Affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat
Les avocats de la défense prennent le ministre Tchalim au mot et éprouvent sa bonne foi
Détenu à la prison civile de Lomé depuis septembre 2011 après plus de deux ans passés à l’ANR, le député de la Kozah Kpatcha Gnassingbé a reçu dans l’après-midi de dimanche dernier la visite du président de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), Mgr Nicodème Barrigah. Un tête-à-tête qui intervient quelques jours après l’introduction par les avocats de la défense d’une requête en révision du procès.
De sources proches de l’administration pénitentiaire, le président de la CVJR, Mgr Nicodème Barrigah, est allé voir Kpatcha Gnassingbé à son lieu de détention dans l’après-midi de dimanche. « Les deux hommes ont discuté en tête-à-tête pendant plus d’une demi-heure. Aucun agent de l’administration pénitentiaire n’a assisté à cet entretien. Mais à voir le sérieux avec lequel ils se parlaient, il est possible que le prélat soit en mission de bons offices », affirme l’une des sources.
En fait, ce n’est pas la première fois que l’Evêque d’Atakpamé s’intéresse à cette affaire Kpatcha Gnassingbé. Pendant que l’ancien ministre de la Défense et des Anciens Combattants et ses coaccusés étaient détenus à l’ANR, au camp Général Gnassingbé Eyadema et à la Gendarmerie, où ils ne recevaient pas de visite, le prélat avait maintes fois eu à s’entretenir avec des délégations des familles des détenus. Mais il n’est pas arrivé à faire entendre raison au chef de l’Etat qui était décidé à aller jusqu’au bout de sa logique, c’est-à-dire laver le linge sale devant les tribunaux.
Réussira-t-il cette fois-ci à faire fumer le calumet de la paix aux deux fils Gnassingbé ? La question reste posée. En revanche, il faut le rappeler, tous les détenus dans l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat ont introduit, depuis plusieurs mois, une demande de grâce présidentielle. Une sollicitation à laquelle Faure Gnassingbé n’a pas encore donné de suite. Y aurait-il des préalables avant toute libération des détenus ? Est-ce pour cette mission que Mgr Barrigah est allé voir Kpatcha Gnassingbé dimanche dernier ?
Introduction d’une requête en révision
Tout compte fait, à défaut d’avoir la commisération du chef de l’Etat, les avocats de la défense ont introduit vendredi dernier une requête en révision du procès au cours duquel plusieurs irrégularités et exceptions ont été soulevées. Ceux-ci se fondent sur des dispositions pertinentes du Code de procédure pénale comme l’alinéa 4 article 408 que « La révision peut être demandée, quelle que soit la juridiction qui ait statué, au bénéfice de toute personne reconnue auteur d’un crime ou d’un délit : lorsque, après une condamnation, un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats sont représentées, de nature à établir l’innocence du condamné » (point 4). L’élément nouveau ici est le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) qui reconnaît les traitements inhumains cruels et dégradants dont ont été victimes nombre de détenus. « Le droit de demander la révision appartient : 1- au Ministre de la Justice ; 2- au condamné ou, en cas d’incapacité, à son représentant légal ; 3- après la mort ou l’absence déclarée du condamné, à son conjoint, à des enfants, à ses parents, à ses légataires universels, à ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse. La Chambre judiciaire est saisie par son Procureur Général en vertu, soit de l’ordre exprès que le Ministre de la Justice a donné d’offices, soit sur la réclamation des personnes visées aux paragraphes 2 et 3 du présent article », poursuit l’article 409. Et l’alinéa 2 de l’article 410 de préciser : « Avant la transmission à la Cour Suprême, si le condamné est en état de détention, l’exécution peut être suspendue sur l’ordre du ministre de la Justice. A partir de la transmission de la demande à la Chambre judiciaire, la suspension peut être prononcée par arrêt de cette Chambre ».
Pour les avocats de la défense, si la Chambre Judicaire de la Cour Suprême avait à disposition le Rapport d’enquête de la CNDH sur les allégations de torture, elle n’aurait pas rendu sa décision comme elle l’a fait, dans la mesure où les informations obtenues l’ont été sur la base des aveux extorqués sous le coup de la torture. De fait, après les conclusions de la CNDH, il est évident que tous les détenus ont été torturés dans ce dossier dans la mesure où tous ont été détenus au secret pendant plus de deux ans coupés du monde extérieur, privés de la visite de leurs familles, amis, voire de leurs avocats.
Contrairement à ce que dit le rapport de la CNDH, Kpatcha Gnassingbé a été aussi victime des actes inhumains, cruels et dégradants. On s’en souvient, le député avait déclaré à la barre que lorsqu’il fut conduit à l’ANR, le général Titikpina y arriva et demanda qu’on lui mette les menottes, les mains dans le dos et de serrer. « J’attends le feu vert du chef de l’Etat pour t’exécuter et il n’y a que Kadanga pour échouer dans cette attaque », aurait déclaré Titikpina à Kpatcha.
En outre, le gouvernement a pris en conseil des ministres, après la publication du rapport de la CNDH des mesures parmi lesquelles il demandait l’indemnisation des personnes victimes de la torture. Et il se pose la question de savoir si c’est à la prison que ces victimes seront indemnisées. Tout milite donc aujourd’hui en faveur de la libération de ces personnes si l’on prend en compte le contenu du courrier du Garde des Sceaux adressé aux auxiliaires de justice dans le cadre de la prochaine rentrée judiciaire. La charité bien ordonnée commençant par soi-même, il lui revient normalement de donner le ton au renouveau exprimé dans son contenu : « Pour s’y préparer, je demande solennellement à chacun d’entre vous régler ou redresser tels torts, tels manquements, telles fautes ou tels dégâts, révélés ou non, commis au préjudice de citoyens, de principes ou règles déontologiques ou disciplinaires. Vous le ferez d’abord en prenant l’initiative de rembourser, de restituer, d’écrire une lettre d’excuse ou de repentir à qui de droit, de saisir votre hiérarchie ou ordre pour signaler tel cas que vous ne pouvez pas ou ne savez pas régler seul, en vue de solliciter un accompagnement ».
R. K.
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