Selon Mgr Kpodzro, dans une déclaration faite au temps de la campagne présidentielle de 2020, Sylvanus Olympio et les nationalistes se sont livrés à des pratiques occultes pour obtenir l’indépendance qu’ils ont négociée auprès d’un esprit ‘’démoniaque’’ dénommé Ablo, d’où serait dérivé le slogan Ablodé.
A en croire Jean-Pierre Fabre, cette thèse ne tient pas la route. Il l’a démontré dans une déclaration publiée le 16 février dernier, en marge du 60e anniversaire de l’assassinat du père de l’indépendance, Sylvanus Olympio.
Déclaration
Au moment où, en cette année 2023, les fils et filles de la terre de nos aïeux commémorent, dans un grand recueillement, le 60ème anniversaire de l’assassinat crapuleux de l’icône incontestée du célèbre slogan Ablodé, ce slogan qui continue de marquer la volonté d’ancrage du peuple Togolais, dans une quête permanente de liberté et de dignité, d’indépendance et de souveraineté, il est apparu nécessaire de lever tout équivoque et de clarifier les origines, la signification et l’usage de ce mot, adopté pertinemment par les nationalistes togolais, combattants de la liberté, pères de l’indépendance et fondateurs de la nation togolaise, pour soutenir avec succès, leur lutte héroïque de libération de notre pays du joug de la puissance coloniale. C’est l’objet de la publication de la présente déclaration.
Le 13 janvier 2023, lors de la messe organisée à la Cathédrale de Lomé, pour commémorer le soixantième anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, premier président du Togo, l’Archevêque Métropolitain de Lomé, Mgr Nicodème Anani Barrigah-Benissan, a rendu un vibrant hommage au défunt président, qu’il n’a pas hésité à présenter comme un « flambeau, une icône, un monument et une référence ».
Cette attitude élogieuse de l’Archevêque de Lomé, empreinte d’un profond respect et d’une grande admiration pour la lutte âpre menée par les pères de l’indépendance et fondateurs de la nation togolaise, contraste nettement avec les propos tenus sur Sylvanus Olympio par Mgr Fanoko Kpodzro. En effet, selon ce dernier, Sylvanus Olympio et les nationalistes se sont livrés à des pratiques occultes pour obtenir l’indépendance qu’ils ont négociée auprès d’un esprit ‘’démoniaque’’ dénommé Ablo, d’où serait dérivé le slogan Ablodé. Et, aux dires du prélat, chaque fois que le slogan Ablodé est prononcé, c’est l’esprit Ablo, ‘’le diable, le démon, le mari de mamy water’’ qui est invoqué.
Le soixantième anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, nous fournit l’occasion de nous prononcer sur les élucubrations qui circulent au sujet de l’origine du mot Ablodé, afin que certains compatriotes cessent de salir la mémoire des Compagnons de l’Indépendance, en tentant consciemment ou par ignorance, de répandre cette thèse fallacieuse et infondée qui voudrait réduire les hauts faits héroïques et historiques de la lutte pour l’indépendance du Togo, à des actions obscures et occultes de « pactisation » avec des esprits à qui le Togo serait redevable !
La démarche logique pour lever toute confusion sur l’origine du mot Ablodé appelle à répondre à au moins quatre questions simples : Le mot Ablodé existe-t-il réellement en éwé ? Que signifie Ablodé en éwé ? Ablodé est-il utilisé seulement en politique ou dans le langage courant ? La présence du mot Ablodé dans le vocabulaire éwé est-elle antérieure ou postérieure à la période de la lutte pour l’indépendance ?
Le mot Ablodé existe bel et bien dans le langage éwé. Et il est utilisé dans la vie courante par les éwés. Ablodé signifie LIBERTÉ en éwé. Pour savoir si sa présence dans le vocabulaire éwé est antérieure ou postérieure à la période de la lutte pour l’indépendance, il suffit de se référer aux écrits en éwé, publiés avant la période de la lutte pour l’indépendance, 1946-1958.
