Nous apprenons dans l´après-midi de vendredi 16 février 2024 que le président de la république sénégalaise, Macky Sall, se serait engagé à faire pleinement exécuter la décision du Conseil constitutionnel annulant le report de l´élection présidentielle. Le chef de l´état aurait promis en même temps de mener, „sans tarder“ et ‘’dans les meilleurs délais’’, les ‘’consultations nécessaires’’ pour l’organisation de l’élection présidentielle. Nul n´est sans savoir que c´est Macky Sall lui-même qui avait mis le feu aux poudres, en annulant, le 3 février dernier, le décret appelant les Sénégalais aux urnes pour élire son successeur. Pour se justifier le président sénégalais avait invoqué des soupçons de corruption concernant des magistrats parmi ceux qui ont procédé à l’examen des 93 dossiers de candidature.
Dans une adresse à la nation, le chef de l´état sortant avait souhaité l’organisation „d’un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive dans un Sénégal apaisé“. Lors du vote à l´assemblée nationale, des députés de l´opposition qui protestaient bruyamment contre cette proposition de Macky Sall furent expulsés de l´hémicycle manu militari. Pendant les nombreuses manifestations organisées par l´opposition pour s´opposer au report de l´élection présidentielle, des heurts entre force de l´ordre et manifestants auraient fait au moins trois victimes à Dakar et à Ziguinchor. Voilà résumée la situation chaotique créée par l´intervention inopportune du président sénégalais, Macky Sall, dans le processus électoral en cours.
Malgré les insuffisances qui pourraient encore être les siennes, la démocratie sénégalaise a atteint un tel niveau, connaît un tel ancrage dans la société, avec des institutions fortes, qu´un individu, qu´il soit président sortant ou autre, ne peut se permettre de manipuler impunément un processus électoral, parce que tout simplement le candidat qui a ses faveurs, n´aurait pas les chances d´être élu. Macky Sall aurait-il lancé un ballon d´essai pour voir la réaction de ses compatriotes et de la classe politique sénégalaise? Il avait peut-être sous-estimé la vieille tradition démocratique de son pays qui passe pour être la plus vieille et la plus enracinée en Afrique de l´ouest. La démocratie sénégalaise a aujourd´hui une telle qualité que même des militaires auraient beaucoup de peine à s´imposer aux populations et à la classe politique de ce pays par un éventuel coup d´état, comme cela se passe plus ou moins facilement ailleurs. Le comportement qui est aujourd´hui celui du président sénégalais, qui semble se plier à la décision du Conseil constitutionnel, ne mérite-t-il pas d´être salué, dans une Afrique où beaucoup de nos supposés chefs d´état, dans une situation similaire, fonceraient dans le mur, même s´il se trouve qu´ils sont mis en minorité dans leur choix? La meilleure qualité d´un être humain n´est-elle pas celle qui consiste à reconnaître sa faute et à se corriger? Avant même l´intervention du Conseil constitutionnel vendredi le 16 février, Macky Sall avait-il déjà remarqué qu´il n´irait pas loin dans cet entêtement sans lendemain? C´est ce que nous croyons, puisque dans son offre de dialogue avec la classe politique, il avait mentionné l´idée d´une loi d´amnistie générale pour apaiser le climat politique, et jeudi 15 février 2024, il a ordonné la libération d´un grand nombre d’activistes et de militants placés en détention depuis plusieurs mois pour plusieurs chefs d’accusation. Même s´il s´agit de libérations provisoires, cette initiative de la part de Macky Sall participe à la décrispation du climat politique.
Comme nous l´avons signalé plus haut, le Conseil constitutionnel a remonté les bretelles au président sénégalais, lui enjoingnant, à lui et à son régime, de faire organiser les élections présidentielles, initialement prévues pour le 25 février prochain, dans les meilleurs délais. Cette haute juridiction sénégalaise a jugé ‘’contraire à la Constitution’’ la loi signée par Macky Sall reportant au 15 décembre prochain l´élection présidentielle, annulant en même temps le décret avec lequel le président sénégalais a renoncé à la convocation des électeurs aux urnes pour l’élection de son successeur, le 25 février. Le chef de l´état sénégalais dont le mandat prend officiellement fin le 02 avril 2024, aurait «pris acte de cette décision du Conseil constitutionnel qui s’inscrit dans le cadre des mécanismes juridictionnels normaux de la démocratie et de l’État de droit tels que consacrés par la Constitution sénégalaise,» selon un communiqué du ministre, porte-parole de la présidence sénégalaise.
