Interviewé par le site d’information letabloidtogo.info, le Directeur de piblication du bihebdomadaire « L’Alternative » s’exprime sur les révélations consortium Forbidden Stories. Des révélations selon lesquelles les numéros de certains journalistes, dont lui-même, sont ciblés par le logiciel d’espionnage Pegasus. Nous vous proposons la première partie de cette interview qu’il a accordée au Tabloidtogo.info.
Vous êtes cité parmi les journalistes espionnés au PEGASUS au Togo. Comment réagissez-vous à cette information ?
J’ai été informé quelque temps avant les premières publications de l’enquête, parce que le consortium qui la mène – Forbidden Stories, Ndlr – avec Amnesty International, avait besoin de vérifier un certain nombre de choses et il fallait contacter directement les concernés. Mais il faut quand même dire que je savais que depuis longtemps, ça tournait autour de moi, de mon téléphone. Il ne faut pas être naïf, on sait qu’on est suivi depuis longtemps ; mais on ne savait pas que c’était avec PEGASUS.
Comment cet espionnage se manifeste-t-il dans vos communications ?
En manipulant votre téléphone, vous vous rendez compte que vous n’êtes pas seul à l’utiliser. Parfois, en faisant des appels, vous avez des bruits, des interférences, des bruits bizarres, des grésillements. Vous appelez quelqu’un, c’est une autre personne qui décroche au bout du fil ; et pourtant, vous connaissez très bien le numéro que vous appelez. Il y a des moments où le téléphone se plante de lui-même, vous le rallumez, ça travaille un peu et ça se replante. Il y a plusieurs signes qui démontrent que vous n’êtes pas le seul propriétaire du téléphone, qu’il y a des gens derrière. Vous remarquez aussi sur les réseaux sociaux que parfois, il y a des choses qui se font en votre nom. Vous sentez que quelqu’un a manipulé quelque chose derrière vous. Donc il y a plusieurs aspects qui traduisent la manifestation de ce système-là.
Maintenant depuis que vous êtes informé, avez-vous pris des dispositions particulières pour contourner cela ?
On prend toujours des mesures, surtout lorsqu’on travaille comme journaliste d’investigation. Il y a toute une formation qu’on reçoit sur comment protéger ses communications, ses mails, ses documents, ses informations, ses sources. Donc nous ne sommes pas quand même des novices en la matière, nous vivons en permanence sous cette surveillance et nous aussi nous développons des attitudes de résilience. Ce n’est pas à la sortie des révélations qu’on change de méthode. Nous savons très bien que nous travaillons sous surveillance depuis des années et donc la garde est permanente.
Vous êtes visiblement surpris de figurer dans cette liste. Le journaliste est-il synonyme de terrorisme ?
Effectivement nous sommes parmi les journalistes sectionnés, puis ciblés par le logiciel PEGASUS. Nous ne sommes pas surpris par rapport au travail que nous faisons et à la sensibilité des sujets qu’on aborde. Mais on est juste surpris d’être considéré comme des terroristes parce que l’objectif officiel des Etats qui acquièrent ces genres de matériels, c’est de dire qu’ils veulent lutter contre le terrorisme. Maintenant si on met des journalistes sur la liste des terroristes à écouter, vous comprenez qu’au Togo, on assimile le journalisme au terrorisme. C’est quand même bien dommage. Mais bon, c’est le Togo.
Qu’avez-vous à vous reprocher au point d’être ciblé par un logiciel aussi sophistiqué ?
Je ne sais pas ce qu’on me reproche. Moi je fais mon travail de journaliste, je ne sais pas si je suis devenu Will Smith, dans (le film) Ennemi d’Etat. Je ne mène pas d’autres activités que le journalisme. Ceux qui sont en train de nous espionner, c’est-à-dire ceux qui ont acquis dans ce pays le logiciel PEGASUS pour infecter les téléphones des gens, c’est à eux qu’il faut poser la question. Ils sont les seuls à savoir ce qu’ils sont en train de rechercher.
Des journalistes français victimes ont porté plainte. Une telle action de Ferdinand Ayité est-elle possible au Togo ?
C’est vrai qu’en France et dans d’autres pays, ils ont une justice plus ou moins indépendante et rapidement, les gens peuvent la saisir. On voit bien qu’en France, le parquet vient d’ouvrir une enquête. Mais chez nous en Afrique ou dans certains pays, c’est encore plus compliqué…Mais il y a une réflexion qui est en cours avec les organisations de défense de la presse, les consortiums auxquels nous appartenons, les comités de protection des journalistes, et je pense que ça concerne l’ensemble de tous ceux qui ont été cités. Au bout de cette réflexion, on verra s’il y a une action commune à mener auprès de certaines juridictions, surtout pour demander que cesse l’utilisation de ce logiciel malveillant pour espionner les journalistes, les hommes politiques et les acteurs de la société civile. Donc c’est toute une réflexion d’ensemble qui est en cours et dès qu’elle aura abouti à quelque chose, vous serez informés.