Jean Degli, ancien Ministre et Porte-parole du Gouvernement de la Transition du Premier Ministre Me Joseph Kokou Koffigoh, Président du Mouvement « Bâtir le Togo », n ‘est pas resté en marge du sujet qui secoue l’actualité togolaise depuis quelques semaines : la modification de la constitution.
Dans une réflexion qu’il a rendu publique, Jean Degli évoque les véritables enjeux de ce changement de régime semi-présidentiel au régime parlementaire.
Depuis quelques jours le monde politique togolais semble en ébullition relativement à une histoire de révision constitutionnelle. Alors que jusque-là l’information semblait assez discrète, l’affaire a commencé brusquement à faire grand bruit et a même été évoquée sur Radio France Internationale par le Président de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) le samedi 16 mars 2024.
Des informations qui circulent, il semble en effet que le pouvoir, fort de sa majorité qui frise l’unanimité à l’Assemblée Nationale a décidé de procéder à une révision constitutionnelle en changeant totalement de régime, passant du régime semi présidentiel à la française dans lequel nous sommes actuellement à un régime parlementaire comme en Allemagne, en Israël ou en Italie. Selon RFI, cette révision constitutionnelle serait présentée comme un toilettage de la constitution, ce qui étonne vu l’ampleur de la modification.
Sans chercher à entrer à ce stade ni dans des analyses sur les origines et les tenants et aboutissants d’un régime parlementaire, ni dans une étude de ce nouveau projet de révision constitutionnelle[1] dont nous venons juste de prendre connaissance au moment où nous bouclions ce texte et qui modifie de fond en comble le paysage constitutionnel togolais à certains égards, il y a lieu ici simplement de lever rapidement toute équivoque et de révéler les véritables enjeux que recèle un tel changement de régime. Pour ce faire, il faut essayer d’abord de se pencher sur les raisons officielles évoquées et les soupçons de l’opposition (I) avant de parler des enjeux réels d’un tel processus (II) et de discuter du caractère anecdotique de l’approche adoptée (III).
Ce texte ayant une visée essentiellement didactique ou pédagogique nous nous excusons d’avance pour les éventuelles répétitions.
(Il faut attirer l’attention sur le fait que contrairement à la Constitution de 1992, ce projet n’incorpore pas les droits de l’Homme dans la Constitution. Les Droits et devoirs sont insérés dans une déclaration annexée au texte de la constitution et intitulée « Déclaration Solennelle des droits et devoirs fondamentaux annexée jointe à la Constitution ». Ceci diminue le caractère contraignant de l’obligation de respecter ces droits puisqu’ils n’ont plus valeur et force constitutionnelles directes comme dans la Constitution de 1992. C’est là un recul grave sur le plan des droits humains).
I- Les Raisons Evoquées et les Soupçons
Selon les indiscrétions, le changement de régime est une proposition faite par le régime dans le cadre du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation Politique (CPDC). Les discussions sur cette proposition faite par le pouvoir n’avaient pas abouti à l’époque. L’argument avancé à cette époque par le pouvoir serait que le régime parlementaire est plus moderne et serait donc plus à même de répondre au caractère moderne de notre pays ainsi qu’à la volonté de sa jeunesse.
Cet argument ne semble pas avoir convaincu l’opposition puisque selon le Président de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) les véritables raisons cachées derrière un tel processus seraient simplement une volonté de s’éterniser au pouvoir en passant par un « changement de république » ou « l’entrée dans une nouvelle république »,[2] la mise de compteur des mandats de l’actuel président de la République à zéro du fait du changement de régime et la possibilité pour ce dernier de briguer de nouveaux mandats et donc de se faire réélire ad vitam aeternam.
Si dans une certaine mesure les arguments évoqués par le leader de l’ANC peuvent être considérés comme justes, les choses ne se résument pas à une caricature aussi simple. Il faut aller encore plus loin et chercher les véritables enjeux qui se cachent derrière ce changement de régime politique.