L’un des plus anciens textes éwés, le plus répandu et le plus facilement accessible, est la bible en éwé. Traduite en éwé en 1911, la bible en éwé intitulée « Biblia » est publiée au Togo en 1912. Pour vérifier si LIBERTÉ signifie en éwé Ablodé comme précisé, il suffit de rechercher dans la bible en éwé comment le mot LIBERTÉ a été traduit.
Il existe dans la bible, une multitude de versets contenant le mot liberté. Retenons-en 3 pour illustrer notre propos.
Dans le deuxième Épitre de l’apôtre Paul aux Corinthiens, au verset 17. (2 Corinthiens 3 : 17) : Or, le Seigneur, c’est l’Esprit ; et là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté.
Traduction éwé du verset dans la Bible en éwé : Ke Aƒeto la enye Gbogbo la ; ke aƒissi Aƒeto ƒe Gbogbo le la ; aƒima ablodé lé.
Dans l’Épitre de l’Apôtre Paul aux Galates, chapitre 5, verset 1. (Galates 5 : 1) : C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes et ne vous laissez pas mettre de nouveau, sous le joug de la servitude.
Traduction éwé du verset dans la Bible en éwé.
Ablodényenye nuti Kristo wo mi Ablodéviwo do. Eya Kuti mino tsitré sesie, eye miganawodé kluvinyenye ƒe kokuti ko na mio.
Dans le livre du Prophète Ésaïe Chapitre 61, verset 1 : L’Esprit du Seigneur, l’Éternel est sur moi. Car l’Éternel m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux. Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé. Pour proclamer aux captifs la liberté et aux prisonniers la délivrance…
Traduction éwé du verset dans la Bible en éwé :
Aƒeto Yehowa ƒe Gbogbo le dzinye, elabena, Yehowa si ami nam, be mahe du nyui la ayi na amesiwo wo te Ve anyi, edom da be mada gbe le amesi wo ƒe dzi gba la Ku, ma de gbe ƒa ablodena gatowo, ne woade ga amessiwo wode ga.
Nous constatons que, dans les versets bibliques examinés, le mot LIBERTÉ est systématiquement traduit par le mot Ablodé dans la bible en éwé. Incontestablement, Ablodé signifie LIBERTÉ en éwé.
Comme indiqué plus haut, la traduction de la bible en éwé date de 1911. Si déjà en 1911, le mot Ablodé est utilisé dans la version éwé de la bible pour traduire LIBERTÉ, c’est que le mot Ablodé a toujours signifié liberté en éwé.
Si Ablodé signifie simplement LIBERTÉ, quoi de plus naturel pour Sylvanus Olympio et ses compagnons qui luttent pour l’indépendance de leur pays, c’est-à-dire sa libération du joug colonial, d’adopter un slogan qui signifie LIBERTE en éwé et mina ?
De plus, le cantique 524 du « Nyanyui hame Hadzigbale sue » contient trois fois le mot Ablodé et indique en se référant également à l’Épitre de l’Apôtre Paul aux Galates, chapitre 5, verset 1, cité plus haut, que Ablodé est octroyé par le Christ lui-même. «Ablodé vavato e nye nu gato, vovo tso nu vo me naa dzimefafa, sika kple klosalo mewTa ‘blode o, Yesu gbo wotsona, Yesu naa ‘blodé. »
Ce cantique, comme indiqué, dans le « Nyanyui hame Hadzigbale sue », au bas du texte, a été composé en 1867.L’utilisation à plusieurs reprises, du mot Ablodé dans ce cantique, atteste que ce mot existait déjà dans la langue éwé de l’époque, en 1867, pour traduire LIBERTÉ. Et que les nationalistes, au demeurant des gens cultivés, respectables et respectés, n’ont pas eu besoin de recourir aux services d’un féticheur pour l’inventer à partir du nom d’un esprit. Comme on veut nous le faire accroire !
