Dans la majorité des régimes autoritaires, notamment en Afrique, l’espace civique (cet espace de liberté où s’expriment les opinions, où s’organisent les citoyens et où s’exerce le droit de participation citoyenne à la vie publique) est de plus en plus sous attaque. Mais pourquoi tant de haine contre cet espace ? S’interrogent les acteurs de la société civile et ceux de l’opposition politique, entre autres questions : Pourquoi ces dictateurs se donnent-ils tant de mal pour contrôler, étouffer, voire anéantir l’espace civique ? Quels en sont les impacts sur nos sociétés ? Et surtout, que faire pour résister et inverser la tendance ?
Au Togo, l’espace civique est marqué depuis 2020, par de fortes restrictions qui entravent la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Ces dernières années, le régime de fait, RPT/UNIR, en place depuis l’avènement de Gnassingbé Eyadéma au pouvoir le 13 janvier 1967 lors d’un coup d’État militaire où il a renversé le président Nicolas Grunitzky, a renforcé le contrôle sur les l’armée, l’administration publique, les organisations de la société civile, les mouvements et associations estudiantines, les mouvements et associations de la diaspora, les partis politiques et les médias indépendants. Ainsi, sur les moins de 56600 km2, les manifestations publiques sont systématiquement interdites ou violemment réprimées ; les militants des droits humains, journalistes et opposants sont soumis à des arrestations arbitraires, intimidations, harcèlements judiciaires et parfois à des détentions prolongées. Plusieurs lois restrictives à savoir la Loi n° 2018- 026 du 07/12/18 sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité, la loi N°2019-009 du 12 août 2019 portant sécurité intérieure, le nouveau code pénal, le Code de la Presse et de la Communication, la loi sur le numérique…, sont utilisées pour museler les voix critiques. En dehors du cadre légal répressif, il y a la culture à outrance de la violence qui alimente la peur et pousse à l’autocensure.
La presse indépendante est fragilisée, et l’autocensure devient courante face aux pressions. Les organisations de défense des droits humains peinent à travailler librement, avec des entraves administratives, des suspensions et un climat de suspicion généralisé.
En résumé, l’espace civique au Togo est largement fermé, soumis à une surveillance étatique étroite et à une stratégie de répression préventive visant à étouffer toute voix dissonante dans un contexte de régime autoritaire consolidé.
Pourquoi alors s’attaquent-ils à l’espace civique ?
Les régimes autoritaires perçoivent l’espace civique comme une menace existentielle. L’existence d’une société civile libre, active et organisée, la présence d’une presse indépendante, ou encore la mobilisation citoyenne pour les droits, constituent des contre-pouvoirs qui limitent l’arbitraire.
Les raisons profondes incluent :
– la conservation du pouvoir à tout prix (la liberté d’expression et d’organisation facilite la dénonciation des abus, des fraudes électorales et des dérives du régime) ;
– la répression préventive (les régimes cherchent à étouffer dans l’œuf toute tentative de soulèvement ou d’organisation qui pourrait mener à des revendications de changement ou d’alternance) ;
– le contrôle de la narration (en muselant la presse et les voix indépendantes, le régime impose sa propre version des faits) ;
– la protection des intérêts privés (l’espace civique permet de révéler les scandales de corruption, le pillage des ressources et les abus d’autorité) ;
Stratégies de répression de l’espace civique
Considérée comme une menace, l’espace civique subit la loi répressive des dictateurs et prédateurs des libertés individuelles et collectives. Ceux-ci déploient des moyens sophistiqués pour détruire l’espace civique :
– la répression physique (arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, disparitions, assassinats) ;
– le cadre juridique restrictif et répressif ;
– la surveillance et l’intimidation (espionnage numérique, menaces contre les familles, harcèlement judiciaire) ;
– la délégitimation et propagande (accusations de traîtrise, de collusion avec l’étranger, ou de déstabilisation de l’État, contre les militants) ;
– l’infiltration et la division (infiltration des organisations pour semer la discorde et affaiblir les mouvements) ;
– l’empêchement des activités des organisations de la société civile, mettant en difficultés leurs relations avec leurs partenaires financiers ; l’imposition d’un système de reporting financier pour mieux contrôler les financements étrangers pour les OSC et l’imposition des restrictions bancaires…
Les conséquences de la fermeture de l’espace civique sont nombreuses et préoccupantes. On note :
– l’affaiblissement du tissu social (l’autocensure et la peur s’installent, les citoyens se replient sur eux-mêmes) ;
– le frein au développement (sans liberté d’expression ni de participation, les politiques publiques sont peu inclusives, mal orientées, et les inégalités s’accentuent. Le droit du Contrôle Citoyen de l’Action Publique est étouffé ; la corruption et l’impunité prennent de l’ampleur ;
– la montée de la violence (lorsque l’espace démocratique est fermé, les frustrations s’accumulent et les expressions s’ouvrent ou risquent de s’ouvrir sur la violence) ;
– la fuite des talents (les jeunes, les intellectuels et les leaders d’opinion fuient l’environnement répressif, provoquant une hémorragie de compétences) ;
Que faire pour y mettre fin ?
