Les Togolais reprochent de plus en plus au régime de Faure Gnassingbé, les maux de corruption, de justice opérant dans la partialité, d’absence d’Etat de droit et de restriction de l’espace civique. Tout en dénonçant ces maux, particulièrement la corruption, certains observateurs pointent du doigt l’entourage du chef de l’Etat qui porterait des coups aux initiatives de ce dernier.
Toutefois, si l’objectif de cette lecture des choses est de valoriser et de protéger le chef de l’Etat, en l’exonérant de la responsabilité des maux que les Togolais reprochent à son régime, alors l’objectif n’est pas atteint. Bien au contraire.
Il est clair que ce positionnement n’est pas très flatteur pour le chef de l’Etat. Comme si le chef de l’Exécutif était devenu une sorte de marionnette entre les mains de son entourage et qu’il était donc dans l’incapacité de tenir ses troupes et de prendre des sanctions, lorsque la situation l’exige.
Mais cette grille de lecture ne tient pas la route à l’épreuve des faits.
En effet, qui dans ce pays n’est pas au courant que des décisions du chef de l’Etat ont conduit à la chute de personnalités précédemment considérées comme des piliers du régime ? Certaines d’entre elles opéraient au cœur du système, et même jusque dans le cercle familial le plus restreint. Cette déchéance de statut social subie par des barons du régime se compte aussi bien parmi des civils de la haute administration qu’au sein des officiers les plus gradés de l’appareil militaire. N’a-t-il pas écarté sans ménagement des officiers « faiseurs de roi » qui ont été au cœur de la répression de la population au moment de sa prise de pouvoir, avec des centaines de victimes à la clé, il y a 18 ans ?
Non, personne ne peut oser dire que le Chef de l’Etat ne sait pas sanctionner. Il sait le faire. Il le fait quand il veut et il le fait comme il veut. Il est seul maître à bord. On peut reprocher des tas de choses à Faure Gnassingbé, mais il n’est certainement pas une marionnette. Qu’on ne lui fasse donc pas cette injustice, qu’on ne lui fasse pas cette injure. Oui, le chef de l’Etat togolais et président du parti au pouvoir sait parfaitement prendre des sanctions quand il le décide.
Alors, après avoir lui-même déclaré publiquement depuis avril 2012 qu’une « minorité accapare la richesse » du pays, la grande question qui se pose est de savoir pourquoi le chef de l’Etat ne prend-t-il pas des dispositions pour mettre un terme à la corruption qui empoisonne le développement ? Et pourtant, depuis cette déclaration, les scandales se suivent et concernent des sommes faramineuses qui se chiffrent en dizaines, voire en centaines, de milliards de francs CFA. Des rapports de la haute administration l’affirment désormais, comme récemment celui de la Cour des comptes sur la gestion du fonds Covid. D’ailleurs, à ce sujet, la plainte déposée par des organisations de la société civile sur ce scandale soulevé par la Cour des comptes est classée sans suite par la justice. Tout cela est incompréhensible.
Evidemment, cette incompréhension entraine de nombreuses interrogations.
Le chef de l’Etat, ne sanctionne-t-il que lorsque le sujet de reproche touche d’une certaine façon à son propre pouvoir, comme le cas de son frère condamné par la justice à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » ?
Le chef de l’Etat, ne sévit-il que sous la pression que des puissances occidentales exerceraient ?
Ou simplement, le chef de l’Etat a-t-il tellement laissé la corruption s’enraciner sans réagir sérieusement, que faire le ménage aujourd’hui reviendrait à se dépouiller soudainement d’un grand nombre de fidèles soutiens du régime, le fragilisant par la même occasion ?
En définitive, pour le président du parti au pouvoir, l’équation s’est considérablement compliquée, car l’impunité est comprise dans son propre camp comme une tolérance à la corruption. Celle-ci a donc explosé, entrainant de nombreuses personnalités dans son sillage. S’attaquer à la corruption s’apparente désormais à ouvrir la boite de pandore. Pourquoi le chef de l’Exécutif prendrait-il un tel risque, si rien ne l’y obligeait ?
En tout état de cause, surtout dans un régime hyper-présidentialisé, si la corruption perdure et s’accentue autant sans que les auteurs identifiés ne soient inquiétés, alors la responsabilité personnelle du chef de l’Exécutif est entièrement engagée, à minima par l’impunité dont jouissent les auteurs de ce fléau.
De grands experts et économistes, tels que Carlos Lopes, Dominique Strauss-Kahn ou Tony Blair, peuvent venir du monde entier avec leur science au chevet de l’économie togolaise, tant que la corruption sévira avec autant d’acuité, et que les auteurs identifiés resteront impunis, alors, peu d’investisseurs sérieux frapperont à la porte et les projets lancés n’auront pas le bon environnement pour produire des résultats structurants.
Quand un régime confisque le pouvoir depuis plusieurs décennies, il faut au minimum s’en servir pour le bien-être des citoyens. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui au Togo. Il faut remettre l’éthique dans la gestion de la chose publique. Les Togolais ont une forte attente de voir la corruption combattue et sérieusement contenue.
Gamesu