Si Mgr Kpodzro tenait coûte que coûte à apporter sa contribution au débat sur les origines du mot Ablodé, il aurait pu procéder aux mêmes analyses, eu égard à sa propre érudition en la matière, avec, de surcroît, son statut d’archevêque émérite. Et tout aurait été clair. Sylvanus Olympio et ses compagnons auraient été salués pour avoir choisi comme slogan de mobilisation et de galvanisation des populations, un mot d’essence divine, qui signifie LIBERTE. Un mot qui désigne l’objectif et qui claque, sur l’ensemble de cette terre de nos aïeux, comme un coup de fouet cinglant et libérateur, asséné à la puissance coloniale.
Puisque Ablodé se retrouve dans une multitude de versets de la bible, pourquoi alors ne pas imaginer ou comprendre tout simplement que ce mot a été intentionnellement choisi dans la bible pour que la lutte du peuple togolais bénéficie de la protection et de la bénédiction de Dieu ? La LIBERTÉ ne traduit-elle pas la volonté de Dieu pour l’homme, sa créature ?
Avec un petit effort, toute personne de bonne foi, réellement soucieuse de vérité, découvre l’existence de plusieurs dictionnaires éwé dont les traductions du mot Ablodé sont identiques ou proches. R P Riebenstein, Jacques Adzomada, Kwasi Fiagan, ont publié des dictionnaires français/éwé. Le dictionnaire éwé rédigé par le français Jacques Rongier. (Dictionnaire éwé, Jacques Rongier, Editions Kathala) propose les traductions suivantes du mot Ablodé.
Ablodé : libération, liberté, délivrance, indépendance. Ablodényényé : liberté. Vovo : délivrance, liberté.
Il donne comme exemple, Ablodéha, qu’il traduit comme : chant de l’indépendance, hymne de la liberté.
De même dans l’Ewe dictionnary, dictionnaire anglais/ewe, le mot freedom qui veut dire en français liberté est traduit par Ablodényenye, Vokuisinono.
Que dire de plus ? Tout est limpide, clair. Aucune trace de l’esprit Ablo !
Il convient à ce stade, de préciser qu’il n’y a ici aucune intention de mépris ou de rejet des religions traditionnelles ou ancestrales. Notre seul objectif est la recherche de la vérité sur l’origine du mot Ablodé.
Mgr Kpodzro n’a pas voulu choisir la voie de la clarté, du rationnel et de la rigueur : la Bible. La Bible qui lui est si familière et qui lui parle plus qu’à tout autre. La Bible dont la version éwé, une langue qu’il maitrise parfaitement, regorge dans plusieurs de ses versets, du mot éwé AblTVé qui traduit l’objectif du combat des nationalistes. La Bible : tout y est dit. Mgr Kpodzro la rejette. Et préfère s’emberlificoter dans des chemins tortueux dont personne ne peut vérifier la réalité. Il préfère adhérer à la thèse de l’esprit Ablo qui, s’il existe, n’est connu que de ses seuls adeptes. Pas de la grande majorité que le prélat devrait convaincre.
D’ailleurs, était-il vraiment nécessaire pour les besoins du combat contre la dictature des Gnassingbé, que Mgr Kpodzro s’implique dans ce débat inutile, sans tête ni queue, sur les origines du mot Ablodé ? Si oui, Mgr Kpodzro avait-il besoin de réduire « la palpitante quête de l’Ablodé » en une négociation avec un esprit ? Cette explication abracadabrantesque surtout invérifiable, n’est qu’une manière de dénigrement de l’action héroïque des nationalistes et de leur chef, le martyr de l’indépendance Sylvanus Olympio. Est-ce du mépris ? Est-ce de la mauvaise foi ?
