Des militaires qui agressent des gardes forestiers. La scène s’est passée au poste de contrôle de Davié, le 10 octobre dernier. En réaction, le ministre en charge de l’Environnement promet une punition aux auteurs des violences. Dans un pays qui garantit l’impunité aux forces de défense et de sécurité, difficile de croire que cette promesse puisse être tenue.
Le 10 octobre 2019, l’opinion a été alertée par les violences d’un groupe de militaires sur les gardes forestiers. En voulant inspecter un véhicule de militaires rempli de produits forestiers, les agents des eaux et forêts positionnés au poste de contrôle de Davié ont été sérieusement violentés. Ils s’en sont sortis avec de nombreuses blessures.
Quelques jours après, le Prof. David Oladokoun, ministre de l’Environnement, du Développement durable et de la Protection de la nature s’est rendu auprès des victimes pour leur apporter « la compassion et le réconfort du gouvernement ». Selon un compte-rendu publié sur le site internet dudit ministère, le Prof. Oladokoun a remercié les forestiers pour le calme observé et les a exhortés à toujours travailler conformément aux textes en vigueur. « Vous avez de la dignité. Vous êtes là pour protéger ce qu’il y a de plus noble : la nature. Soyez-en fiers. Vous devez redoubler de vigilance dans votre travail », a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « Si nous sommes là tôt ce matin, c’est pour vous rassurer que vous n’êtes pas seuls, nous sommes derrière vous et vous avez notre soutien ».
Selon le site du ministère, « le rapport de ce triste évènement est transmis à qui de droit. Les auteurs et commanditaires seront retrouvés et punis, selon la loi de la République togolaise ». Une bonne nouvelle pour ces victimes, même si des doutes subsistent quant aux conclusions du fameux rapport. Au Togo des Gnassingbé, les enquêtes aboutissent rarement, encore moins quand les faits impliquent des éléments des forces de défense et de sécurité.
Les conséquences de l’impunité garantie
En réalité, l’aisance avec laquelle les militaires ont attaqué des corps habillés comme eux traduit une situation inquiétante que les Togolais vivent depuis des décennies. S’ils en sont venus à faire usage de la violence sur les forestiers, c’est parce que depuis longtemps, militaires, mais aussi gendarmes et policiers ont toujours joui d’une impunité insolente face aux crimes qu’ils commettent. De l’assassinat des élèves à Dapaong aux manifestants aux mains nues à Lomé en passant par les populations de Mango résistant au projet de restauration de la faune et les militants de l’opposition de Sokodé décidés à rompre d’avec la dictature des Gnassingbé, les corps habillés n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires. Après chaque épisode de violence, le ministre de la Sécurité fait son apparition à la télévision nationale et promet des enquêtes qu’il ne prend pas soin de faire aboutir.
Plus grave, les violences militaires ont été tellement ignorées et minimisées par les autorités togolaises que les auteurs ont fini par avoir l’impression que ces bavures n’ont jamais eu lieu. Le simple fait de savoir qu’ils ont des soutiens et qu’au Togo, le militaire n’est jamais puni pour avoir exercé de la violence sur son compatriote, encourage à commettre des abus.
Parfois même, ils sont protégés et déclarés innocents avant même l’ouverture des enquêtes. C’est ce qu’a fait le ministre de la Sécurité et de la Protection civile dans l’affaire des présumés braqueurs abattus par le GIPN dans la zone portuaire. Alors que deux enquêtes ont été ouvertes, l’une par la Police et l’autre par la CNDH, pour faire la lumière sur ce drame, Yark Damehame a mené une campagne médiatique pour menacer ceux qui soutiennent les familles des victimes et déclarer innocents les éléments de la Police impliqués dans le décès des présumés braqueurs. Pour lui, ses éléments sont innocents et c’est tout. Pas besoin de mener des investigations.
Plus choquant, ceux qui sont réputés les plus violents sont promus par le chef de l’Etat et placés à la tête d’institutions, en guise de récompense. De pareilles actions ne font que renforcer la conviction des forces de défense et de sécurité qu’elles sont protégées et intouchables.
Il n’est donc pas inutile de se demander si les promesses du ministre Oladokoun seront tenues. Pourra-t-il faire condamner, une fois dans l’histoire du Togo, des militaires pour violence ? S’il réussit dans cette entreprise, ce serait une première. Dans le cas contraire, l’indignation qu’il a exprimée devant les gardes forestiers ne serait que pure hypocrisie.
G.A.
source : Liberté