« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise » – Proverbe
RPT / UNIR : Une victoire à la Pyrrhus
L’histoire retiendra que le 53ème sommet de la CEDEAO organisé par le Togo et son président a été le début de la fin de la dictature cinquantenaire. Ce sommet affiche aussi l’assistance que la communauté entend désormais porter aux peuples de la sous-région en prônant la démocratie l’alternance et le respect des droits de l’homme. De ce point de vue et contre toutes les apparences, le sommet a atteint ses objectifs.
Les Soubassements d’une Décision Favorable Au Peuple
Il faut saluer d’emblée le travail remarquable effectué par la facilitation ghanéenne et guinéenne face à un régime dur et tentaculaire. Les facilitateurs ont fait montre d’une connaissance remarquable du dossier togolais, des risques qu’il comporte et des précautions à prendre pour éviter l’échec retentissant de 2005 et les tueries massives dont la communauté se sent responsable.
La CEDEAO est arrivée en terrain difficile avec les précautions dignes d’un démineur attaché à la sauvegarde de tout un peuple. Elle sait qu’elle joue sa crédibilité et même sa simple capacité à assister les peuples en danger sur son aire géographique. Les chefs d’Etats ont bien conscience de la férocité du régime de Lomé 2 et de ses préparatifs en vue de mettre le Togo à feu et à sang si nécessaire ; Ils ont bien conscience que les sièges de Sokodé, Mango, Bafilo, Kara et même Lomé ne sont pas levés. Au contraire, ils se renforcent. Il fallait donc passer entre récifs et brisants disséminés par l’hôte de Lomé et manier comme de la nitroglycérine l’explosif dossier de la crise togolaise. Ils y sont arrivés, même si le communiqué final porte les marques de ces nécessaires précautions. Il faut s’en réjouir.
La CEDEAO a-t-elle réussi son pari de rachat du loupage monumental de 2005 ? Le très proche avenir le dira. Il est toutefois à déplorer le manque de clarté et aussi la pusillanimité à désigner explicitement les vrais blocages imputables au régime hôte. La prise en compte dans la déclaration finale de la nécessité pour le peuple de rendre de supposées armes dérobées est une grossière erreur de la communauté rendue possible par le souci des convenances diplomatiques qui permettent d’aller loin dans les décisions et d’asseoir un règlement de la crise togolaise. Il convient pour les acteurs de corriger au plus tôt possible ces béances exploitables par la junte militaire de Lomé 2.
En apparence le communiqué de la CEDEAO semble reprendre les orientations du pouvoir en place. En apparence seulement. Les décisions vont bien plus loin et scellent, si elles sont bien conduites, la fin de la kleptocratie réfractaire au Togo. Lomé 2 s’est réjoui mezzo voce et les sorties tonitruantes du crypto sage Agba ne suffisent pas à masquer le vrai désarroi du régime. Il n’en mène pas large. Et pour cause ! Le contenu de la feuille de route signe la fin de l’aventure sanguinaire. Il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser.
La feuille de route est ambitieuse Il appert qu’il s’agit de recommandations destinées à inscrire le Togo dans la voie de la démocratie et de la modernité sans oublier la sécurité » juridique des personnes et des biens gages de tout développement. Les facilitateurs soulignent ainsi en creux la nature réelle du régime en place au Togo qui est tout sauf une démocratie. Il est donc à noter que, contrairement à certaines opinions, tous les aspects du problème togolais ont été abordés ; y compris la nécessité d’une transition. Le verrou constitutionnel porté par la périphrase « en aucun cas » pour prévenir définitivement toute dérive monarchique au Togo se lit bien en filigrane. L’économie de la feuille de route indique en pointillé tous ces aspects comme des objectifs réels que la mise en œuvre intégrale des prescriptions devraient permettre d’atteindre. La récurrente question de la candidature de M. Gnassingbé tomberait ainsi d’elle-même si les réformes sont conduites jusqu’au bout.
Le Début de la Fin de la Dictature ?
Le régime de Lomé 2 est soumis à une très forte pression. La CEDEAO sait où réside la racine profonde du mal togolais. Il s’agit de la fraude électorale à répétition au service de la confiscation du pouvoir d’Etat par un cercle d’oligarques sous la protection tutélaire d’une armée clanique. La prophylaxie consiste donc à geler la machine à fraude tout en prescrivant les réformes nécessaires à l’instauration d’un cadre électoral assaini sous la tutelle d’un comité de suivi. La facilitation est bien consciente qu’adresser la question des réformes et de l’assainissement du cadre électoral à un régime dictatorial est un non-sens absolu. Le régime RPT / UNIR ne peut se résoudre à faire les réformes préconisées sans se saborder. Il l’a prouvé à maintes reprises et principalement depuis l’accord politique global (APG) de 2006 qui a été bien plus loin dans la prescription prophylactique nécessaire au mal togolais. Faure Gnassingbé n’a aucune envie de quitter le trône présidentiel. Il considère, à raison, compte tenu de la base électorale réelle de son régime, que l’application de l’APG et aujourd’hui de la feuille de route est un suicide. La sagesse de la feuille de route est donc de proposer à M. Gnassingbé de sortir par la grande porte de l’histoire en mettant le Togo sur les rails de la modernité démocratique et / ou se faire hara-kiri. Telle est l’équation que le RPT / UNIR doit résoudre très rapidement. Sans doute cédera-t-il encore aux charmes vénéneux des manœuvres dilatoires dont il est passé maître. Le régime de Lomé 2 arrivera-t-il à circonvenir le comité de suivi et les facilitateurs de la CEDEAO ? Trouvera-t-il les ressources nécessaires pour atomiser enfin la C14 ? Trouvera-t-il les subterfuges pour échapper à ses responsabilités vis-à-vis du peuple et de la CEDEAO ? La CEDEAO acceptera-t-elle de perdre définitivement sa crédibilité au Togo après le compromettant échec de 2005 ?
