Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
« Et maintenant quelles sont les perspectives qui s’ouvrent pour nous ? »
En ce moment au Togo, cette question est celle la plus redoutée par les analystes, les hommes politiques, les acteurs de la vie sociopolitique quelle que soit leur tendance, le citoyen lambda comme le spécialiste de Sciences Politiques. En effet plus personne n’ose se prononcer sur l’issue probable de l’imbroglio politique togolais, associé aux suites économiques de la crise sanitaire, etc.
Qu’en déduire ? Au plan politique, le cas togolais serait-il si compliqué, si inédit ?
Deux candidats persuadés d’avoir gagné des élections présidentielles, et réclamant le bénéfice de cette victoire, cela s’est déjà pourtant vu, en Afrique en Guinée Bissau en 2019 notamment, et même aux Etats-Unis avec le récent contentieux entre TRUMP et BIDEN. Et dans de pareils cas, il y a toujours eu une solution proposée par des institutions crédibles. Mais avant cela il y a aussi eu des hypothèses de dénouement à la suite d’une analyse des forces en présence et du contexte national et international.
Au fond au Togo, la question qui se pose ne serait-elle pas plus fondamentalement celle de l’appréciation des forces en présence ? « A qui profite la situation actuelle ? »
En premier lieu et de manière apparente, on peut dire que c’est à la DMK que la situation actuelle est la plus bénéfique. C’est un paradoxe ? Non. En effet, l’impasse actuelle permet à la DMK de toujours exister, de s’exprimer, de tenter de se maintenir et d’entretenir de façon illusoire « l’espoir » chez certains citoyens, ses partisans.
Le deuxième groupe auquel l’actualité, sous forme de problèmes sans solution, profite ce sont les partis politiques de qui on attend toujours des propositions puisque les deux protagonistes du contentieux présidentiel n’en donnent vraiment pas. Ils font des déclarations et ainsi eux aussi continuent à exister, sinon si les deux « présidents » s’entendaient pour une sortie de crise, qu’auraient-ils encore à dire ?
C’est ainsi que plusieurs partis soulèvent aux yeux des citoyens un écran de fumée qui cachent certainement des calculs inavouables, des alliances de l’ombre, mais qui les dispense surtout de répondre en vérité aux questions de fond.
A quels compromis les partis politiques seraient-ils prêts pour que la pelote se dénoue ? Nous vivons une situation de société fondamentalement bloquée et le blocage continue sans une issue pour un vivre ensemble harmonieux.
Le résultat de tout cela c’est qu’en définitive, la situation profite surtout au parti au pouvoir qui gouverne sans être gêné : les autres partis sont paralysés (par quoi ?) et l’état d’urgence permet toutes les décisions. Et le parti au pouvoir se sent tout puissant, au point de réprimer sans limites avec l’assurance d’une impunité qui perdure. Au plan économique, avec des révélations, par la presse, de scandales financiers et des détournements, la pauvreté atteint la majorité des citoyens togolais.
Et les Organisations de la Société Civile? A partir des années 2000 et spécialement 2010, les Africains, ont cru que leur salut était dans une société civile forte. Des OSC ont été créées, elles se sont lancées dans la lutte pour l’instauration de l’Etat de droit démocratique, elles continuent à le faire, mais elles ne semblent pas avoir de solution à proposer, elles non plus.
Les Africains se seraient-ils trompés au sujet de l’apport d’une société civile forte? Certainement pas mais ont-ils mesuré ce que cela demande en vérité ?
Les cas du Burkina Faso et de la RDC devraient donner des clés de lecture pour répondre à notre interrogation. Au Burkina Faso, les choses ont changé parce qu’il y a eu une réelle implication de toutes les composantes de la société. Est-ce la société civile toute seule qui a permis le changement ? D’autres forces ne sont-elles pas intervenues ?
En RDC, on a assisté à une sorte d’alternance à la suite d’une lutte où la société civile s’est largement engagée. Mais la fausse alternance et ce qui s’ensuit maintenant montre la force des multinationales qui entendent continuer à ramasser sans être dérangées, les énormes profits auxquels elles sont habituées depuis le temps colonial.
