Le 1ᵉʳ février 2023, le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, émettait un communiqué via son compte Twitter, annonçant l’interdiction de la vente et de la consommation de substances stupéfiantes. Ce communiqué récapitulait les dispositions des articles 93, 97, 111 et 112 de la loi N°95-008 du 18 mars 1998 ainsi que les articles 266 et 267 du nouveau Code pénal, soulignant que tout contrevenant à ces règlements serait poursuivi en justice.
Cette décision, avait déclaré le Général Yark Damehane, visait à préserver la jeunesse togolaise des dangers liés à la consommation des drogues.
Le communiqué ministériel précisait ce qui suit : « La détention, l’achat, la consommation, la culture de plantes et de substances classées comme stupéfiants ou psychotropes (cannabis, ecstasy, opioïdes, cocaïne, amphétamines, etc.) sont prohibés et passibles de sanctions selon les articles 93, 97, 111 et 112 de la loi N°98-008 du 18 mars 1998 ainsi que les articles 266 et 267 du nouveau code pénal. » Il ajoutait ceci : « L’incitation et la provocation, par tous les moyens, à un usage illicite de drogues ou de substances présentées comme ayant des effets similaires ou non, sont considérées comme des infractions punies selon les articles 100, 101, 102, 105, 106, 108 et suivants de la loi N°98-008 du 18 mars 1998 et l’article 255 du nouveau code pénal. »
Peu de temps après cette annonce, des actions ont été entreprises à Kara lors des festivités des évalas pour lutter contre l’usage de substances hallucinogènes avec la saisie, sur place, du matériel des bars à chicha et leur fermeture.
En outre, le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile a eu à rappeler que la possession et la distribution d’inhalants chimiques toxiques à des mineurs ne seraient pas tolérées. Le communiqué précisait d’ailleurs que « Toute personne fournissant délibérément à un mineur des inhalants chimiques toxiques, des plantes ou des substances psychotropes sera poursuivie et sanctionnée conformément aux articles 114 et suivants de la loi N°98-008 du 18 mars 1998 ainsi que de l’article 267 du nouveau code pénal. » De plus, la vente et la consommation de chicha étaient également interdites et soumises à des sanctions.
La consommation d’alcool en public et de manière manifeste était aussi visée par la loi. Le communiqué soulignait : « L’alcool, en tant que substance nocive pour la santé, fait l’objet d’interdictions strictes en cas d’abus conduisant à une ivresse publique et manifeste, ainsi que pour toute offre de boissons alcoolisées aux mineurs, quel qu’en soit le motif, en vertu des articles 181 et 863 du nouveau code pénal. »
Le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, Yark DAMEHAME, a saisi cette opportunité pour sensibiliser la jeunesse à une prise de conscience collective. Il a encouragé la population à coopérer avec les forces de l’ordre pour éradiquer le fléau de la drogue et « protéger les jeunes ».
Réactions de l’opinion publique
Suite au traitement et à la publication de cette information par l’agence de presse bilingue AfreePress, les réactions n’ont pas tardé. Certaines favorables, tandis que d’autres, très critiques.
La Ministre Myriam Dossou-D’Almeida, en charge du Développement à la Base, de la Jeunesse et de l’Emploi des Jeunes, était parmi les Togolais à réagir, en premier, à cette mesure. « La vente et la consommation de tabac, y compris celles effectuées à l’aide de la chicha, sont interdites et sanctionnées par les articles 865 et suivants du nouveau code pénal. J’adresse un appel aux jeunes qui s’adonnent à de telles pratiques. Cessez maintenant, sous peine de poursuites judiciaires », avait-elle averti. La députée Yawa Kuigan avait amplement partagé cette opinion, saluant la décision et la qualifiant d’excellente. « Refuser de laisser l’avenir de nos enfants se dissiper en volutes de fumée est une excellente initiative… Laissons place à la mise en œuvre, à la loi, aux sanctions, à l’éducation, aux alternatives et au contrôle… Il y a du travail à accomplir », s’est-elle exclamée sur son ancien compte Twitter.
