« Ils peuvent cueillir toutes les fleurs, mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps. » Pablo Neruda
Une fois encore, un Togolais des plus audacieux, des plus tenaces dans la quête de justice sociale, Ferdinand Ayité, vient d’être contraint à l’exil. Mais les Togolais qui connaissent le régime qui les régente ne sont nullement pas surpris.
Il y a deux semaines lorsque la cour suprême avait annulé une décision de la HAAC suspendant le Journal Liberté, tout connaisseur du régime savait que cela sonnait mal, et que le régime comme à son habitude allait se venger, non pas contre les juges qui ont « humilié » le bras médiatique de l’appareil de répression, mais plutôt contre le maillon faible de l’équation : les journalistes qui ont osé défier la HAAC. Pas nécessairement contre les journalistes victorieux de Liberté, mais contre la corporation des journalistes, contre le corps de métier qu’on tient responsable de « l’humiliation » des seigneurs du Togo.
La raison est simple : le régime dans sa quête du pouvoir absolu, incontesté et permanent, rêve d’un contrôle total sur les Togolais ; cela passe par une répression uniforme dans tous les domaines. Lorsque la répression est mise à mal dans un domaine donné, cela crée un déséquilibre au sein de tout l’appareil de répression, car cela amène ceux qui répriment à se poser des questions, et même à douter de l’efficacité de tout le dispositif de répression qui est la pierre angulaire de la dictature militaire. Lorsque la répression est défiée et perd du terrain dans un secteur, cela crée un malaise au sein du régime, une discordance dans ce qu’on peut appeler la symphonie de la répression. Il faut donc nécessairement rééquilibrer les choses en frappant plus durement sur un autre secteur.
Le régime militaire togolais a ceci de particulier qu’il est étonnamment prévisible. Pour une raison simple : ceux qui l’animent, du sommet à la base ont comme dénominateur la rancune tenace, le penchant vers la vengeance contre les faibles et le refus de tout ce qui pourrait être vu comme une défaite.
Y a-t-il une victime du régime qui ait été détruite à moitié ? Non, la rancune leur servant de ferment, les acteurs du régime n’arrêtent que lorsqu’ils ont l’assurance d’avoir détruit leur victime jusqu’au point où plus personne ne parle de cette victime, lorsque leur victime est totalement oubliée dans nos mémoires, lorsque plus personne ne sympathise avec les opinions de leur victime.
Y a-t-il un individu qui a obtenu une victoire, aussi petite soit-elle, sur un membre ou un groupe des seigneurs du régime ? Oui, mais dès que cela survient, le régime y répond en se vengeant contre « l’humiliation » en ciblant non seulement l’individu qui a remporté cette victoire, mais contre tout le groupe auquel cet individu appartient.
Tenez :
Pour se venger contre un homme politique qui le fait trembler ou douter le régime de sa toute-puissance, le régime cible sa communauté, ethnique, régionale ou religieuse.
Pour se venger contre un journaliste qui dénonce les travers dans la gouvernance du pays, le régime cible sa corporation, c’est-à-dire les autres journalistes.
Pour se venger contre un parti politique qui a les faveurs de l’opinion, le régime cible tous les autres partis avec lesquels il entretient de bonnes relations.
Pour se venger contre un acteur de la société civile, un défenseur des droits de l’homme qui tire sur la sonnette d’alarme sur des abus d’autorité, le régime étrangle tout le mouvement citoyen au plan national.
Pour se venger contre un homme du sérail, le régime exclut systématiquement tous ses obligés, ses protégés, ou “ses frères” de la jouissance des avantages du pouvoir.
Pour se venger contre l’opinion publique qui prend au sérieux le rapport de la Cour des Comptes, le régime déploie son arsenal médiatique pour diaboliser ledit rapport, les dénégations des ministres devant des députés étonnamment incrédules, ainsi que des mesures punitives telles la démolitions des hangars et conteneurs le long des rues, une partie du paysage urbain togolais depuis belle lurette.
Et pour se venger contre le peuple togolais qui lui a refusé son suffrage, le régime refuse obstinément de laisser les institutions jouer leur rôle ou d’organiser des élections qui permettraient à ce peuple de se prononcer sur son avenir.
Faut-il dès lors être surpris qu’après la victoire du journal Liberté le régime soit allé déterrer l’affaire opposant ses ministres-pasteurs à d’autres journalistes, y compris contre un journaliste qui est déjà décédé ? Non, c’est dans la droite ligne de ce que le régime sait mieux faire : la vengeance contre les plus faibles, en les frappant sous la ceinture. La vengeance contre les faibles est la marque déposée du régime militaire togolais. En réalité, dans toutes les cultures, ce penchant vers la rancune et la vengeance ainsi que le refus obstiné de reconnaitre ses torts sont la marque d’une faiblesse. Le régime togolais lui en a fait ses points cardinaux, et essaie de se convaincre que c’est sa force. Et pour le Togo, cette faiblesse vantée comme une force est la « marque de la bête ».
Le régime militaire togolais et Ferdinand Ayité, c’est la vengeance d’un troupeau d’éléphants contre une fourmi. Cela révèle la faiblesse des éléphants, quoi que dise le troupeau. Et cette faiblesse des éléphants, révélée au grand jour, signifie une chose pour les Togolais : tout est encore possible.
A Ben Yaya
12 mars 2023