II- Les Vrais Enjeux Derrière le Choix du Régime Parlementaire et des Titres
Pour se pérenniser au pouvoir, le président de la République togolaise n’a pas besoin de changement de régime. Il lui suffit en réalité de faire comme cela l’a toujours été dans notre pays et comme cela l’a été dans les pays africains : changer la constitution dans le cadre du même régime (semi présidentiel qui est le nôtre actuellement) et remettre donc les compteurs à zéro en se fondant sur le fait qu’on a changé de république. Dans ces conditions, pourquoi alors changer de régime et surtout passer du régime semi présidentiel, non pas à un régime présidentiel (qui est le plus adapté à la conception du pouvoir en Afrique) mais plutôt au régime parlementaire ?
Nous n’entrerons pas dans les considérations juridico-constitutionnelles relatives aux différentes formes de régimes parlementaires (moniste ou dualiste), ni du nombre des chambres (parlement seul ou parlement et sénat). Il faut juste indiquer les raisons que cache ce prétendu toilettage de la constitution en terme d’alternance politique (A) et de réel changement avec le choix des titres (B).
A- La Mise en Berne de la Question de Limitation des Mandats et d’Alternance Politique
Il faut simplement indiquer que l’engouement pour un régime parlementaire a pour fondement principal le fait que dans un tel régime, il n’y a pas de LIMITATION DES MANDATS pour celui qui exerce effectivement les fonctions de chef de l’exécutif ou mieux, celui qui détient la réalité du pouvoir exécutif. Il n’y a pas de limitation de mandats ni en terme de mandats successifs, ni en terme de la totalité des mandats. Celui qui exerce la fonction de chef de la majorité et de l’Exécutif peut le faire X fois de façons consécutives et/ou autant de fois que possible en terme de cumul des mandats au fil du temps sans que cela ne prête à contestation.
Le deuxième élément qui va dans le même sens est que dans ce régime, le mandat de l’Exécutif réel (chef du gouvernement) n’a pas de durée fixe et autonome. Sa durée de vie est conditionnée par la durée de vie de l’Assemblée nationale. Si le parlement est élu pour une durée de 5 ans ou 6 ans, le gouvernement a une même durée de vie. Si entretemps, l’assemblée nationale est dissoute, le gouvernement est aussi dissout et après une nouvelle élection un nouveau chef de gouvernement est désigné et la vie du gouvernement reprend avec un nouveau mandat pour le chef de l’exécutif effectif qu’est le chef de gouvernement. C’est donc toute la question d’ALTERNANCE POLITIQUE qui revient sur le tapis et qui ne se pose pas avec la même acuité que dans un système présidentiel ou semi-présidentiel où limitation du nombre de mandats implique ipso facto celle de l’alternance politique et où la durée d’un mandat est déterminée de façon mécanique. C’est là le principal enjeu de ce choix.
Les Togolais qui sont habitués depuis les indépendances à avoir un président de la République, chef de l’Etat, qui préside aux destinées de leur pays et qui est l’homme fort sont souvent braqués et le sont actuellement sur la désignation et le rôle de ce genre de chef de l’Etat. Ils ne voient à travers la nouvelle proposition de révision constitutionnelle que la position du Président de la République alors que tout est ailleurs. En effet, dans le régime parlementaire, les choses sont complètement différentes. Le Président de la République, chef de l’Etat, n’a pas un grand rôle à jouer et il n’est pas élu au suffrage universel direct comme dans un régime présidentiel ou semi présidentiel.
Cela nous amène à l’autre élément important à avoir en vue. En effet, dans le régime parlementaire le Centre du pouvoir exécutif est complètement différent de ce qu’on a dans un régime présidentiel ou semi-présidentiel. En effet dans le régime parlementaire, le véritable chef de l’exécutif est le premier ministre (encore désigné sous le vocable de chancelier comme en Allemagne ou de président du Conseil comme en Italie). Il s’agit en réalité du chef du parti majoritaire au Parlement ou celui que le parti majoritaire a désigné dans ces fonctions de premier ministre, chef de gouvernement ou dans le cas du Togo, celui qui sera le réel détenteur du pouvoir exécutif. Celui-ci est proposé par son parti, désigné ou élu par l’Assemblée nationale et nommé par décret signé du président de la République. Tant que ce parti arrive à gagner les élections législatives et à avoir la majorité à l’Assemblée nationale, son chef ou son représentant restera au pouvoir ad vitam aeternam et personne ne pourra rien y faire.
