« Les Blancs aussi sont si facilement ‘‘trompables’’ ?». C’est la réaction eue par un concitoyen – excusez le terme trompable qui est un abus – ce mardi soir, après avoir écouté certains pans du discours prononcé par Faure Gnassingbé lundi à la tribune du Conseil des droits de l’Homme au cours de sa 31e session à Genève en Suisse.
Et elle est représentative des réactions de bien de Togolais devant leurs petits écrans. Il faut l’avouer, il a emballé son monde sur certains sujets abordés, notamment la question des élections transparentes, la promotion des droits de l’Homme au Togo, de la criminalisation de la torture…
Les grands traits de l’allocution
Les sessions des organes de l’Organisation des Nations Unies (Onu) sont des occasions de grands discours, et la 31e session du Conseil des droits de l’Homme qui a ouvert ses portes lundi dernier à Genève en Suisse n’a pas dérogé à la règle. L’honneur a échu au n°1 togolais aussi, parmi tant d’autres personnalités du monde dont les pays sont membres du Conseil, de prononcer un discours. Il faut relever au passage que les chefs d’Etat se comptaient sur le bout des doigts, la plupart des pays ayant préféré présenter par des ministres ou autres officiels.
Dans son allocution, Faure Gnassingbé n’a pas manqué d’exprimer ses gratitudes pour l’élection du pays en octobre dernier à cet organe des Nations Unies prônant les droits de l’Homme. Il la conçoit comme « une opportunité sans précédent pour poursuivre le travail de longue haleine engagé au Togo » et prend l’engagement, au nom du Togo, de remplir la mission durant les trois ans de son mandat. « Nous nous attelons à cette tâche avec conviction et détermination », a-t-il déclaré.
C’est un érudit de la question des droits de l’Homme que l’on a entendu à la tribune, exhortant tous les membres et acteurs à s’engager pour le renforcement des droits de l’Homme dans le monde. Faure Gnassingbé est retourné dans l’Histoire pour évoquer le prétexte générique des griots du pouvoir pour se débiner devant le déficit démocratique au Togo, la crise sociopolitique connue par notre pays dans les années 90, et a laissé entendre que le Togo a appris de ce passé douloureux.
On retiendra surtout ses propos lénifiants sur la problématique des élections au Togo, la question de la criminalisation de la torture, les efforts (sic) faits en matière de droits de l’Homme…« Nous avons pris les mesures nécessaires avec hardiesse pour l’enracinement des droits de l’Homme dans toutes les sphères de la vie de notre peuple. Que ce soit la refonte de l’arsenal juridique national pour intégrer les instruments normatifs internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par le Togo, la liberté d’expression, d’association et de manifestation, l’organisation d’élections crédibles, transparentes sans violence, l’incrimination de la torture sous toutes ses formes, la protection des minorités, notamment les enfants, les femmes, les personnes handicapées et âgées », a-t-il dardé.
Faure Gnassingbé décide, sans honte aucune, d’embobiner l’audience de la CDH Caricature original : Donisen Donald / Liberté ; Modifiée (coloriée) : 27avril.com
Faure Gnassingbé décide, sans honte aucune, d’embobiner l’audience de la CDH Caricature original : Donisen Donald / Liberté ; Modifiée (coloriée) : 27avril.com
Regard critique sur un discours rempli de contrevérités
Certains pans de l’allocution de Faure Gnassingbé tendant à peindre un Togo normal en rapport avec les thématiques sus-évoquées sonnent comme une tentative pour emballer son auditoire composée de représentants de haut rang de l’Onu et de ministres de pays membres, qui n’est pas forcément au fait des réalités dans notre pays. Il a en tout cas servi des propos qui sont aux antipodes des réalités vécues et que certains au sein de l’assistance auront sans doute « avalés », et on se fait le devoir de restituer certaines vérités sur les trois principales thématiques abordées, à savoir la promotion des droits de l’Homme, la criminalisation de la torture et les élections transparentes et pacifiques.
Élections crédibles, transparentes sans violence.
Ces propos doivent faire sourire nombre de Togolais, ou plutôt les faire gerber d’entendre Faure Gnassingbé darder à la tribune du Conseil des droits de l’Homme que le pouvoir Rpt/Unir organise des élections aussi vertueuses. L’honnêteté recommande de reconnaître que depuis la présidentielle d’avril 2005 soldée par les violences inouïes et l’assassinat d’un millier de Togolais, juste pour permettre à Faure Gnassingbé de succéder à son père, les quatre autres élections organisées n’ont pas connu autant de violences.
