«Aucune négociation ne peut libérer le peuple d´une dictature. Aucune élection n´a jamais permis aucun changement de pouvoir dans une dictature. C´est simplement factuel, l´histoire des hommes nous l´a démontré…» Kofi Yamgnane, en avril 2024.
Il ne s´agit pas d´être radical ou de critiquer inutilement le travail d´une certaine opposition sur le terrain au Togo. Tout être humain adulte, en possession de tous ses sens, saurait, dans le cadre de la dramatique situation politique de notre pays, quel choix il faudrait faire pour se donner les moyens, afin de venir à bout de ceux qui ne considèrent plus les Togolais comme des humains, mais comme leurs sujets qui n´auraient aucun droit. Il est aujourd´hui plus que clair que l´opposition togolaise, ou ce qu´il en reste, en allant aux élections législatives, accepte la loi de la raison du plus fort. Aucune contestation, contre quoi que ce soit, après les fameuses élections, n´auraient plus aucun sens; puisque que de toutes les façons, nous serions en démocratie au Togo où tous les candidats, dont ceux de l´opposition, battent campagne sans entrave, avec des débats animés. Que voudrait-on encore de plus? Dans son interview donnée sur «TV5 Monde», Gilbert Bawara, l´un des jusqu´au boutistes autour de Faure Gnassingbé, ne dit pas le contraire: «…effectivement la campagne bat son plein et cette campagne est très intense, les débats sont très intenses, une campagne disputée…» À écouter le ministre du régime de dictature togolais, avec son arrogance habituelle et son éternel mépris du peuple, on se croirait au Bénin, au Sénégal, en France, en Allemagne, aux USA ou encore en Grande-Bretagne… des pays où l´alternance est une réalité. Le comportement de ceux qui se disent aujourd´hui de l´opposition au Togo, et qui ont décidé d´aller à ces élections, apporte bien sûr de l´eau au moulin d´un Gilbert Bawara, toujours prêt à débiter des balivernes à dormir debout pour le maintien de sa clique de malfaiteurs au pouvoir.
Que fait-on alors des réfugiés et prisonniers politiques? Que fait-on surtout de la nouvelle constitution, finalement adoptée par l´assemblée nationale de Faure Gnassingbé dont le mandat a expiré depuis plusieurs mois? Une constitution qui fait passer notre pays à un régime parlementaire et en même temps à la 5e république? Mise à part la non-légitimité du parlement togolais pour légiférer, car en fin de mandat, un régime de dictature, vomi et contesté depuis plusieurs décennies par son peuple, a-t-il encore quel pouvoir, ou quelle légitimité, pour décider d´une nouvelle constitution et l´imposer aux Togolais? Lors d´une conférence de presse organisée par le parti politique ANC (Alliance Nationale pour le Changement) le 15 mars 2024 pour protester contre le fait que les «députés» togolais fussent entrain de changer en catimini la constitution pour y introduire le régime parlementaire, le leader de cette formation politique, Monsieur Jean-Pierre Fabre, ne fut pas tendre pour Faure Gnassingbé et son régime: «…on acceptera jamais ce qu’ils sont entrain de faire là…Ce régime est un régime militaire à façade civile. Un régime militaire clanique, tribal à façade civile. Un régime adossé à l’armée…Non, non, ils n’auront jamais l’accord des Togolais…Nous avons en face de nous des gens qui manquent de dignité. Monsieur Faure Gnassingbé ne respecte pas les Togolais.» Après quelques velléités de regroupement et de manifestations de la part de quelques partis politiques autour de l´ANC, plus rien à se mettre sous la dent, les états-majors de beaucoup de partis dits de l´opposition étant trop préoccupés par les législatives et les régionales. Peut-on se libérer d´un régime de dictature, plus que cinquantenaire, comme celui que nous subissons au Togo, par des élections, quelles qu´elles soient? Monsieur Fabre lui-même a reconnu que nous avons affaire au Togo à un régime militaire à façade civile, un régime adossé à l´armée. Et il devrait aujourd´hui être clair pour tout le monde que tout ce que ce régime, avec au centre Faure Gnassingbé, entreprend, pour ne jamais quitter le pouvoir, n´a rien de légitime, et ne repose que sur la force brute. Une assemblée dont le mandat a pris fin depuis longtemps, des textes de la CEDEAO qui disent qu´« aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Faure Gnassingbé s´en moque et préfère le passage en force, vaille que vaille, comme il est arrivé au pouvoir en 2005. Et c´est par des élections législatives qu´une certaine opposition togolaise croit le faire quitter le pouvoir ?