D’autre lui ont emboîté le pas à l’instar de l’internaute Anani Sossou qui a demandé des mesures plus fortes pour arriver à bout du phénomène. Selon lui, les discours seuls ne suffisaient plus. Il a proposé la mise en place d’une brigade anti-tabac, anti-drogue, anti-alcool et anti-chicha chargée de patrouiller sur les lieux de divertissement, notamment les nuits des week-ends, afin de commencer à sanctionner. C’est le seul moyen d’enrayer cette situation, avait conclu M. SOSSOU.
Cependant, d’autres ont considéré que la décision, prise par le gouvernement, est liberticide et inopportune. « Faut-il également interdire l’alcool, le sucre, le sel et les bouillons cubes, qui sont tout aussi nocifs ? », s’interrogera un autre internaute sur le réseau X.
Le point de vue des concernés
Naima Ali est serveuse dans un bar à Attigangomé à Lomé. Elle avoue avoir du mal à renoncer à la consommation de la chicha. « J’adore fumer la chicha, car lorsque nous nous réunissons entre amis autour d’elle, c’est comme une célébration de l’amitié et du partage. Cela crée une atmosphère particulière. Fumer la chicha est une occasion de se détendre et donne une touche spéciale aux soirées de détente », a-t-elle partagé avec notre journal, les yeux pleins d’étoiles.
Selon Kossi Franck, chef cuisinier dans un hôtel de la place, la chicha n’est pas, à proprement parler, une drogue. Il dit en consommer régulièrement sans en être dépendant. « C’est juste une tendance et une manière de se distinguer des fumeurs de cigarettes. Dans les discothèques, ce n’est pas n’importe qui, qui consomme la chicha, c’est à la table des stars qu’on la trouve », a-t-il fait remarquer.
Pour Josué, 29 ans, transitaire à Sagbado, la chicha a des vertus aphrodisiaques. « Moi particulièrement, la chicha m’excite sexuellement. C’est comme un aphrodisiaque. Donc, quand je sors avec ma meuf les week-ends, on en consomme et la suite à la maison est fantastique. En réalité, c’est un truc pour se décomplexer».
La chicha, poursuit-il, est bonne parce que, défend-il, c’est le consommateur, lui-même qui met les produits à fumer dedans. On connait en même temps ce qu’on consomme, explique-t-il avant de poursuivre en soutenant que c’est l’arôme qu’on met dedans qui donne le plaisir.
« Certainement qu’il aurait des impacts sur la santé. Mais ce n’est pas une raison valable. Car, plusieurs choses que nous consommons comme nourritures et boissons, nous causent aussi des problèmes de santé. L’essentiel, c’est de ne pas en abuser. Moi, par exemple, je fume la chicha seulement les week-ends quand je sors avec mes amis », avance-t-il.
Les tenanciers des lieux de vente de chicha inconsolables
L’interdiction de la vente de la chicha, mise en avant par le ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, le Gal Damehane Yark, a porté un coup dur aux vendeurs de ce produit. Parmi eux, certains ignoraient même jusqu’à l’existence d’une telle loi.
« Je ne savais même pas que la chicha était interdite au Togo. C’est grâce aux réseaux sociaux et aux médias que nous avons appris que la vente et la consommation de la chicha sont interdites », a révélé Sisco, vendeur de chicha au quartier Dékon, un quartier populaire de Lomé.
De nombreux établissements qui se concentraient exclusivement sur la vente de chicha sont restés fermés depuis l’annonce de la décision. La boutique ‘’Mr Chicha’’, située à Noukafou dans la commune Golfe 2 à Lomé, fait partie de ceux-ci.
« Cette boutique vendait exclusivement de la chicha. Ils ont fermé depuis quelques semaines. Je ne sais pas pourquoi, mais je crois que c’est cette annonce qui en est la cause. Ils doivent avoir peur d’être arrêtés pour la vente d’un produit prohibé », avance un voisin de la boutique.
