« Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes » (Blaise Pascal)
Les pays de l’espace CEDEAO considérés jusque-là comme des modèles de démocratie sur le continent, glissent dangereusement. L’idéal démocratique est dévoyé. Les braquages électoraux sont devenus la norme. Les dirigeants manipulent les consultations électorales en leur faveur pour se maintenir au pouvoir. Tous les rapports le confirment, les élections dans la CEDEAO sont très peu démocratiques. « Les élections présidentielles et législatives en Afrique de l’Ouest ont marqué un recul de l’espace civique et des droits humains », notait Civicus Monitor, un outil qui permet d’analyser des données sur l’état des libertés civiques dans 196 pays.
La Côte d’Ivoire et surtout la Guinée et le Togo marqués par des années de régimes autoritaires et de dérives autocratiques nous offrent des exemples édifiants où « les pratiques politiques et sociales semblent bien éloignées des standards de l’élection libre et concurrentielle, ce mètre étalon de la démocratie représentative ». Comme le soulignent Vincent Darracq et Victor Magnani, « dans ces élections, des dirigeants ou des familles fermement installés peuvent s’appuyer dans leur entreprise de conservation du pouvoir sur les moyens de l’État, sur ses fonctionnaires qui deviennent des agents électoraux du parti au pouvoir, sur ses ressources économiques (ou sur celles qu’ils ont personnellement amassées en gérant l’État comme leur bien propre) ».
C’est exactement ce qui s’est passé dans les trois pays cités plus haut où les dirigeants Alassane Ouattara, Alpha Condé et Faure Gnassingbé, porteurs du « syndrome du troisième mandat » contraire aux lois fondamentales de leur pays, ont opéré des hold-up électoraux pour se maintenir au pouvoir, sur fond de violations massives des droits de l’Homme. En Guinée et en Côte d’Ivoire notamment, les répressions des manifestations contre le troisième mandat ont fait plusieurs dizaines de victimes.
Et bien que les scrutins soient entachés de fraudes massives de nature à remettre en cause leur crédibilité, le président français Emmanuel Macron ne s’est pas empêcher de féliciter chaudement ces dictateurs braqueurs d’élections, puis de déléguer son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour représenter la France à leurs investatures.
C’est donc tout naturellement que lors de la visite du chef de la diplomatie togolaise Robert Dussey, l’homme de confiance de Faure Gnassingbé au Quai d’Orsay vendredi, Jean-Yves Le Drian et son hôte se sont « réjouis du bon déroulement des processus électoraux dans plusieurs pays ouest-africains » selon le communiqué qui a sanctionné la rencontre.
De quels pays et processus électoraux parlent-ils ? Même s’ils n’ont pas le courage de mentionner ces Etats, de peur de provoquer l’ire des acteurs pro-démocratie dans ces pays, on sait que, outre le Togo, la Guinée et la Côte d’Ivoire qui sont de véritables calamités démocratiques dans la région ouest-africaine, le Burkina Faso et le Ghana notamment ont également organisé l’année dernière des élections présidentielles qui ont été toutes contestées. Ce sont ces faillites électorales et démocratiques que salue Jean-Yves Le Drian.
Le même Le Drian qui avait vertement fustigé l’attaque du Capitole par les partisans de Donald Trump mi-janvier 2021. « Les violences contre les institutions américaines sont une atteinte grave contre la démocratie. Je les condamne. La volonté et le vote du peuple américain doivent être respectés », avait-il musclé. Mais quand les mêmes actes ignobles sont commis contre la démocratie en Afrique, la France applaudit. Ce qui est intolérable ailleurs est accepté sur le continent noir. Tel est le double visage des dirigeants français. Comme pour dire que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie » ou que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
Médard AMETEPE / Liberté N°3317 du 01-02-21