C’était une promesse faite en février-mars 2012 au cours de la campagne électorale, de réduire son mandat. Le président sénégalais Macky Sall vient (presque) de joindre l’acte à la parole, en faisant tailler un projet de loi à cette fin. La particularité, la modification si adoptée par le peuple au cours d’un référendum, devrait être d’application immédiate. Une initiative qui constitue un cinglant désaveu à son frère et ami togolais et à ses « avocats du diable ».
Macky Sall réduit son mandat en cours
« La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Cette disposition s’applique au mandat en cours. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Cet article ne peut faire l’objet de révision ». Voilà la nouvelle mouture de l’article 27 de la Constitution du Sénégal inscrite dans le projet de loi adopté portant révision de la Loi fondamentale. La substance de ce projet qui se veut de « consolidation de la démocratie » a été rendue publique dimanche soir par la présidence de la République. Le texte comporte 22 articles et ambitionne de « renforcer les acquis démocratiques du pays ».
Le projet statue par ailleurs sur l’âge des postulants à la magistrature suprême. « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle », ainsi est reformulé l’article 28. Le projet devra être soumis à l’appréciation des Sénégalais à travers un référendum envisagé en mai 2016.
C’était une promesse faite entre les deux tours de l’élection présidentielle de février-mars 2012, alors qu’il était encore en campagne pour se faire élire à la présidence de la République en remplacement d’Abdoulaye Wade. Macky Sall s’engageait en effet à ramener le mandat présidentiel d’un septennat à un quinquennat, conformément aux recommandations des Assises nationales, séries de rencontres politico-citoyennes organisées par la société civile et l’opposition entre le 1er juin 2008 et le 24 mai 2009. La particularité était surtout qu’il voulait faire appliquer immédiatement cette modification à son mandat en cours.
Chemin faisant, une polémique était née et beaucoup d’acteurs politiques ou de citoyens ont commencé à douter de sa bonne foi à respecter sa parole, bien qu’il ait réitéré à plusieurs reprises sa volonté de s’y conformer. «J’ai été élu pour 7 ans. J’ai déjà engagé les réformes constitutionnelles et il y a déjà une commission que j’ai confiée au président Amadou Makhtar Mbow qui est en train de travailler sur la question. Cette commission me soumettra des propositions, parmi lesquelles la première mesure sera la réduction du mandat en cours de 7 à 5 ans», avait déclaré début mars 2013 le président sénégalais, en marge d’une visite en France. Les gens continuaient à douter, surtout qu’au sein même de son propre parti, des cadres s’opposaient à cette réforme. Mais ce projet de loi rendu public a le mérite de rassurer sur la bonne foi de Macky Sall à respecter sa parole donnée. Reste au Conseil constitutionnel d’apprécier et au peuple de l’adopter par référendum.
Faure Gnassingbé une fois de plus désavoué
Cette sortie de Macky Sall devrait mettre fin au débat. Mais la polémique est loin d’être close. Si pour des observateurs, ce projet de loi a le mérite de prendre de court ses partisans qui, ayant sans doute pris le goût au pouvoir, semblaient ramer à contre-courant de sa promesse électorale, il alimente toujours le débat au sein de l’opinion politique sénégalaise. Des cadres de sa formation, l’Alliance pour la République (Apr) maugréaient depuis longtemps. Pour certains, Macky Sall a promis de respecter la Constitution, et la modifier est une forme de violation. On craignait et continue toujours de redouter que des cadres du parti n’appellent même en sourdine à voter contre son projet en cas de référendum. Au sein de l’opposition, on reproche au président d’avoir fait un package de loi.
Loin de cette polémique politicienne, l’acte posé par Macky Sall a une portée au-delà des frontières du Sénégal. En tant que président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), c’est un bon exemple qu’il donne à ses pairs réfractaires à la démocratie et assoiffés de pouvoir, un message de guide.
Et s’il y a un de ses homologues qui doit être atteint psychologiquement par cette initiative, c’est bien Faure Gnassingbé du Togo, lui qui ne compose nullement avec limitation du mandat présidentiel jusqu’à prétendre envisager une réduction de sa durée. Faure Gnassingbé s’est résolument opposé aux réformes constitutionnelles et institutionnelles recommandées par l’Accord politique global (Apg) du 20 août 2006, au point de faire échouer toutes les initiatives prises dans ce sens – le projet de loi portant réforme constitutionnelle adopté par le gouvernement a été rejeté par les députés de son propre parti en juin 2014, la proposition de l’opposition parlementaire aussi – et a pris prétexte sur la Constitution tripatouillée par son défunt père en décembre 2002 qui a sauté le verrou de la limitation pour déposer sa candidature à l’élection présidentielle du 25 avril 2015 et ainsi briguer un 3e mandat successif au pouvoir.