Certains vendeurs ont choisi de se tourner vers d’autres produits ou services pour compenser la perte de revenus causée par cette interdiction. C’est le cas de Latifou Mohamed, Libanais installé à Assivito (Grand marché de Lomé).
« Vous ne pouvez pas imaginer. Je venais de m’approvisionner et c’est deux fois dans l’année que j’achète ma marchandise. J’ai encore le stock et c’est une perte. Même si je pouvais vendre tout ce qui me reste en coulisses, je ne pourrais jamais récupérer mon argent, parce que, depuis que l’information est sortie, on a cassé le prix et ce n’est pas bon. Je suis obligé d’écouler ça vite », dit-il.
Il se méfie désormais des potentiels acheteurs qui pourraient être des policiers habillés en civil.
« Si tu viens chez moi maintenant, je ne vends plus de chicha. Comme tu peux le voir, ce sont les thés qui sont sur les étals. Je vends la chicha rien qu’aux clients que je connais bien. On ne sait jamais », a-t-il ajouté tout en sourire.
Même son de cloche chez Abderrahmane Sidibé, Nigérien et propriétaire d’une boutique à chicha à Déckon. Il s’étonne de la décision.
« Regardez sur les étals. Le marché a diminué. Le prix de vente aussi. Les autorités doivent nous aider. On a des familles à nourrir. Il faut au moins nous donner un délai, sinon c’est une perte pour nous », a-t-il plaidé.
« La chicha est une marchandise que les gens importent au Togo par les frontières. S’ils savent que c’est interdit, pourquoi laissent-ils les gens importer le produit dans le pays ? Ne serait-il pas mieux de bloquer la marchandise à la frontière ou au port ? », se demande-t-il.
Même si aucun de nos interlocuteurs n’a donné aucune information sur les pertes après cette annonce, l’on peut estimer que c’est une somme considérable, étant donné que le prix de la chicha (narguilé) varie entre 10 000 F et 15 000 FCFA.
Un réveil tardif mais salutaire
La lutte contre la consommation de la chicha, avait été enclenchée par la ministre du Développement à la base, de la jeunesse et de l’emploi des jeunes, Myriam Dossou-d’Almeida. Dans une sortie médiatique, opérée en janvier 2023, Mme Dossou-d’Almeida s’inquiétait déjà des effets néfastes de la chicha sur la jeunesse qui, selon elle, s’adonne à la consommation de la Chicha sans connaître les conséquences de cette pratique.
La consommation de ce produit, avait-elle averti, se repend et se banalise en raison de la représentation faite dans l’esprit des gens. La chicha est considérée comme étant moins toxique que le tabac, ce qui, a-t-elle dit, constitue « une véritable source de préoccupation ».
« Lors d’une session de chicha, tu inhales 25 fois plus de goudron et 125 fois plus de fumée qu’avec une cigarette. La chicha n’est pas inoffensive, c’est une substance toxique », a-t-elle révélé lors de cette sortie.
Pour sauver la jeunesse, elle avait invité les associations de lutte contre la consommation des drogues hallucinogènes et les parents, à se mobiliser dans un mouvement de solidarité intergénérationnelle.
Il faut le dire tout haut, une jeunesse qui a pour passe-temps la consommation des substances nocives à la santé, met en péril sa propre intégrité. Mais pas que cela. La jeunesse étant la relève de demain met également en danger son futur et le futur du pays. Il faut le dire et le marteler, la consommation de toutes sortes de drogues, y compris la chicha, constitue un danger pour l’avenir du pays. Nous devons, en tant qu’adultes, veiller à ce que les jeunes n’enfument pas l’avenir de notre pays grâce à la fumée de la chicha. Il faut donc éviter de laisser s’échapper en volutes de fumée, le futur et le bien-être de notre pays. Et pour y arriver, il faut tout simplement prohiber la consommation de ces produits dangereux.
Source Hara Kiri N°162 du vendredi 11 août 2023