Dans le cas du Togo, ce premier ministre est désigné dans le projet de loi actuellement à l’étude par le titre de « Président du Conseil » comme en Italie.[3] Il en résulte que dans le cas de notre pays, une fois le régime parlementaire adopté, c’est ce Président du Conseil qui jouera le rôle que joue aujourd’hui le Président de la République Faure Gnassingbé, tout comme l’avait joué avant lui le Général Gnassingbé Eyadèma. Si donc le projet de révision constitutionnelle est adopté, le Président Faure Gnassingbé ne se retrouvera pas dans le rôle de Président de la République mais dans celui de Président du Conseil. En effet, le Président de la République nouvelle version ou version régime parlementaire est un titre honorifique qu’autre chose. Le vrai détenteur du pouvoir exécutif est le chef du Gouvernement ou encore Président du conseil. Il est en effet inimaginable de voir l’actuel chef de l’Etat se contenter demain d’un rôle d’apparat ou de figurant et de laisser le véritable pouvoir exécutif entre les mains de quelqu’un d’autre.
Le Président du Conseil une fois élu par l’’Assemblée Nationale, prête serment devant la Cour constitutionnelle. Il a d’autant plus de pouvoirs que c’est lui qui détermine et conduit la politique générale de la Nation ; définit la politique étrangère. Il choisit ses ministres ; préside le gouvernement ; assure l’exécution des lois ; exerce le pouvoir règlementaire ; nomme aux emplois civils et militaires, dispose de l’administration et exerce l’autorité et le commandement sur les forces armées et les forces de sécurité.[4] En clair, Dans un contexte comme le nôtre, ce n’est pas rien.
Dans le régime parlementaire, le Président de la République qui n’est pas élu au suffrage universel et qui est désigné par un collège (ou assemblée) dans les républiques ou alors qui est le roi lorsqu’il s’agit dans certaines monarchies constitutionnelles, n’a pas de véritable pouvoir. Il a un rôle infime ou effacé qu’on peut qualifier d’honorifique. On dit souvent qu’il « inaugure les chrysanthèmes ». Dans le cas du Togo, il aura d’autant moins de pouvoirs et de responsabilité que ses actes ne sont pas valables s’ils ne sont pas contresignés par le premier ministre (ici, Président du Conseil). En effet, le projet en discussion actuellement prévoit clairement dans son article 48 qu’« aucun acte du Président de la République n’est valable s’il n’est contresigné par le Président du Conseil ». Cela démontre clairement que le Président de la République nouvelle formule est dépouillé de tout pouvoir réel et est plutôt à la merci du Président du Conseil qui est chef du gouvernement demeure le véritable et le seul Chef de l’Exécutif et pourquoi pas le vrai chef de l’Etat. Pour ce qui est du Président de la République nouvelle formule, L’article 42 du projet de loi constitutionnelle qui définit ses attributions dit que « Le Président de la République est le chef de l’Etat. Il est le garant de l’unité nationale et de la continuité de l’Etat. Il veille au respect de la Constitution ».
Dans un pays habitué à avoir dans le rôle de tête de l’exécutif un président de la République, homme fort, chef de l’Etat, chef de gouvernement, il y aura une confusion de rôle dans la tête des citoyens qui risque d’imputer à ce président de la République effacé un rôle et des responsabilités qui, dans un régime parlementaire, ne sont et ne seront pas les siens.
C’est le régime parlementaire que nous avons dans des Républiques comme l’Allemagne, l’Israël, le Liban, l’Inde ainsi que dans des monarchies constitutionnelles comme l’Angleterre, l’Australie, la Belgique, le Canada, l’Espagne, le Japon, la Thaïlande, etc. C’est également ce régime qu’avait mis en place la Constitution de transition issue de la Conférence Nationale pour la période de transition dirigée par le premier ministre Joseph Kokou KOFFIGOH. Le premier ministre avait la réalité du pouvoir et le président EYADEMA était réduit à la portion congrue. Sauf qu’ici, l’armée qui est sous la houlette du président de la République a permis de renverser la donne et d’assurer la réalité du pouvoir exécutif au président Eyadèma plutôt qu’au premier ministre de transition.