Telles semblent être les seules questions pertinentes à poser. La nature profonde du régime togolais le rend incapable de réaliser les réformes préconisées par la CEDEAO et enserrées dans un délai très contraint de 4 mois. La question de la transition pour réaliser les réformes se posera encore très bientôt au Togo. La CEDEAO pourra plus facilement la préconiser en constatant l’inéluctable échec du régime togolais à mettre en place les réformes nécessaires en vue de la résolution de la crise.
Le Monitoring et le Rôle des Acteurs Politiques – Principalement la Coalition des 14
La feuille de route du 31 juillet 2018 ne produira tous ses effets en conduisant le peuple togolais à l’alternance au plus tard en 2020 que si le monitoring et l’accompagnement promis par la CEDEAO sont efficaces et sans complaisance. Il reste que le défi majeur de la réussite réside également dans la capacité de la C14 à se porter au niveau de l’enjeu en donnant la pleine mesure de sa capacité à être une alternative crédible au régime de Lomé 2. La feuille de route et certains aspects des revendications du peuple non explicitement endossés par la CEDEAO traduisent cette méfiance sur les réelles motivations et capacité de la C14 à présider aux destins du Togo. Des errements et certaines erreurs de la C14 ont désarçonné et ralenti l’élan des sympathies envers les revendications légitimes du peuple. Aujourd’hui encore, après près d’une année de regroupement, la C14 n’a pas su désigner un porte-parole. Chaque parti y va de son analyse et de ses commentaires sur la feuille de route de la CEDEAO au point d’introduire des contradictions dans l’action. C’est regrettable. Il faut d’urgence y mettre un terme.
La C14 est aussi à la croisée des chemins. C’est le moment de l’aggiornamento en vue de crédibiliser les actions et les objectifs à travers une plateforme de gouvernement détaillée laissant la porte ouverte à tous les apports, les intelligences et les aptitudes de tout bord. Les 14 leaders doivent enfin quitter les guerres picrocholines de chapelles et d’égo, renoncer aux couleurs de partis, aller aux élections législatives sous la seule bannière de la coalition. Déjà la coalition doit trouver un mode de prise de décision démocratique en son sein qui faciliterait les adhésions et les participations nécessaires à un véritable shadow Cabinet avec des attributions techniques et ministérielles correspondant à tous les secteurs de l’action publique et gouvernementale. Chaque ministère doit avoir son équivalent au sein de la C14 et le titulaire putatif doit être à même de diriger le secteur de sa spécialité à tout moment.
Sur le plan programmatique, la C14 doit mettre à la diffusion le mémorandum et la plate-forme de gouvernement de transition portée à la connaissance des facilitateurs. Les talents disséminés au sein de la classe politique, de la société civile et de la diaspora doivent être recherchés et agrégés. Quel est le programme en définitive au-delà de l’alternance souhaitée par tout un peuple ? La C14 doit situer l’opinion, crédibiliser sa démarche en rassurant le peuple et les acteurs internationaux sur l’avenir de la nation qu’elle ambitionne de diriger.
J’avais suggéré récemment le passage de la C14 à un parti politique puissant avec des courants internes et une clef de répartition équitable de désignation des candidats et des nominations aux postes de responsabilité. Quelles sont réellement les différences insurmontables entre Tikpi Atchadam et Jean-Pierre Fabre ou Adjamagbo et les autres si ce n’est la ligne rougeoyante de l’égo destructeur ? Il n’est pas inutile que les leaders qui réclament à juste titre l’alternance au sommet de l’Etat démontrent leur propre capacité à se remettre en question et à renouveler les cadres de leurs partis. Une attention profonde devrait être portée à cet aspect de la question qui sclérose les méthodes et les actions.
Enfin, la C14 doit se résoudre à céder le pas de la revendication directe à la société civile qui se consolide et devient une alternative crédible dans la lutte politique. Les mouvements comme TOGO DEBOUT, NUBUEKE, ACTD, REJJAD, CODITOGO, CVU, GRAD… doivent prendre une place plus affirmée aux côtés d’une C14 orientée vers la conquête et l’exercice du pouvoir par les urnes.
L’heure est plus que jamais à la mobilisation du peuple en soutien à l’action attentive des acteurs de la C14, avec le renfort de la société civile et de personnes ressources compétentes en vue d’une part, d’exercer le rôle de vigie et de contrôle dans le cadre de l’application de la feuille de route et, d’autre part, de consolider les soubassement d’un futur gouvernement de transition et de plein exercice du pouvoir politique au Togo. L’alternance tant souhaitée par le peuple togolais est au prix de cette exigence.
Jean-Baptiste K.