« Seuls vivent les morts dont on chante le nom. »
L. S. Senghor
Voici 29 ans que la dictature togolaise a armé des bras pour te ravir à notre affection. Camarade Tavio, le MO5 demeure orphelin de ta tragique disparition; mais tu sais bien que la mort est un commencement. Figure majestueuse de la jeunesse, tu ne seras jamais oublié! Hier comme aujourd’hui, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour te rendre hommage, toi qui as donné le nom MO5 à notre Mouvement.
Qu’il nous soit permis de reprendre ici comme un témoignage, l’hommage que Monseigneur Dovi Ndanu t’a rendu il y a déjà quelques années:
« Précieuse est la mort qui achète la vie au prix du sang versé! »
« Mon cher Tavio, permets à ton ancien Directeur et professeur du collège Saint Joseph d’apporter son joyau à la couronne de gloire qui ceint désormais ta tête comme un glorieux jeune martyr de la démocratie naissante togolaise.
Dans les années 1971-1977, tu étais déjà un garçon décidé, très brillant qui avait de la rigueur dans le travail où transparaissait un sens de responsabilité en éclosion. Il y a des années et des promotions dans la vie d’un collège qui font resplendir son image de marque, dorent les blasons et font grand honneur à l’établissement. Je pense à cette illustre promotion de l’année 1976-1977 et en particulier cette classe de Terminale C où tu brillais comme une étoile parmi d’autres, et où se sont donnés comme rendez-vous des génies en herbe pour ainsi dire. Et je me souviens par ailleurs de ces cours de catéchèse où tu montrais ton culte de la vérité, ton sens élevé de la liberté et ton respect de l’autre en tant qu’autre. Cela ne m’avait donc pas surpris de te savoir admis dans les Grandes écoles des ponts et chaussées et d’autres études de hauts niveaux. Ton esprit imaginatif et inventif t’a permis d’avoir beaucoup de cordes à ton arc. Tu as démontré ta culture socio-politique, juridique et économique à la Conférence Nationale Souveraine.
Oui, c’est à la Conférence Nationale Souveraine que tu t’es fait distinguer et personne ne se trompait sur ton avenir radieux. Tes interventions intelligentes et pertinentes, d’une vigueur et d’une rigueur secouaient tout le monde dans la salle Fazao. Tes analyses d’une acuité extraordinaire et tes diagnostics sans complaisance sidéraient tout le monde. On a beau te classer dans les rangs des dits « extrémistes », mais force était de reconnaître que tu n’étais pas de ceux qui se sont salis les mains et que tu voulais la vérité et rien que la vérité. On sentait dans tes propos cet amour du peuple Africain, de ton peuple Togolais et tu lui voulais un lendemain meilleur, mais planifié, dépouillé de toute compromission ; un lendemain fait de justice, de vérité, d’amour et de paix véritable.
Je me souviens ! Dans la salle Fazao, à la sortie d’une des premières assises, tu me rencontras dans les couloirs et entre deux pauses ; et tu me dis : « père Directeur, me reconnaissez-vous ? C’est vous qui avez fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui ». Mon humilité de Directeur et de professeur de collège en avait pris un coup. Mais j’étais fier ! Fier de toi !
Oui je t’ai reconnu dans ton dévouement courageux et généreux sans détour. Jeune homme tout d’une pièce, et qui ne fait rien à moitié. Jeune homme convaincu de la noblesse de la cause qu’il défend : tu voulais un Togo nouveau, prospère, vraiment démocratique d’une démocratie authentique. Tu souffrais de ce que des gens maîtrisaient mal ce qu’ils disaient et faisaient. Tu veux que tous les aspects de ce renouveau togolais soient bien cernés et dans toutes les dimensions. Tu me confias un matin, deux semaines avant l’attentat qui t’a coûté la vie, dans la salle du palais des Congrès, ton désaveu de ce que certaines discussions au HCR accusaient trop du juridisme et ne tenaient pas assez compte des aspects politiques.
Ta détermination pour l’accouchement d’une vraie démocratie sans bavure au Togo, va coûter le sacrifice de ta vie. De tout ton être, de toute ton âme, de toutes tes forces tu t’es plongé dans cette fièvre de la démocratie qui a fini par te consumer. Ce jeudi 23 juillet 1992, cette nuit là-même, j’étais en train de donner une causerie sur notre Conférence Nationale Souveraine aux moines Bénédictins dans leur Couvent à Encalcat dans le Sud de la France à Tarn. A cette heure là-même, tu tombais sous les balles scélérates de ton lâche et pervers assassin.
Tavio, tu as vécu comme quelqu’un qui ne voulait rien, n’attendait rien, n’aspirait à rien que la liberté pour le Togo, une liberté génératrice de paix et de prospérité. Tavio, tu rejoins la phalange de ceux qui ont versé leur sang pour que le processus démocratique aboutisse au Togo. Sur ce fond de nobles témoins, ta figure se révèle éminente de jeunesse et d’avenir. En toi nous saisissons l’âpre secret du grain qui meurt, le sang versé, l’amour vainqueur, et cette croix qui nous relève.
« Si l’espérance t’a fait marcher
Plus loin que ta peur,
Tu auras les yeux levés.
Alors tu pourras tenir
Jusqu’au soleil de Dieu »
« Heureux qui donne sans compter
Jusqu’à sa propre chair !
Il trouve en Dieu sa liberté,
Visage découvert. »
Adieu Tavio, tu pousseras comme un grain de sénevé !
Mgr Dovi Ndanu »
Bruxelles, 23 juillet 2021.
Eloi Koussawo, MO5