Ce qu’il faut savoir est qu’en adoptant le régime parlementaire, les velléités de limitation de mandats et les critiques aussi bien internes qu’internationales relativement à la longévité au pouvoir et à la nécessité de se limiter dans l’exercice du pouvoir sont terminées. Elles n’auront plus droit de cité. Le régime togolais aura coupé court à toutes ces critiques. On peut se rappeler les cas du chancelier allemand Helmut KOHL (1982-1998), de la Chancelière Angela Meckel (nov. 2005 à déc. 2021), du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (1996-1999 ; 2009-2021 et depuis 2022) qui ont eu plusieurs mandats et passé plusieurs années au pouvoir sans que cela n’ait jamais été un problème pour personne ni suscité quelques reproches que ce soit. Le régime parlementaire n’a pas besoin de limitation de mandats de l’exécutif et ne s’accommode pas de cette obligation. Tant qu’un parti peut « prétendre gagner » les élections législatives, c’est son chef ou son représentant qui gouverne et qui gouvernera : un point, un trait. Que ce soit 2, 5, 10 mandats successifs ou pas, ou que ce soit 10 ans, 20 ans, 30 ans, 100 ans au pouvoir, peu importe. Ici le parti au pouvoir fera ces mandats multiples de façon complètement légale sans aucune possibilité de reproches ou de critique puisque telle est la règle du régime parlementaire. Bien évidemment, on peut encore invoquer la nécessité d’une alternance au pouvoir et donc critiquer les dirigeants pour cela. Cependant, cette critique ne peut plus se faire sous la forme d’un refus de limiter les mandats ou de modification de la constitution à l’approche de la fin des mandats de chef de l’Etat pour passer à une prétendue nouvelle république et remettre les compteurs à zéro. Ces tracasseries qui exposent les pouvoirs qui s’installent durablement dans le temps sont désormais terminées. La question d’alternance au pouvoir ne peut désormais être évoquée qu’à travers la transparence des élections. On peut ainsi reprocher au régime de truquer les élections, ou en des termes plus policés de ne pas organiser des élections transparentes et/ou alors d’organiser des scrutins pour se maintenir au pouvoir. On ne peut plus lui reprocher de ne pas limiter les mandats.
En réalité donc, c’est la solution d’une pérennisation au pouvoir sans grande contestation et critique que procurera désormais au Togo, l’adoption du régime parlementaire si cette option devient demain la réalité chez nous. Et désormais, le chef du parti majoritaire va passer du rôle de président de la république ou chef de l’Etat aujourd’hui à celui de premier ministre qui sera appelé dans le cas du Togo, Président du Conseil.
B- Le Choix des Titres et le Changement Dans l’Exercice du Pouvoir Exécutif
Premièrement et en ce qui concerne le choix des titres et de la durée des mandats, il n’y a pas de changement notable. Il y a cependant quelques innovations. D’abord le nouveau président de la République qui n’aura pas de pouvoir réel a un mandat de sept (7) ans renouvelable une seule fois. Il faut préciser que chaque citoyen peut se présenter à ce poste. Ensuite, le parlement a désormais un mandat de six (6) ans au lieu de cinq (5) jusque-là. C’est sur la durée de ce mandat que sera calquée en réalité celle du mandat du futur chef de gouvernement désigné sous le vocable de Président du Conseil.
