Le renversement du président nigérien soulève, aux yeux de l’Occident, un fois de plus, la crise de la démocratie africaine. Pour nous, Africains, il s’agit au contraire de la quête d’une identité socio-politique après l’échec du système français qui n’a pas permis de libérer les États d’Afrique francophone. En effet, ce système imposé – mais étranger à notre histoire, à nos valeurs, à nos traditions – condamne les institutions africaines, nationales et communautaires, à n’être que l’ombre d’elles-mêmes et des marionnettes guidées par l’Occident, la France en particulier : ces institutions ont perdu la confiance de leurs peuples. Elles sont rejetées, et, avec elles, leurs maîtres. La jeunesse consciente ne leur manifeste plus aucun égard. Pour la jeunesse africaine, est légitime, non pas nécessairement celui qui est issu des élections, mais celui qui est en mesure de défendre son identité, ses intérêts, ses valeurs, son indépendance et, surtout, la souveraineté politique et économique effective de l’Afrique. Il n’est donc plus nécessaire d’indiquer qu’en période de crise sécuritaire, les notions de « légitimité » et de « démocratie » n’ont pas la même signification pour les Africains et les Occidentaux. Les militaires (au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger) se font les porte-flambeaux d’une nouvelle ambition ; ils sont considérés comme porteurs d’un espoir nouveau. Tout porte à croire que ces militaires ont, en tout cas pour l’instant, la confiance de la jeunesse, étant donné que cette dernière soutient, depuis 2020, le renversement des gouvernements élus en qui elle ne se reconnaît plus.
Toutefois, il est nécessaire de ne pas perdre de vue l’objectif visé, en faisant preuve de l’arrogance occidentale qui empêche de penser contre soi, de reconnaître ses erreurs. En brandissant des étendards étrangers pour accentuer le rejet du colon français, prenons garde de ne pas choisir un autre maître dont on ne pourra pas se débarrasser en temps voulu.
En rejetant la France, ne nous jetons pas, pieds et poings liés, dans les bras d’une autre Puissance, autrement la nouvelle élite africaine incarnée par les militaires risquerait de commettre une faute politique et une erreur stratégique pour les décennies à venir. Comme le dirait Charles de Gaulle, « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », il faut se rendre à l’évidence que la Russie n’est pas l’amie de l’Afrique tout comme la France ne l’a jamais été. Des années de guerre au Sahel (2012-2022) ont montré que la France, grande puissance militaire, n’a pas vaincu les terroristes. Loin de là, il y a au contraire un foisonnement d’individus malveillants et mieux organisés ! De deux choses l’une : ou bien elle n’a guère eu l’intention d’éliminer le terrorisme, ou bien elle n’est une puissance militaire que de nom. La conclusion s’impose d’elle-même. Ne nous leurrons pas : la Russie ne fera pas mieux, si nous ne prenons pas notre destin en main ! Ne laissons pas les Russes nous imposer, comme la France, nos dirigeants, bien que ce risque soit déjà patent en République centrafricaine.
Nous devons dès lors agir avec méthode et stratégie. Reconnaissons que nous ne pouvons pas facilement sortir du giron étranger, celui français en particulier, nous ne pouvons vaincre les terroristes si nous ne nous donnons pas nous-mêmes quelques moyens : moyens humains, technologiques et stratégiques en particulier.
Moyens humains d’abord. Il est étonnant qu’à plus de 60 ans d’indépendance, les États africains ne disposent pas d’une armée de qualité et bien équipée. Sur ce point, il n’appartient à aucun pays étranger de le faire à notre place. D’ailleurs, ils n’ont aucun intérêt à le faire, autrement à quoi serviraient leurs bases militaires sur nos territoires ? Nous ne devons compter que sur nos propres forces pour nous défendre. Où sont nos militaires diplômés de prestigieuses académies militaires occidentales ? N’ont-ils pas les compétences pour former, depuis le début des années 2010, une armée efficace pour lutter contre les terroristes dispersés dans le désert ? Avons-nous encore besoin de milliers de formateurs étrangers ? Là encore : de deux choses l’une : ou bien l’Occident n’a pas donné une formation de qualité à nos élèves-militaires de sorte à pouvoir agir tout seuls, ou bien nos officiers souffrent d’une déficience …. Reconnaissons que ce défaut n’est pas une faute de la France : il en va de notre responsabilité. La France n’est pas la seule ou LA responsable de nos maux. Nous avons le choix et la liberté de changer d’académies militaires pour nos élèves-officiers ou bien d’en créer dans nos pays.
Moyens technologiques ensuite. Sans moyens technologiques, nous dépendrons toujours de l’occident et c’est à son rythme que nous perdrons ou vaincrons la lutte contre le terrorisme et contre toutes nos menaces. Conquérir l’espace est un enjeu de souveraineté. Il est plus que temps de penser à mettre nos propres satellites en orbite.
Concernant les équipements militaires, nous devons varier nos partenaires pour équiper nos armées. Sur ce point, le Mali aurait choisi la bonne voie. Il faut l’y encourager et le prendre pour un modèle.
Apprenons également à développer des techniques agro-alimentaires pour mettre en valeur nos terres arables afin d’éviter des dépendances vis-à-vis des puissances étrangères. L’Afrique est manipulée dans le présent conflit russo-ukrainien qui ne nous concerne pas : en réalité, nous ne devons pas avoir besoin du blé étranger pour nourrir nos populations. D’ailleurs, combien de personnes consomment le blé russe ou ukrainien en Afrique subsaharienne ? Il est souhaitable et nécessaire de créer des centres d’études agro-alimentaires pour proposer des solutions et des cultures adaptées à notre climat. Il serait également utile pour l’Afrique subsaharienne de s’insérer dans les chaines de valeur agricoles pour une transformation économique durable.
Moyens stratégiques enfin. Le déroulement du coup d’État au Niger révèle un action passionnée, qui manque une préparation en amont. Ce coup d’État n’impose pas le respect : ce n’est pas après qu’il faut rechercher le soutien des autres factions de l’armée. C’est un travail qui doit être effectué en amont. Il nous faut de bonnes stratégies avant d’agir : nos futures actions doivent être solidement préparées et anticipées. Il nous faut une politique de planification.
Qu’on nous lise bien : Il est sain de reléguer la France à un niveau de simple partenaire parmi tant d’autres. Il est également sain de sortir de la domination d’une puissance coloniale nocive, mais il faut le faire avec méthode. Dans le cas contraire, l’Afrique risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Sortir de la Françafrique dans laquelle on est empêtrés de force pour créer, de plein gré, un nouveau monstre, tel celui de Frankenstein : la Russafrique ! Tel est le danger qui nous guette. Brandir l’étendard (le drapeau) russe en signe de protestation contre celui français empêche de penser nos erreurs commises dans le passé avec l’Occident, et celles à éviter dans nos rapports avec la Russie. Il empêche également, d’une certaine manière, la réflexion sur l’émergence d’une stratégie africaine durable. Lorsque la Russie aura déçu nos espoirs, vers qui irions-nous ?
Élaborons de profondes stratégies pour notre liberté. Ensuite, n’élevons que nos seuls étendards nationaux !
Le risque est grand, en matière de politique et de géopolitique, de prendre des mesures improvisées, faute d’un diagnostic sûr et approfondi, ainsi que de perspectives. La porte est ainsi ouverte à une folie d’actions mal mûries et de manipulations desquelles pourraient résulter maintes crises.
HKE