Notre devoir de citoyen togolais est de relever que la position de Mgr Kpodzro sur l’origine du mot Ablodé manque de rigueur. Et n’est pas sérieuse. Elle ne fait que traduire, l’attitude constante du prélat qui, du haut de son statut et de son âge, tente d’imposer ses théories ou plus simplement ses opinions en y mêlant le spirituel, on eût dit à tort et à travers. Nous avons tous devant nous, le désastre causé par la fameuse « prophétie », présentée comme murmurée par le Saint Esprit à l’oreille du prélat. Alors qu’il s’est agi, tout simplement, d’une manœuvre pour la promotion d’une « marchandise » manifestement invendable, agrémentée d’insultes, de mensonges, de dénigrements, de calomnies et de diffamations de tout genre contre la concurrence !
Sylvanus Olympio et ses compagnons ont mené notre pays à l’indépendance à l’issue d’une lutte âpre et rigoureuse. Ils ont consenti, tout comme le peuple togolais lui-même, beaucoup de sacrifices ces. Si l’on ne veut pas le leur reconnaître, il n’est pas nécessaire de les dénigrer. Ils ne méritent pas le mépris, l’insulte à leur intelligence que manifeste cette curieuse explication du slogan Ablodé.
Aux donneurs de leçons habituels, qui se prétendraient chagrinés par cette clarification tardive, nous disons qu’elle est nécessaire, au moment où nous commémorons le 60ème anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, l’icône de l’Ablodé, au moment où l’ANC revendique plus que jamais l’héritage politique de l’Ablodé et des nationalistes. Il est temps de mettre fin à tout ce qui est raconté à tort sur le dos de Sylvanus Olympio qui ne peut malheureusement pas répondre.
Le slogan Ablodé fut un cri de révolte, un cri de guerre lancé dès le début de la lutte pour l’indépendance en 1946. Il demeure le cri de ralliement, de mobilisation et de « galvanisation » des populations togolaises, favorables à une véritable indépendance de notre pays. Le slogan Ablodé n’a pas pu être, comme le prétend Mgr Kpodzro, un acte d’allégeance et de reconnaissance à l’égard de l’esprit Ablo pour avoir libéré le Togo du joug de la puissance coloniale, pour une raison très simple. Comment remercier en 1946, moment où il a été lancé, pour une victoire qui n’a été acquise qu’en 1958 ? Soyons sérieux ! Soyons cohérents ! Réfléchissons un peu.
Mgr Kpodzro aurait dû éviter de s’associer à cette campagne de désinformation qui, malheureusement, pèche par son caractère léger et farfelu. S’il rejette le mot Ablodé au point de ne plus vouloir en entendre parler, ira-t-il jusqu’à s’interdire de lire, commenter ou enseigner à ses fidèles, les textes de la Sainte Bible en éwé dans lesquels ce mot traduit LIBERTÉ ? Le statut et l’âge ne peuvent tout autoriser. C’est ça la vérité. « Le courage c’est de chercher la vérité et de la dire. C’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant. » Jean Jaurès (1859-1914).
Hier comme aujourd’hui, l’Ablodé survivra à toutes les tentatives de bannissement pour continuer d’être le slogan mobilisateur des vrais combattants de la liberté. La devise du Togo, Travail-Liberté-Patrie y est cristallisée. L’Ablodé se veut une vision inaltérable, pour ne pas dire impérissable. Celle à laquelle aucune dictature ne résiste. Celle du triomphe de la justice et de la paix, pour la prospérité et le bien-être. C’est la vision de l’ANC pour le Togo. La vision autour de laquelle, l’ANC appelle l’ensemble des populations togolaises à se mobiliser d’une manière massive et décisive pour relancer, avec une vigilance accrue, la lutte de libération de notre pays du joug de la dictature. La lutte pour l’alternance et le changement.
Fait à Lomé, le 16 février 2023
Pour le Bureau National
Le Président Jean-Pierre FABRE