Par conséquent, Il faut que les citoyens se rendent compte qu’ils n’ont pas à lutter contre tel ou tel parti, pour tel ou tel parti, mais qu’ils ne peuvent faire l’économie d’une réflexion préalable qui prenne en compte les forces qui sont à la source de l’apparent blocage des pays africains.
Cette réflexion doit mettre à nu le défi auquel ils sont confrontés : mettre à mal un système féodal (sur le modèle des sociétés fermées de Karl POPPER) soutenu par toutes sortes de prédateurs qui l’aident à se maintenir contre des avantages financiers. Parmi ces prédateurs, il y a certains Etats qui exigent des pouvoirs africains d’améliorer leur image : ainsi le système féodal s’est affublé des habits de la démocratie sans en adopter le fonctionnement. On est alors coincé avec des institutions qui sont des coquilles vides mais que les gouvernements présentent comme gages de leur désir d’appliquer la Loi.
Enfin si on analyse à fond ce qui bloque la situation des pays africains c’est que souvent il existe un lien fort entre une partie des forces de sécurité et de défense et les puissances financières et économiques. Le cas du Mali est exemplaire dans la démonstration de ce lien.
Quoi qu’il en soit les citoyens sont pris en otage alors qu’ils attendent toujours, en particulier des politiques, qu’il se passe quelque chose. Or, on le voit bien, les politiques ont tout intérêt à ce que le statu quo soit maintenu. Les citoyens se laissent encore berner par les déclarations plus ou moins tapageuses des uns et des autres : ils sont comme des prisonniers qui ne voient pas les barreaux de leurs cellules.
Comment sortir de cette impasse ?
D’abord en redonnant à l’information toute sa place et son importance. En effet, comment se déterminer, comment faire les bons choix de stratégie si on n’est pas vraiment au courant de ce qui se passe, dans le pays et dans le monde ? Or, sous prétexte de déception, ou de manque de foi dans la possibilité du changement, beaucoup de citoyens ne s’intéressent même plus à l’actualité. Il faut qu’ils acceptent d’ouvrir les yeux et les oreilles de nouveau pour saisir où est la fissure d’où on tirera la solution.Voilà pourquoi l’existence d’une presse non seulement indépendante mais soucieuse de la vérité est indispensable pour le déblocage de la situation actuelle, car la bonne information est une ressource vitale et essentielle. C’est pourquoi, au nom de liberté dont doit jouir la presse, nous protestons avec la plus grande véhémence contre la suspension prononcée contre le journal L’Alternative.
Depuis un certain temps on essaie de bâillonner la presse au Togo, par des intimidations de diverses natures : nous les citoyens, nous ne devons pas laisser passer cela. Notre propre liberté dépend de la liberté de la presse. Car un citoyen bien informé est sur la voie de la libération car enfin il voit les barreaux de la prison où on tente de l’enfermer par la désinformation et il les combat. C’est bien de cela que le pouvoir en place a peur en tentant de museler la presse.
Et lorsque nous ouvrons les yeux sur les barreaux extérieurs alors les barreaux intérieurs commencent eux aussi à tomber. De ces barreaux intérieurs, il nous semble que le premier est l’autocensure. Il ne faut pas la confondre avec la prudence qui demande de ne pas donner à l’interlocuteur des armes pour vous battre.
En quoi consiste alors l’autocensure ? A tenter d’anticiper les effets négatifs d’un message et à éviter de le transmettre à cause de cela. Pourquoi est-ce un barreau intérieur ? Parce que celui qui la pratique est centré sur la personne dont il a peur ; il essaie de ne lui déplaire ni dans la forme ni dans le fond du message. Alors ce message se vide de toute vie, de toute substance parce que tout entier destiné à plaire à celui qu’on est censé combattre. On a oublié ceux au nom de qui on parle. C’est comme cela que des membres de diverses organisations ont finalement perdu la face.
On pourrait longuement développer la question des barreaux intérieurs mais la désinformation et l’autocensure nous ont paru ceux contre lesquels le citoyen togolais doit lutter urgemment. De cette façon, on ne rognera plus ses ailes en lui enlevant le droit au rêve, il ne sera plus libre comme un oiseau en cage.
Lomé le 12 février 2021