Mais de là à parler de transparence, de crédibilité, d’équité de ces scrutins, la distance est encore considérable. Élection au Togo rime avec fraudes, manœuvres pour favoriser le pouvoir, détournement des suffrages…Les deux législatives de 2007 et de 2013 n’avaient rien d’équitable ; le découpage électoral inique maintenu a fait les affaires du parti au pouvoir qui, même dépassé en termes de voix au total par l’opposition, a plus du double du nombre de ses députés.
Les présidentielles sont les élections qui concentrent les fraudes. Votes multiples des corps habillés, vote des mineurs et des étrangers en faveur du pouvoir, bourrages d’urnes, violences sur les représentants de l’opposition dans les bureaux de vote, nombre de bulletins votés dépassant le total des inscrits, falsifications de procès-verbaux, traficotage des listes électorales, détournement des suffrages…voilà les traits caractéristiques des élections au Togo.
En mars 2010, au-delà des fraudes massives enregistrées, le Vsat installé pour la transmission des résultats a été saboté et le pouvoir a proclamé des chiffres non authentifiés.
En avril 2015, bien que le système Aganahi ait été rejeté et que le pouvoir se soit engagé à ne publier que des résultats fondés sur les PV, il a craché sur sa parole le moment venu. Ce sont des résultats non vérifiés qui ont été proclamés. On se rappelle d’ailleurs le spectacle offert sur la TVT le 28 avril lors de leur proclamation au forceps.
Les réformes constitutionnelles et institutionnelles qui devraient créer certaines conditions de transparence, d’équité, d’ouverture du jeu démocratique et favoriser l’alternance n’ont jamais eu lieu. Les élections ne sont crédibles au Togo que par le cachet apposé par les missions d’observation alimentaires et partisanes, même des instances internationales. Sinon les réalités de terrain sont tout autres. En fait, les observateurs internationaux ferment les yeux sur les énormités, au nom de la paix. Entre-temps, les espèces sonnantes et trébuchantes seraient passées par là. Les vrais critères de transparence réclamés par l’opposition n’ont jamais été concédés…Parler d’élection transparente et crédible au Togo sonne comme une histoire drôle.
Promotion des droits de l’Homme et criminalisation de la torture.
Si la promotion des droits de l’Homme se résume à l’adoption de la loi sur les manifestations publiques, du nouveau Code pénal et autres textes, alors le Togo est un havre des droits de l’Homme et peut se targuer de détrôner la France qui s’affuble depuis longtemps du titre de terre par excellence des droits de l’Homme. Mais il se fait que leur respect constitue l’un des tendons d’Achille du pouvoir de Lomé, et la promotion de l’impunité, l’instrumentalisation de la justice ses autres signes particuliers. Illustration palpable, le refus de rendre justice aux victimes des violences électorales de 2005.
La justice togolaise refuse d’instruire, depuis 10 ans, les plaintes déposées par le biais du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit). Les auteurs des tueries de Mango en novembre 2015 ne sont non plus inquiétés. Le rapport publié il y a quelques jours par Amnesty International sur la situation des droits de l’Homme dans notre pays est suffisamment édifiant.
La criminalisation de la torture « sous toutes ses formes » dans le nouveau Code pénal adopté le 2 novembre 2015 dont s’est vanté Faure Gnassingbé à la tribune du Conseil des droits de l’Homme n’est que partielle. Sur cette criminalisation, il a manqué de dire que le nouveau texte ne rend pas imprescriptibles les crimes de torture. C’est ce qui avait fâché les défenseurs des droits de l’Homme et autres partis politiques.
On se rappelle que le groupe parlementaire Anc avait saisi par courrier en date du 12 novembre 2015, la présidente du Haut-commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN), Awa Nana et Faure Gnassingbé à ce sujet, relevant que le nouveau Code pénal bafoue la recommandation n°2 de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation qui parle de « l’inscription de l’imprescriptibilité du crime de torture dans les textes pénaux », en omettant délibérément l’inscription, en ses articles 198 à 208, de l’imprescriptibilité du crime de torture.
Par ailleurs, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) et sa fédération internationale, la Fiacat, avaient dénoncé la chose dans une déclaration commune rendue publique le 20 novembre 2015. Elles avaient relevé que le Comité contre la torture des Nations Unies avait bien demandé à l’État togolais, dès 2012, d’« inclure l’imprescriptibilité du crime de torture dans le Code pénal et éliminer la disposition de dix ans de prescriptibilité pour les actes de torture ». « Le crime de torture ne saurait, en aucun cas, être prescriptible. Conformément à ses engagements internationaux, le Togo doit impérativement réviser sa législation pénale et conférer un caractère imprescriptible à ce crime », ont-elles indiqué dans le communiqué.
Le speech de Faure Gnassingbé à la tribune du Conseil des droits de l’Homme se révèle finalement comme une opération séduction à coup de contrevérités.
Source : [02/03/2016] Tino Kossi, Liberté