N’envisageant pour rien au monde quitter le pouvoir, il s’est affiché lors du 47e sommet de la Cedeao à Accra au Ghana en refusant d’avaliser, avec son homologue gambien Yayah Jammeh, le protocole visant à harmoniser les limitations de mandat présidentiel à deux au sein de l’espace communautaire. Cette initiative de Macky Sall est un nième désaveu pour Faure Gnassingbé qui tire résolument vers le bas la Cedeao où on enregistre des avancées démocratiques comme au Burkina Faso, au Nigeria, au Sénégal, entre autres, et de bons exemples de démocrates ou de chefs d’Etat respectueux de la démocratie et du principe d’alternance comme Boni Yayi et compagnie.
Les « avocats du diable » de Lomé servis
Au-delà de la personne de Faure Gnassingbé, l’initiative de Macky Sall cloue le bec à ses défenseurs, ceux que l’on pouvait appeler les « avocats du diable ». On se rappelle en effet qu’en amont de l’élection présidentielle du 25 avril 2015, lorsque le débat de l’application d’une éventuelle modification de la Constitution s’était posé, les « vuvuzélas » (griots) du pouvoir dans la corporation étaient montés au créneau pour crier sur tous les toits, et de façon générique, que la loi n’est pas rétroactive – personne ne l’a dit dans cette polémique sur la réforme constitutionnelle, on réclamait plutôt l’application immédiate – et personnelle, une façon de dire qu’on ne doit pas tailler une réforme pour écarter leur sponsor officiel Faure Gnassingbé.
On se rappelle surtout les prestations de l’un de ces griots qui, avec quelques mois de cours sur l’introduction à l’étude du Droit dans une école supérieure, en fait un raccourci pour rattraper son retard notoire après quelques années infructueuses en diplômes au campus universitaire de Lomé – suivez juste les regards, s’est cru un érudit au point de faire la leçon aux professeurs de Droit constitutionnel.
Si on pouvait comprendre ces « vuvuzélas » de Faure Gnasingbé qui en fait défendaient leur « manger manger », le plus désolant était les prestations des « monuments des questions juridiques au Togo », pseudo intellectuels qui devraient éclairer l’opinion. Mais ils s’étaient plutôt employés à embrouiller davantage les Togolais en faisant de la fixation sur la rétroactivité de la loi – qu’aucun leader de l’opposition n’avait d’ailleurs évoquée dans ce débat précis. On fait particulièrement allusion au Professeur agrégé de Droit, Dodzi Kokoroko. « Scientifiquement, la rétroactivité de la loi constitutionnelle brandie par une partie de l’opposition ne tient pas débout, sauf à m’apporter des arguments contraires solides (…) Il va sans dire que juridiquement, la rétroactivité ne pourra s’appliquer à une éventuelle réforme, et de surcroît, toute loi reste impersonnelle, sauf à innover en la matière », avait-il dardé, et de verser dans des démonstrations alambiquées pour finir par relever son côté « FAUREphile » : « Le rapport de force n’est pas aujourd’hui à l’avantage de l’opposition politique (…) Au surplus, Faure Gnassingbé pouvait encore satisfaire à cette demande politique de sa propre initiative ».
Sur cette polémique, Zeus Ajavon avait mis en avant ses compétences de Professeur de Droit constitutionnel pour relever que la Loi constitutionnelle est d’application immédiate. Il était suivi par son collègue Komi Wolou, Professeur agrégé de Droit et par ailleurs Coordonnateur adjoint du Collectif « Sauvons le Togo » qui avait particulièrement réservé une réponse sèche à Dodzi Kokoroko. Aujourd’hui avec la proposition de Macky Sall qui inscrit noir sur blanc que le projet de loi sera appliqué à son mandat en cours, les « monuments du Droit » au Togo et autres griots du Prince sont servis.
Source : [22/01/2016] Tino Kossi, Liberté