Cinq mille cas de grossesses enregistrés durant l’année scolaire 2021-2022 au Togo. Face à l’ampleur du phénomène, les parents semblent impuissants et la société civile à bout de force. Reste à savoir si la nouvelle loi qui vient d’être votée pourra y mettre fin.
« Ce n’était pas facile de porter une grossesse en classe d’examen ». Farida Hamadou, aujourd’hui étudiante à l’université de Lomé, n’arrive toujours pas à pardonner son bourreau qui « a fui ses responsabilités en refusant de reconnaitre la grossesse ».
Farida tombée enceinte il y a six ans alors qu’elle n’avait que 15 ans, reste marquée par sa mésaventure, fruits des œuvres d’un adulte.
Rita Gbodui, elle, se rappelle les douleurs d’une jeune fille de 12 ans qui a contracté une grossesse suite à un viol de la part de l’amant de sa maman. « Au départ, Aminata n’avait pas le courage de parler de sa grossesse », ajoute Rita, une militante des droits des femmes, directrice de l’association « Fais ta part », une association nationale basée à Lomé.
Ces témoignages sont le reflet des violences perpétrées contre les jeunes filles au Togo avec comme conséquences des traumatismes chez les victimes, la baisse de résultats scolaires et surtout des grossesses précoces et non désirées.
Au cours de l’année scolaire 2021-2022, ce sont 5000 cas de grossesses qui ont été enregistrés en milieu scolaire, selon les données du ministère chargé de l’Enseignement primaire et secondaire.
Selon certains analystes, les actes de violences à caractères sexuel constituent un facteur qui freine le développement du pays et met en lumière l’injustice sociale.
« C’est un frein à l’épanouissement des jeunes filles. Nos pays ont besoin de jeunes filles capables de participer aux actions de développement. Or le nombre élevé de filles-mères que nous avons ne milite pas à faire avancer ce développement », analyse Claire Quenum, défenseure des droits des femmes, présidente de l’association Floraison au Togo.
Alors que les auteurs des violences continuent librement leurs activités, la plupart des victimes se remettent rarement du drame vécu.
« J’ai accouché dans des conditions difficiles et j’étais aussi obligée d’aller travailler aux champs avec mon enfant au dos pour pouvoir gagner de quoi manger », raconte Farida Hamadou.
La prévalence et la fréquence des violences sexuelles sur les jeunes filles ne font pas l’objet de beaucoup d’études. Cependant, le phénomène inquiète et suscite quelques actions de la part de certaines organisations.
« Les faits de violences sexuelles ne sont pas souvent dénoncés. Pire, il n’y a aucun mécanisme sérieux de traitement, de gestion et de prise en charge des victimes »,déplore Afansi Mawouto, Directeur exécutif de l’association pour la promotion et la protection des enfants et de la jeune fille au Togo (A2PEJF-Togo).
Sur le terrain certaines organisations de la société civile disent aussi être confrontées à des blocages lorsqu’elles enclenchent des procédures contre des faits de violences sexuelles. « Que ce soit au niveau des brigades et commissariats, (…) on ne sent pas souvent une gestion judicieuse des cas de violences que nous y avons portés », regrette Afansi Mawouto.
C’est à tout ceci que les autorités veulent mettre un terme en adoptant le 29 novembre 2022, une nouvelle loi. Cette loi vise à garantir un environnement sûr, propice au développement des apprenants, filles et garçons. Elle espère contribuer à la moralisation de la vie dans les centres de formation professionnelle et d’apprentissage et en milieu scolaire.
Avec le nouveau texte il est prévu une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende d’un à cinq millions de FCFA contre « quiconque met enceinte une apprenante, régulièrement inscrite dans un établissement d’enseignement ou dans un centre d’apprentissage ou de formation professionnelle. Cette peine est portée au double lorsque l’auteur de la grossesse est une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou lorsque l’apprenante enceinte est une mineure de quinze ans ».
« Ce sont des dispositions légales que nous avons toujours attendues », se réjouit Claire Quenum qui pense que la nouvelle législation « va permettre de mieux organiser nos actions en matière de protection des filles et garçons ».
Certains acteurs de la société civile tout en saluant l’initiative s’interrogent toutefois sur certains aspects pratiques.
« Ma première préoccupation est de savoir ce qu’on fait des victimes ? Seront-elles prises en charge sur le plan mental, médical, psychologique et dédommagées surtout qu’elles sont encore mineures ? », s’interroge Mme Aho Suzanne, ancienne ministre de la Santé, actuellement experte des Nations-Unies sur les questions de l’enfance. Très souvent, poursuit-elle, « même au niveau des commissariats on met la victime en face de son prédateur qui continue de faire pression sur l’enfant qui ne peut pas parler ».
Pour la militante Rita Gbodui, il faut sensibiliser les populations pour que les victimes et leurs parents « brisent le silence et dénoncent les auteurs ». Elle suggère que les sanctions soient « rendues publiques afin de décourager les prédateurs sexuels ». Mais cela suffira-t-il ? Une chose de voter une loi et une autre est de l’appliquer, surtout de bien l’appliquer.
Ouestafnews /LH/fd/ts