Les citoyens et les organisations de la société civile doivent s’investir sur le réseautage et la solidarité. Ils doivent créer des alliances locales, nationales et régionales pour renforcer les résistances. Ils doivent adopter l’approche d’un plaidoyer intelligent, en utilisant les cadres juridiques internationaux, les mécanismes de l’Union africaine et de la CEDEAO. Les citoyens et les organisations de la société civile doivent s’organiser pour s’engager des des innovations numériques, en exploitant les technologies pour contourner la censure, documenter et dénoncer les cas de violations des droits fondamentaux, les libertés individuelles et collectives.
Le renforcement des capacités des acteurs doit être une approche à promouvoir, par tous les moyens, afin de susciter une prise de conscience collectives. Il s’agit de former les citoyens, les jeunes et les OSC à la résilience, à la sécurité digitale, à la non-violence…
Il n’est pas question de fermer les yeux sur la Communauté internationale qui a un rôle capital à jouer, face à l’ampleur de la restriction de l’espace civique et la pandémie qu’elle constitue, ravageant l’espace, avec l’approche du copier-coller que les régimes qui se ressemblent et s’assemblent dans les organisations notamment la CEDEAO adoptent, sous un silence sépulcral de l’Union Africaine. Il s’agit pour la communauté internationale d’adopter une pression diplomatique en conditionnant l’aide au respect des droits humains. Il s’agit également de soutenir les organisations de la société civile (OSC) indépendantes et crédibles, en finançant, protégeant et accompagnant les défenseurs des droits. Il s’agit également de faire un suivi rigoureux en documentant et dénonçant systématiquement les violations.
Y mettre fin, c’est savoir militer dans un espace réprimé. C’est avoir la capacité de se définir une voie de courage et d’ingéniosité. Être militant aujourd’hui dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, c’est risquer sa liberté, sa vie parfois. Mais l’histoire enseigne que les régimes autoritaires ne résistent jamais face à une société civile organisée, résiliente et courageuse.
Ainsi donc, il convient à tous et pour tous d’adopter des stratégies souples et décentralisées, moins vulnérables à la répression, d’éduquer les citoyens à leurs droits pour qu’ils soient acteurs de leur propre libération, de préserver la mémoire des luttes pour inspirer les générations.
Y mettre fin, c’est aussi lancer un appel à la mobilisation des peuples africains.
Chers peuples d’Afrique, la dictature prospère sur et sous notre silence, notre division, notre fatigue. Chaque liberté qu’on nous enlève, c’est une part de notre avenir qu’on détruit. Le combat pour l’espace civique est un combat pour la dignité, pour la justice, pour nos enfants. Ne laissons pas les dictateurs confisquer notre avenir et hypothéquer celui des générations futures. Relevons la tête, renforçons nos luttes, unissons nos voix. Ensemble, nous pouvons briser les chaînes de l’oppression et restaurer des sociétés où la liberté, la vérité et la justice seront les piliers de la gouvernance.
Ne l’oublions jamais : « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. »
Thomas Sankara
Rodrigue Ahego
















