciaires compétentes à se saisir de cette affaire et à la tirer au clair. D’importantes sommes d’argent public sont en jeu.
Source: Analyse citoyenne de la gestion des finances publiques du Togo / ACGFiP

















