Je l’ai souvent dit, j’aime bien le ministre Robert Dussey. C’est un intellectuel comme nous n’en avons pas beaucoup. Mais c’est aussi un ministre hors-sol (sans aucune connotation négative) qui ne s’intéresse ni à la politique nationale ni à la situation sociale de son pays. Il ne se prononce jamais sur ces sujets- là. Il voyage, fait sa diplomatie, et donne même de loin, l’impression de représenter un pays lisse, transparent, où tout va bien. Bref.
Depuis quelques mois, peut-être quelques années, il serine une petite musique qui monte progressivement en gamme, qu’il appelle panafricanisme.
Les prémices, je les ai retrouvés dans son discours aux Nations Unies, il y a quelques mois, et depuis, il multiplie les sorties et interviews autour de ce nouveau panafricanisme qui tourne autour de trois points principaux, d’après ce que j’ai lu.
1. L’Afrique et les Africains doivent défendre leurs intérêts et se faire respecter.
2. L’Africain doit se retrouver autour de son identité et ses valeurs
3. La diaspora africaine, les Afro descendants et les Africains doivent s’unir dans un vaste mouvement de solidarité horizontale.
Sur papier, ça peut être un bon projet pour un ministre des Affaires étrangères et de l’intégration africaine. Pourquoi pas?
Et pour atteindre son objectif, il a sorti la grosse artillerie. L’Alliance Politique Africaine dont Lomé a abrité le mercredi 03 mai dernier, la toute première conférence des ministres des Affaires étrangères. L’Alliance Politique Africaine (APA) est un cadre informel de coopération renforcée, initié par Robert Dussey et qui réunit 10 pays du continent (Angola, Burkina, RCA, Gabon, Guinée, Libye, Mali, Namibie, Tanzanie et Togo). Donc, oui, pourquoi pas, sauf que cette initiative est contestable sur trois points.
Le premier est que le Togo n’a jamais été à l’avant-garde du panafricanisme. Aujourd’hui, quand on parle de panafricanisme en Afrique c’est peut-être le Mali, le Burkina Faso, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Angola…, autant de pays qu’on retrouve dans l’APA mais le Togo n’a jamais eu de leader dans ce domaine. C’est pour ça que ça ne prend pas. Que les relais populistes comme Seba, Yamb et autres Julius Malema (je parlerai de ces personnes dans une autre publication) se tiennent à l’écart de l’initiative, et voilà que l’initiative a du plomb dans l’aile. La preuve je suis persuadé que beaucoup d’entre vous ne découvriront le panafricanisme institutionnel et made in Togo que par cette publication.
Le second point est que le panafricanisme même reste un mouvement aux contours flous, né pendant les indépendances et galvaudé ensuite en permanence. D’abord, le panafricanisme concerne-t-il les pays du Maghreb, puisqu’ils vivent en Afrique aussi ? Et aujourd’hui, ayons donc le courage de le dire, être panafricaniste c’est être contre l’Occident, voire carrément prorusse. L’idéologie panafricaine est une valeur refuge qui justifie toutes nos incapacités continentales à nous développer et assumer une identité. C’est le sanctuaire de la mal gouvernance, de la corruption, de la gabegie et de tout ce qui se retrouve dans le précédent livre de Robert Dussey (L’Afrique malade de ses hommes politiques). Quand on accuse les Africains des dysfonctionnements de leurs systèmes politiques et économiques, ils répondent que l’Afrique a ses réalités propres qu’il faut respecter. Dans les années 60, beaucoup de pays africains avaient un PIB supérieur à celui de nombreux pays asiatiques. 60 ans plus tard, ce sont ces pays asiatiques qui ravitaillent en tout les pays africains, mais nous avons un argument choc. C’est le panafricanisme, la singularité africaine.
Le troisième point est que le panafricanisme ne viendra pas sauver l’Afrique tant qu’elle ne se suffira pas à elle-même. Et ceci ne se fera pas à coup de slogans lénifiants ou d’incantations révolutionnaires. Le tigre ne proclame pas sa tigritude mais bondit sur sa proie et la dévore. Tant que l’Occident subventionnera les budgets nationaux à hauteur de 2/5, tant que la Chine nous construira nos routes et nos bâtiments, tant que nos dirigeants auront dans les banques suisses autant d’argent que les occidentaux nous donnent en guise d’aide au développement, tant que nous ne serons civilisés que parce qu’ayant des attitudes vestimentaires occidentales, tant que nos enfants pour réussir feront des études supérieures en Occident, et pour finir, tant que notre boisson de référence sera le champagne, nous pouvons nous asseoir sur le panafricanisme. Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore. Faisons comme les Asiatiques, surtout la Chine, soyons puissants, et on se fera respecter. Personne ne respecte le faible, surtout quand il ne fait aucun effort pour s’améliorer.
En conclusion, je crois que ce panafricanisme selon Dussey vivra aussi longtemps qu’il sera à la tête de son ministère, pas plus. Pour moi, c’est juste une perte de ressources. C’est mon avis.
Le plus dramatique dans tout ça, c’est que de pareilles thématiques ne font pas l’objet de débats contradictoires, ni avec des universitaires, ni avec des hommes politiques. Je suis volontiers partant pour un tel débat, uniquement intellectuel. Mais ça ne se fera pas. C’est le Togo.
Voilà, pour ceux qui ont eu le courage de tout lire, que pensez-vous de cette version du panafricanisme ? L’initiative peut-elle réussir ? Dites-le moi en commentaires.
Gambergeons vivants.
Gerry Taama