Deuxièmement, la question se pose de savoir pourquoi le nouveau texte a refusé d’adopter le terme de « Premier Ministre » pour opter plutôt pour celui de « Président du Conseil ». A cela, notre approche de réponse est la suivante. Dans nos pays et notamment au Togo, les constitutions et leurs révisions ont toujours un relent de subjectivité. Elles sont personnalisées ou personnifiées. Les chefs de l’exécutif que le Togo a connu jusque-là ont eu le titre de « président de la République ». Le régime politique appliquée avec la Constitution de 1992 les a amenés à désigner des premiers ministres qui ont été sinon leur godillot, en tous cas leurs subordonnés et collaborateurs. L’actuel chef de l’Etat qui va passer dans le rôle de chef de gouvernement si le projet de révision constitutionnelle est adopté (c’est un euphémisme) a joué ce rôle pendant 19 ans déjà et bientôt 20 ans au moment de mettre le nouveau régime en place. Comment alors lui donner le titre de Premier Ministre dans la nouvelle configuration de l’Exécutif sans donner l’impression aux civils et surtout aux militaires d’avoir réduit sa fonction ou son autorité. Si on le désigne sous le terme de « premier ministre » surtout dans un régime où il y aura quelqu’un qui portera le titre de Président de la République, ce sera perçu comme s’il était le subordonné de ce dernier, exactement comme dans le régime sortant. Cela peut poser des problèmes surtout à nos forces de défense et de sécurité qui sont un pilier fondamental du pouvoir. Il fallait donc trouver un terme qui permette de garder de l’actuel chef de l’Etat l’image de Grand Chef de l’Exécutif, c’est-à-dire de Président de la République ancienne formule et en même temps d’éviter de heurter sa susceptibilité. C’est certainement en ce sens qu’au lieu de prendre ce qui est plus proche de chez nous et qui est le titre de « premier ministre », les nouveaux constituants ont préféré le terme de « Président du Conseil » qui a été emprunté au régime Italien actuel et à l’ancien système français d’avant la 5ème République. La présence du terme de « Président » dans le titre que va porter le nouveau chef véritable de l’Exécutif est d’autant plus importante que pendant près de deux décennies déjà celui-ci a dirigé le pays en portant ce titre.
C- Qu’est-Ce qui va Changer dans L’Approche du Pouvoir Exécutif ?
Peu de chose vont changer sur ce plan. D’une part, le chef de l’Exécutif qui est désormais le « Président du Conseil » va être désigné, non au suffrage universel direct du peuple souverain mais plutôt par l’Assemblée nationale. Il le sera pour la durée du mandat des députés qui est de six (6) ans sauf si une motion de censure fait tomber le Gouvernement et provoque par conséquent la dissolution prématurée de l’Assemblée nationale. La nouvelle Assemblée élue proposera un autre chef de gouvernement qui peut être le précédent si le même parti l’emporte aux élections.
Sur le plan de l’organe qui désigne, la situation est identique pour le Président de la République, qui sera pour sa part élu toujours par l’Assemblée nationale mais pour un mandat de sept (7) ans renouvelable une seule fois.
Dans la réalité, le « Président du Conseil » se substitue totalement au « Président de la République », version constitution de 1992, dans ses fonctions, attributions et privilèges. Il ne faut donc pas être dupe. Rien ne va véritablement changer dans la gestion politique quotidienne du pays et ce n’est pas parce que le véritable détenteur du pouvoir exécutif va s’appeler demain Président du Conseil ou avoir un titre équivalent à celui de premier ministre dans la configuration d’un régime parlementaire que le pouvoir aura réellement changé de visage et de substance. Le Président du Conseil de demain aura exactement les mêmes attributions et prérogatives que le Chef de l’Etat hier et aujourd’hui. Rien ne changera donc dans la gestion quotidienne de la cité et l’actuel locataire du fauteuil présidentiel agira en tant que « Président du Conseil » exactement comme il le fait aujourd’hui en tant que « Président de la République ». Le pouvoir demeurera le même dans sa quintessence et dans son image. Peu importe que le titre du détenteur de ce pouvoir ait changé.
La conservation du pouvoir demeure donc toujours le grand enjeu. Et désormais tout se jouera encore mais aussi uniquement au niveau des élections. L’essentiel sera de gagner les élections ou de s’en proclamer vainqueur et la voie est ouverte pour l’exercice du pouvoir aussi longtemps que possible. Quand on sait qui gagne les élections dans les pays africains et notamment dans le nôtre alors on a compris que la longévité au pouvoir a encore de beaux jours devant nous. A moins de changer les paradigmes du régime parlementaire, l’Occident et toutes les critiques auront définitivement le bec cloué. Les textes de la CEDEAO sont aussi aisément contournés.
Voilà le véritable enjeu de ce choix de régime. La façade va changer en cachant une réalité qui n’aura nullement variée. Bien sûr, les arguments de changements de république et de compteurs mis à zéro y sont sous-jacents. D’ailleurs les tenants de cette révision constitutionnelle seront prompts à affirmer que les compteurs doivent d’autant plus être mis à zéro que désormais, le chef de l’Exécutif revient en tant que Président du Conseil (premier ministre ailleurs) et non en tant que Président de la République.