Ce positif volte-face de Macky Sall en l´espace de quelques jours n´aurait pas été possible dans un pays ayant des allures d´une république bananière. En effet, dans un pays où le chef de l´état peut faire ce qu´il veut et quand il le veut pour son maintien au pouvoir, parce que justement il n´y aurait ni personne, ni rien pour l´arrêter dans sa folie, un tel coup d´arrêt au processus électoral en cours, tenté par le président sénégalais, serait passé comme une lettre à la poste, et le nombre de victimes au cours des manifestations aurait été plus important. Sur le plan stabilité politique et alternance au sommet de l´état, le Sénégal est l´un des rares pays d´Afrique de l´ouest qui peut se targuer d´être à son quatrième président depuis les indépendances en 1960. Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall. Les deux derniers anciens présidents avant Macky Sall, Abdou Diouf et Abdoulays Wade, étaient sortis de leur réserve pour publier une déclaration conjointe, le 11 février dernier, pour exprimer leur tristesse, présenter leurs condoléances aux familles des Sénégalais ayant perdu la vie au cours des manifestations, et pour appeler la jeunesse, dont ils disent comprendre „les frustrations et le désarroi, à arrêter les violences et la destruction des biens, et surtout à prendre du recul pour ne pas être manipulée par des forces extérieures aux desseins obscurs“. «Nous venons de nous entrerenir longuement au teléphone avec le Président de la République, Monsieur Macky Sall, qui nous a réaffirmé son engagement, pris devant la Nation le 3 juillet dernier, de ne pas briguer un troisième mandat et de quitter le pouvoir aussitôt après l´élection présidentielle. Il a pris l´engagement de ne ménager aucun effort pour préserver la stabilité du Sénégal, nous lui avons demandé d´organiser dans les plus brefs délais le dialogue national qu´il a annoncé et qui, comme nous le souhaitons ardemment, devra déboucher sur une large réconciliation nationale dans le respect de la Constitution et de l´État de droit.»
Nous pouvons ainsi constater qu´un pays comme le Sénégal, qui a une longue tradition dans le domaine de l´alternance au sommet de l´état, ne peut jamais être orphelin et livré à des aventuriers sans foi ni loi. L´exemple sénégalais nous montre, comme s´il en était encore besoin, que l´Afrique a besoin d´institutions fortes pour sa stabilité, et non d´hommes forts. Non seulement le Conseil constitutionnel a ramené Macky Sall à la raison, mais son revirement positif aurait sans doute beaucoup à voir avec l´intervention de ses deux prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Le régime sénégalais, malgré ses incohérences actuelles vis-à-vis du processus électoral, est très loin d´être un régime de dictature et Macky Sall n´est pas un dictateur, comme l´affirment certains de nos pseudo-panafricanistes sur les réseaux sociaux, en relation avec l´attitude du président sénégalais dans la crise de la CEDEAO avec les trois pays de l´AES. Veulent-ils vraiment vivre un régime de dictature et un dictateur qui malmène son peuple? Ils sont donc les bienvenus au Togo, dans ce petit malheureux pays, où tout ce qui s´y passe en termes d´institutions et de gouvernance politiques, est tout le contraire du Sénégal. Oser comparer le Sénégal à notre pays le Togo, reviendrait à comparer le jour et la nuit. Une «petite» crise politique et Macky Sall tend la main à l´opposition, propose un dialogue national, envisage l´idée d´une loi d´amnistie, fait libérer des prisonniers d´opinion, avant que le Conseil constitutionnel ne lui remonte les bretelles. Il écoute les deux anciens présidents et se dit prêt à respecter à la lettre les recommandations de la haute juridiction de son pays.
Au Togo la crise politique, faites d´enlèvements, d´assassinats d´opposants, d´emprisonnements et de départs massifs en exil, dure depuis plus de 30 ans. Mais Faure Gnassingbé, obnubilé par la jouissance aveugle d´un pouvoir politique, assis sur la corruption, la terreur et la peur, non seulement refuse de libérer les prisonniers politiques qui meurent un à un, dont son demi-frère Kpatcha Gnassingbé; mais il refuse également d´ouvrir le jeu politique aux autres Togolais pour décrisper la situation. Les Togolais n´ont ni anciens présidents ou institutions fortes pour leur servir de recours. Poings et pieds liés, ils sont livrés au régime familial Gnassingbé de père en fils, depuis un démi-siècle, soutenu par des intellectuels sans coeur et par une armée tribalo-clanique. La grande différence entre le Sénégal et le Togo, c´est que le Sénégal vit une crise politique momentanée, qui aura son dénouement avec l´élection d´un nouveau président de la république qui ne s´appelera pas Macky Sall. Au Togo, après l´indépendance le 27 avril 1960 et après l´assassinat de Sylvanius Olympio le 13 Janvier 1963, notre pays semble être entré dans un sombre tunnel duquel il tente de sortir depuis bientôt 60 ans. Les opposants togolais, du moins ceux qui le sont encore sincèrement, soutenus par les populations togolaises, comprendront-ils enfin que les élections, quelles qu´elles soient, ne serviront qu´à renforcer le régime de dictature, pour s´unir, s´organiser et mener la vraie lutte pour sauver le Togo?
Samari Tchadjobo
Allemagne