Pourquoi les journalistes continuent-ils d’être emprisonnés malgré la depenilisation du délit de presse ? La faute au nouveau code de presse, et les organisations de presse y ont leur responsabilité.
Je me souviens comme si c’était hier. C’était en décembre 2019. Et comme vous le savez, je suis membre de commission des lois. Quand la loi portant code de la presse et de la communication est arrivée à notre commission pour l’étude au fond, l’article 3 déjà m’avait interloqué.
Article 3 : Le présent code exclut de son champ d’application, les activités de production cinématographique.
Les réseaux sociaux sont également exclus du champ d’application du présent code, lesquels sont soumis aux dispositions du droit commun.
Je m’étais interposé à cet article, arguant que les réseaux sociaux faisaient de nos jours partie intégrante de la communication des organes de presse et de médias, et les exclure allait fragiliser le travail des journalistes. Le ministre Foly Bazy Katari, ministre de la communication à l’époque, avait pris sa voix posée habituelle, pour m’expliquer que le texte que nous étudions avait fait l’objet d’un profond et large consensus des organisations de presse. Et plusieurs représentants de ces organisations étaient dans la salle. Personne n’avait remis en cause le propos du ministre et moi je ne pouvais pas être plus loyaliste que le roi. C’est ainsi que le vers est insidieusement rentré dans le fruit, avec aujourd’hui de lourdes conséquences.
D’autres articles abondent dans le même sens. (voir les captures d’écran). L’article 5 exclut les réseaux sociaux des presse en ligne, seuls supports Web reconnus par le code de presse, et l’article 131 ne reconnaît pas les réseaux sociaux comme société de presse en ligne. Et pour finir, le terrible article 156 qui dit :
Article 156 : Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte
de presse, qui a eu recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour
commettre toute infraction prévue dans le présent code, est puni conformément aux
dispositions du droit commun.
Voilà pourquoi Ferdinand Ayité et Loic Lawson ont été emprisonnés. Malgré leur détention de la carte de presse, ils ont utilisé des réseaux sociaux (YouTube pour Ferdinand et Twitter pour loic) pour traiter d’un sujet certes journalistique qui ensuite a fait l’objet d’une plainte en justice . Ce faisant, ils ne sont plus protégés par la depenilisation du délit de presse. S’ils avaient fait les mêmes publications dans leur organes de presse, (journal papier ou journal en ligne) ils auraient écopé uniquement d’amendes même après un procès. Certaines personnes se souviennent peut-être de la plainte pour diffamation que madame la première ministre avait porté contre le journal liberté suite à la publication d’un article sur un prétendu meurtre d’un concitoyen par un de ses personnels. L’affaire avait été jugée, et les journalistes avaient juste écopé d’amendes.
Pour anani Sossou, c’est plus compliqué car le droit togolais ne connait pas de statut de journaliste free-lance ou influenceur. En cas de plainte contre une publication sur les réseaux sociaux, c’est le droit commun qui s’applique automatiquement. La seule façon pour lui de bénéficier de la depenilisation du délit de presse, c’est de se faire enregistrer à la haac pour un journal en ligne, dans lequel il publie l’intégralité de ses articles journalistiques.
Il faut sensibiliser les journalistes sur ces subtilités. Tant que la loi n’est pas changé, ne publiez aucun article journalistique sur les réseaux sociaux. Faites enregistrer un site en ligne pour vos publications numériques qui aujourd’hui exigent une couverture en temps réel. Après, vous pouvez toujours partager mais sans commenter car votre commentaire même peut vous mettre dans la sauce.
J’ai commencé cet article en indexant les organisations de presse, désignées à l’époque par le ministre comme ayant participé inclusivement à la rédaction de cette loi. Je crois personnellement que ces organisations n’ont pas pris le soin de consulter des juristes spécialistes des droits des médias. Elles ne seraient pas tombées dans le piège.
Mais bon, trêve de complaintes. Ceci n’est pas trad. Il faut revoir cette loi pour intégrer les réseaux sociaux dans la communication de la presse. De nos jours, tous les médias ont leur comptes sur les réseaux sociaux, nous n’allons pas nous mettre en marge de l’évolution du monde. Et nous voyons déja les ravages que cette disposition fait la la liberté de presse dans notre pays.
J’aurai pu faire une proposition de loi pour corriger ceci, mais j’en ai déjà fait trois qui ont été bloquées au sein même de l’assemblée nationale sans arriver au gouvernement. C’est à l’actuelle ministre de la communication de reprendre le flambeau et défendre la profession. Les journalistes doivent mettre en place un puissant lobby pour cela.
J’espère que vous avez à présent compris pourquoi on emprisonne des journalistes. J’ai fait mon travail de pédagogie en tant que parlementaire.
Mais ne nous trompons pas de combat. Même les insuffisances de notre code de presse ne devraient pas autoriser une autorité politique à recourir systématiquement à des peines d’emprisonnement chaque fois qu’il se sent diffamé. Quand on a sensibilité à fleur de peau, on ne fait pas la politique.
Expliquons les choses vivants.
Gerry
Téléchargez ici le code de la presse et de la communication. https://assemblee-nationale.tg/wp-content/uploads/2021/10/code-de-la-presse-loi-AN.pdf