Pour bien comprendre les choses, il faut avoir à l’esprit qu’une fois la révision constitutionnelle consommée, le rôle qui reviendra à l’actuel président de la République, chef de l’Etat, président du parti UNIR, si c’est son parti qui sort victorieux des élections législatives sera celui du Président du Conseil et non celui de Président de la République qui comme indiqué ci-haut, est un rôle de figurant dans la nouvelle constitution à venir. Ceux qui voient ou veulent voir Faure Gnassingbé demain dans le rôle de Président de la République nouvelle formule, sans réel pouvoir, avec un mandat de sept (7) ans renouvelable une fois se fourvoient et se trompent donc totalement de cible. Il faut plutôt aller voir l’actuel locataire du fauteuil présidentiel dans la fonction de Président du Conseil, avec tous les atouts récités ci-haut en terme de pouvoirs, de durée d’un mandat et de longévité au pouvoir. Ce qui va changer pour lui c’est le titre, le mode de sa désignation et la durée de chaque mandat. Ce qui ne change pas, c’est la fonction avec obligations, responsabilités et prérogatives.
D’un autre côté et dans le rôle de Président de la République, nouvelle formule, on essayera de cantonner une personne qui devra avoir bien conscience que désormais et dans le nouveau régime constitutionnel, ce titre ne revêt pas grand-chose en terme de pouvoir et de son exercice. Le poste étant ouvert à tout citoyen, pour faire un peu politiquement correct, on pourrait l’attribuer à un homme politique connu comme un ancien premier ministre ou un ancien opposant (Maître KOFFIGOH pourrait y être puisque l’âge de Gilchrist OLYMPIO qui aurait politiquement mieux fait l’affaire le rend moins apte à cette position qu’il aurait pu se voir offrir). On pourrait même, pour flatter l’égo de l’opposition, l’offrir à un de ses dirigeants qui ont aussi l’appétit du pouvoir. Bien utilisé, ce poste dont la gestion ne recèle en l’état aucun réel danger pour le pouvoir en place peut permettre de régler beaucoup de problèmes et de conflits entre le pouvoir et l’opposition en offrant effectivement une image de consensus apparent au pouvoir en place et à la vie politique togolaise.
III- Un Revirement Anecdotique ?
S’il s’avère demain que le Togo a choisi le régime parlementaire, on se posera des questions sur ce que nous Africains en général et Togolais en particulier avons exactement changé aux systèmes politiques occidentaux que nous avons tant décriés ces derniers temps dans nos contrées.
En effet, pendant que nos pays étaient sous les feux des critiques pour le déficit démocratique et que les chefs d’Etat qui s’accrochaient au pouvoir étaient sommés de limiter la durée de leur présence au pouvoir, certains des principaux arguments mis en avant par les défenseurs des régimes en place sont les suivants : « la démocratie occidentale a échoué », « la démocratie à l’Occidental n’est pas adaptée à nos pays et à nos réalités », ou « l’Afrique a ses particularités et doit avoir ses propres modèles politiques ». Selon ces défenseurs de la dictature en Afrique, la démocratie occidentale et les systèmes politiques hérités de l’Occident ont montré leurs limites. Ce qui était paradoxal dans leur attitude est que les tenants de cette position ne trouvaient rien à reprocher à la dictature telle qu’elle est pratiquée chez nous et qui est aussi une importation ou une imposition de l’Occident. Ils rejetaient bec et ongle la démocratie à l’Occidental mais acceptaient les bras ouverts la dictature qui, dans sa forme qui est appliquée dans nos pays (avec brimades, injustice, patrimonialisation de l’Etat, corruption, tribalisme et autres), est une pure création et une imposition de la colonisation et montraient clairement qu’elle est préférable à tout.
On pouvait donc s’attendre raisonnablement à ce qu’au moment de changer les choses, nos pays génèrent un système politique particulier, original et/ou inédit, bref un système « à l’africaine ». Peine perdue. Après avoir critiqué et rejeté les systèmes politiques hérités ou venus de l’Occident, nous voilà sur le point d’adopter le régime parlementaire qui est aussi hérité ou « importé » du même Occident et nous sommes à l’aise. Doit-on donc comprendre que désormais la démocratie à l’occidental refait recette, l’essentiel étant qu’elle nous mette à l’abri de la limitation des mandats, de l’alternance politique automatique après tel nombre de mandats et des critiques auxquelles cela nous exposait jusque-là ?