En pays Tem il y a un dicton populaire qui stipule: «Avant qu´une chèvre n´arrache des mains d´une personne un morceau de manioc, c´est qu´elle a remarqué que cette personne se trouve dans un état de faiblesse ou de léthargie.» En d´autres termes, si l´opposition togolaise était vraiment soudée, parlait d´une voix, et avait un objectif clair et précis; si les uns et les autres au sein de cette opposition, n´avaient pas leurs agendas privés et égoïstes, elle devrait savoir que les élections ne sont pas, dans la situation togolaise, la solution, et le pouvoir d´en face réfléchirait par deux fois avant de poser des actes qui vont contre les intérêts du peuple. Nous évoquions tantôt le problème des prisonniers et des exilés politiques. Supposons qu´après le passage en force de Faure Gnassingbé pour imposer sa constitution taillée à sa mesure pour un règne éternel, supposons qu´après les fameuses élections législatives et régionales, tout se passe sans grands accrocs et que la vie politique togolaise continue clopin-clopant; oublierait-on les plusieurs dizaines de prisonniers politiques qui croupissent encore dans les prisons togolaises, dont surtout une femme, Léïla, séparée de son bébé de quelques mois depuis au moins six ans, parce que tout simplement elle est une sympathisante de l´opposition? Oublierait-on des réfugiés politiques comme Salifou Tikpi Atchadam, Olivier Amah, Akila François Boko et beaucoup d´autres? Pour le pouvoir Gnassingbé et ses complices nous savons que ce serait un bon débarras que des opposants intransigeants soient en dehors du territoire national. Et pour l´opposition? Prendrait-elle sur elle que des citoyens finissent leur vie en prison et que des Togolais, la plupart, responsables politiques, meurent un à un à l´étranger, comme Monseigneur Kpodzro et Agbéyomé Kodjo, pendant que des opposants siègent dans une assemblée nationale où ils ne pourront absolument rien faire pour la vraie libération du Togo ?
Voilà comment nous interprétons la participation des partis de l´opposition aux prochaines élections législatives et régionales, dont d´ailleurs le découpage électoral, taillé sciemment pour que UNIR soit toujours au pouvoir, leur est défavorable. Nous lisons ça et là sur des affiches de campagne de certaines formations politiques qu´il faut voter tel ou tel parti politique pour la libération du Togo. Madame Adjamago Johnson, présidente de la DMP (Dynamique pour la Majorité du Peuple), va même jusqu´à accepter le fait accompli en promettant qu´une fois au parlement, ils déboulonneront la dictature: «Donnez-nous ces moyens-là, dès qu´on arrive à l´assemblée, ce qu´ils croient avoir fait contre nous, nous allons le défaire.»Ça donnerait à sourire si la situation de notre pays n´était pas déjà assez dramatique. Nous subissons la dictature des Gnassingbé depuis plus d´un demi-siècle de père en fils. En dehors des massives violations des droits de l´homme et des immenses détournements de fonds publics par nos gounernants, avec en prime, l´impunité garantie aux criminels, quand, au cours de quelle législature, l´opposition togolaise a-t-elle réussi à renverser la tendance au sommet de l´état, parce qu´elle était majoritaire au parlement? Et c´est en 2024, au moment où Faure Gnassingbé fait sienne, au vu et au su de tout le monde, la loi de la raison du plus fort pour ne jamais partir, sans que nous puissions être capables de nous organiser pour l´en empêcher, que l´opposition compte sur des élections législatives pour libérer le Togo avec des instruments démocratiques. Que c´est pathétique!
Quand nous nous opposons à la participation de l´opposition aux élections dans une dictature, comme celle que nous subissons au Togo, on nous demande souvent d´après les avantages d´un éventuel boycott. Certes, il ne suffirait pas de boycotter pour boycotter, mais la situation catastrophique d´ensemble de notre pays nécessite une organisation sérieuse de la part de la vraie opposition qui cherche la vraie libération du Togo d´UNIR et de Faure Gnassingbé. Dans un tel cas où l´opposition vraie, pas celle des opportunistes, parlerait d´une voix en ayant un but précis, comme nous l´avons déjà développé plus haut, le boycott des élections, qui serait suivi d´actions concrètes sur le terrain, servirait à maintenir la flamme de la lutte, à rappeler surtout à l´opinion internationale que les Togolais ploient toujours sous la dictature des Gnassingbé, de père en fils, depuis 60 ans, pendant que tout change positivement autour de nous. Les actions concrètes qui accompagneraient le boycott consisteront, entre autres, à rappeler le sort des nombreux prisonniers politiques que le monarque Faure Gnassingbé refuse de libérer, malgré les nombreuses injonctions des organisations nationales et internationales des droits de l´homme, malgré les nombreux jugements de la cour de justice de la CEDEAO. En allant aux élections, non seulement l´opposition reconnaît et légitime le régime de dictature qu´elle prétend combattre, mais en même temps elle fait oublier la situation des nombreux réfugiés politiques, au lieu d´obliger le régime, surtout Faure Gnassingbé, à décider d´une amnistie générale pour que toutes les filles et tous les fils du Togo puissent revenir librement au bercail, et que des assises nationales soient organisées pour décider surtout des conditions de départ de Faure Gnassingbé du pouvoir. Car, pour une opposition digne de ce nom, c´est de ça qu´il devrait s´agir.
Pendant que les Togolais de la diaspora en Europe et aux USA sont vent debout contre les conséquences néfastes du règne inhumain de Faure Gnassingbé sur la vie quotidienne de nos concitoyens au pays, et surtout contre la révoltante et humiliante réforme constitutionnelle unilatérale imposée aux Togolais par une assemblée nationale illégitime, des opposants sur le terrain n´ont que des élections législatives en tête; élections qui ne changeront absolument rien dans la lutte du peuple togolais pour sa totale libération du joug dictatorial. Malgré tout ça, nous restons optimistes que d´une façon ou d´une autre, le bout du tunnel n´est plus loin; car en toute chose, tout finit par finir un jour.
Samari Tchadjobo
Allemagne