« Les institutions valent aussi par les hommes. Et très peu d’hommes actuellement au pouvoir en Afrique les respectent » (Doudou Diène)
L’idée en vogue en Afrique avant le déclenchement des processus de démocratisation, était que ce continent avait besoin d’hommes forts pour le sortir du sous-développement. Mais cette théorie a été battue en brèche par Barack Obama lors de sa visite au Ghana en 2009. «L’Afrique n’a pas besoin d’homme fort, mais d’institutions fortes », avait-il déclaré. Justement sous les tropiques, les institutions n’ont jamais été fiables. Elles ont toujours brillé par leur manque de crédibilité et de solidité. Mais le Ghana peut se targuer d’avoir un corps de serviteurs exemplaires de la République.
On a l’illustration avec le Procureur spécial anti-corruption, Martin Amidu qui a démissionné avec fracas de son poste trois ans après s’être fait nommer à ce poste par Nana Akufo-Addo. Raison invoquée par le procureur : manque d’indépendance. Il accuse le président ghanéen d’ingérence politique dans son travail, notamment d’avoir tenté de lui indiquer comment procéder à l’évaluation des risques de corruption que le service du procureur spécial avait menée sur l’accord d’Agyapa.
Le procureur affirme avoir accepté ce poste à condition que son indépendance et sa liberté d’action soient garanties par le Président et son gouvernement. Mais tel n’est pas le cas. «Je ne peux pas continuer sous votre gouvernement en tant que Procureur spécial à exercer les fonctions de mon service de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions liées à la corruption», a protesté Martin Amidu.
Quel responsable d’institution au Togo oserait tenir tête au grand manitou Faure Gnassingbé, allant jusqu’à l’accuser d’ingérence dans son travail ? C’est toute la différence avec le Ghana, un pays où la démocratie s’est fort bien enracinée et où les institutions jouissent d’une certaine indépendance. Cette vitalité et ce dynamisme de la démocratie, les Ghanéens le doivent à la vision de leur feu ancien président Jerry John Rawlings qui a décidé d’instaurer un Etat fort bâti sur la puissance et l’indépendance des institutions.
« Ce que nous voulons faire du Ghana, c’est de mettre en place des institutions et pratiques tellement fortes que même si le diable lui-même venait à diriger ce pays qu’il ne puisse pas faire ce qu’il veut, mais soit obligé de respecter les lois en place », disait Rawlings à propos du processus démocratique au Ghana.
Au Togo, on a un homme « Faure » auquel toutes les institutions de la République sont inféodées. La preuve, le 3 mai 2020, lors de l’investiture de Faure Gnassingbé pour son 4ème mandat, Aboudou Assouma, président de la Cour Constitutionnelle, la plus haute juridiction de l’Etat, s’est mué en militant du parti au pouvoir et porte-parole du gouvernement, en proférant des menaces contre les opposants surtout contre Mgr Kpodzro. « Le suffrage universel a décidé, il n’y a plus personne pour s’y opposer. Si d’aventure, par mégarde ou par étourderie, quelqu’un s’y oppose, force doit rester à la loi dans sa rigueur, peu importe l’âge », avait-il déclamé.
Cinq ans plus tôt, le même président de la Cour Constitutionnelle, le président de l’Assemblée nationale et son Vice et tous les responsables des institutions, s’étaient offert en spectacle, mouchoir blanc en main, chantant et dansant, pour disaient-ils, célébrer la victoire de Faure Gnassingbé à la présidentielle de 2015.
Toujours au Togo, il y a quelques semaines, le président de la HAPLUCIA (institution chargée de lutter contre la corruption) a cru devoir présenter publiquement des excuses à des pontes du régime épinglés dans un rapport comme des acteurs emblématiques de la corruption dans notre pays. Une sortie scandaleuse qui avait provoqué un tollé dans le pays. Voilà à quoi sont réduites les institutions dans notre pays : de simples marionnettes.
Médard AMETEPE
source : Liberté