La situation est anecdotique !!!!!!
Une chose est sûre, la nouvelle orientation qui sera prise par notre pays, et qui permet de juguler définitivement la question de limitation des mandats présidentiels sera probablement suivie demain par plusieurs pays africains, dont le Cameroun, le Congo Brazzaville, la Guinée Équatoriale, etc. qui ont été ou sont sous les feux des critiques et de la pression internationale comme l’a été notre pays. Dans tous les pays qui vont suivre le Togo demain dans cette nouvelle aventure politique, on pensait hier et aujourd’hui que la démocratie à l’occidental est inadaptée au continent africain. Et pourtant, on va encore faire le choix d’un régime venu de cet occident.
En conclusion, il convient de rappeler que le problème de l’Afrique, du Togo et de nos populations n’est pas un problème de régime politique, de nombre de mandats au pouvoir, de parti ou de personne au pouvoir. Il n’est pas non plus réellement un problème de démocratie à l’occidental ou pas. Le problème de l’Afrique est un problème de gouvernance et de gouvernance efficiente. Peu importe le système politique mis en place ; peu importe celui qui l’incarne ; peu importe celui qui gouverne ; peu importe combien de fois il peut se présenter. Ce qui est important c’est la façon dont celui qui tient les « manettes » de la Cité gouverne. C’est la transparence ou pas dans sa gestion ; c’est de savoir pour qui et pourquoi il gouverne. La Chine n’est pas une démocratie, et pourtant elle est aujourd’hui la première puissance économique du monde parce que ses dirigeants ont eu et ont encore une vision pour leur pays et leurs concitoyens. La Corée du Sud et le Japon ont amorcé leur développement à un moment donné où ils n’étaient pas des démocraties. Plusieurs pays de l’Asie sont dans la même situation. L’essentiel n’est donc pas la démocratie, le système politique ou le nombre de mandats. Tout système politique a ses points forts et ses points faibles. Et tout régime politique ou pouvoir en place génère des bienfaits et des dégâts, que ce soit la démocratie, la « démocrature » ou la dictature. Malheureusement, la dictature et les systèmes ou le pouvoir n’est pas limité dans le temps en génèrent plus, surtout lorsqu’il s’agit des systèmes prédateurs. La question de démocratie, de limitation des mandats et d’alternance au pouvoir ne se pose avec acuité en Afrique que parce que les systèmes de gouvernance politique en place sont incapables de limiter les dégâts qu’ils génèrent et de garantir le Bien –Être et la prospérité pour nos pays et nos populations. C’est justement la raison pour laquelle les systèmes démocratiques mis en place à partir des années 1990 avec alternance à la tête de l’Etat ont chuté dans certains pays. Si demain, les régimes politiques en Afrique et les dirigeants pouvaient se départir des pillages, de la corruption, du favoritisme, du culte de la médiocrité, de l’injustice, de la volonté de se servir du pouvoir pour satisfaire des intérêts personnels égoïstes, les intérêts familiaux, partisans, claniques, ou ceux de la seule élite gouvernante pour baser leur gouvernance sur une vision pour leur peuple et la réalisation du bonheur et de la prospérité de leur pays et de leurs concitoyens ; si les dirigeants africains peuvent changer et mettre en place une gouvernance consensuelle qui satisfait l’Intérêt Général et le Bien Être de la Majorité pour permettre à nos pays de cesser de cultiver la misère et des comportements qui font de nous la risée du monde, alors, les problèmes de systèmes politiques, d’alternance et de personne au pouvoir ne se poseront plus dans les mêmes termes. Dans un pays où la gouvernance est dictée par une vision claire qui mène au Bien Être et à la prospérité de la Majorité sinon de Tous, peu importera qui gouverne et pour combien de temps. A défaut, le problème africain en général et togolais en particulier demeurera un problème de gouvernance avec pour source le politique, alors la question continuera de se poser. Nos dirigeants sont-ils capables de ces prouesses ?
« Prêts pour la Démocratie, la lutte continue »
Jean Yaovi DEGLI
Président de « Bâtir le Togo »