Présentation du livre de Bassirou Ayéva
«Dehors sale nègre»
Un livre dont le titre annonce les couleurs de ce qu´est vraiment «l´eldorado» allemand ou européen.
«Si nous cultivons l´illusion de rendre le monde habitable seulement pour quelques-uns, nous le rendrons inhabitable pour tous.»
(Kofi Annan, Secretaire Général de l´Organisation des Nations Unies (ONU), décembre 1997-décembre 2006)
C´est avec cette citation de l´ancien patron de l´ONU d´origine africaine, Kofi Annan, que l´auteur choisit de commencer son livre. L´immigration des Africains en Allemagne, ces dernières décennies, l´intolérance, le rejet et le racisme vis-à-vis de ces «nouveaux citoyens» dans un «eldorado» qui n´en est pas forcément un, est l´histoire que Bassirou Ayéva nous raconte dans cette „Correspondance“, comme il désigne lui-même son oeuvre, publiée aux Éditions Kivé à Lomé, au Togo.
Bassirou Ayéva, alias Affoh, est ce journaliste togolais qui vit en exil depuis 1994 à Brême en Allemagne. Il s´y est converti, conjoncturellement, comme il l´écrit lui-même, en éducateur social dans un centre d´acceuil où il s´occupe de réfugiés mineurs non accompagnés. Qui d´autre que lui pouvait alors mieux connaître ce milieu pas comme les autres, vécu quotidiennement, en contact permanent, profession oblige, avec les mineurs sans parents dont il a la charge? Et permettez que j´utilise la première personne pour remercier mon grand cousin Bassirou qui m´a fait honneur en me choisissant pour parler de son livre. Je n´ai pas oublié les années où le journaliste, aujourd´hui en exil, travaillait pour Togo-Presse. Vint le début des années ´90 qui coïncida avec le renouveau démocratique et mes premiers pas en journalisme à la TVT, où les conseils du «grand-frère» me furent d´une importance capitale. Engagé pour la démocratie au Togo et en sa qualité d´un des responsables du Mouvement Patriotique du 5 Octobre (MO5), la persécution et le jeu de cache-cache avec la police politique du régime de dictature, qui cherchait à lui faire la peau, permirent à Bassirou Ayéva de s´habituer, malgré lui, à la dure réalité du réfugié politique qu´il deviendra plus tard.
Et c´est exactement en sa qualité d´exilé politique et en fin connaisseur du milieu, qu´il a décidé de mettre pratiquement les pieds dans le plat en décrivant ce secret de Polichinelle qu´est la dure réalité que représente en fait l´«eldorado» allemand et européen pour les immigrés, surtout africains. Les clichés et les préjugés concernant les étrangers et surtout les noirs, principalement les noirs d´Afrique, quasi quotidiens et omniprésents, en Allemagne, ne sont-ils pas générés par l´ignorance et le refus de s´ouvrir au monde? Et ces clichés et préjugés ne se retrouvent pas uniquement du côte allemand ou européen envers les immigrés, surtout noirs. Les immigrés en Allemagne ont aussi leur part de responsabilité dans «l´étiquetage» des Allemands de souche selon leurs habitudes et leur comportement dans la vie de tous les jours.
«Ce livre est un carnet de route, conçu depuis la fin des années 1990 à nos jours. Il est un résultat de l´observation du fonctionnement de la société allemande, plus particulièrement brêmoise, vécue, célébrée, observée ou subie par un réfugié mineur. Tout ceci, à partir d´une irrésistible immersion d´un journaliste conjoncturellement converti en travailleur social, à l´intérieur de l´âme fragile et bien souvent imperméable d´un demandeur d´asile mineur non accompagné…» Voilà comment l´auteur lui-même résume son oeuvre, sa correspondance, dans laquelle il a tenu à mettre en exergue les dures réalités africaines, comme les guerres civiles, les dictatures, la pauvreté, qui ont poussé des milliers, sinon des millions de noirs d´Afrique subsaharienne, à s´exiler au début des années ´90, et en même temps montrer que leur nouvelle terre d´asile, en Europe et surtout en Allemagne, n´est pas forcément exempte de travers sociaux et humains, comme le rejet, les préjugés et le racisme. Et pour mieux présenter cette „Correspondance“ parlante, l´auteur met en scène un jeune immigré mineur, non accompagné, du nom de Hope, qui écrit «15 lettres d´Allemagne» à sa mère restée au pays pour lui rappeler les dures réalités qui furent les causes de son départ, et surtout pour lui narrer, presque quotidiennement, ses déceptions et ses désillusions, en tant que réfugié et en tant que nouvel arrivant dans ce monde des Blancs ici à Brême, en Allemagne. En terminant ses échanges avec sa mère, Hope n´a pas manqué de parler du rêve qui le hante et qui consiste à ce qu´un jour toutes ces discriminations, ces préjugés de part et d´autre, ce racisme, prennent fin pour que l´Allemagne, l´Europe et le monde entier soient une terre d´hospitalité pour tous les hommes et toutes les femmes, quelle que soit leur origine, quelle que soit la couleur de leur peau.
Pour insister sur le fait que nous devrions garder l´espoir qu´un jour tout débouche sur un horizon d´un monde viable pour tous, malgré les difficultés du moment, Bassirou Ayéva met en scène, comme dans une pièce de théatre, trois personnages d´horizons différents, à savoir: un Africain, un Turc et un Allemand de souche. Les trois jeunes gens, chacun représentant sa société d´origine avec ses préjugés et ses clichés envers les autres et vice-versa, s´invectivent en se jetant à la face des étiquettes qui sont tout le contraire des conditions d´un vivre-ensemble harmonieux. Pour l´Allemand, la tête bourrée d´images négatives véhiculées par les médias sur le Noir d´Afrique, qui ne peut être qu´un affamé vivant en brousse, il est inconcevable qu´il puisse se faire des amis au sein d´une telle société, où la violence, le bruit et la saleté seraient omniprésents. Une telle affirmation de la part du jeune Allemand de souche vaut en partie pour le Turc. Le Noir de son côté, considère le Turc et tous les autres Blancs d´Europe de l´Est vivant en Allemagne, comme des moins que rien qui ne pourraient pas prétendre avoir la valeur d´un Allemand, d´un Français, d´un Américain ou d´un Anglais, qui seraient de vrais Blancs, tandis que Les Grecs, les Turcs, les Albanais, les Russes, les Kurdes etc…sont surnommés par les Africains vivant en Allemagne des «faux Blancs».
Heureusement, au cours de la représentation théatrale mise en scène par l´auteur, les trois acteurs reconnaissent petit à petit que toutes ces considérations négatives sur l´autre, à cause de son origine ou de la couleur de sa peau, ne sont nullement fondées, bien que chaque société ait ses travers et ses brebis galeuses, que ce soit en Afrique, en Allemagne, ou partout ailleurs. Le jeune Allemand, malgré son arrogance et le caractère imbu de sa personne du début, finit par reconnaître qu´il faut un peu plus de tolérance, un peu plus de connaissance de l´autre pour pouvoir l´accepter comme il est; et que c´est tout à fait normal qu´un Noir, comme son co-acteur dans la représentation théatrale, puisse brandir un passeport allemand et se vanter d´être de ce pays. Les trois finirent par être d´accord que c´est le refus de connaître l´autre pour l´accepter comme il est, et non comme les rumeurs veulent qu´il soit, qui est la mère de toutes les discriminations, de tous les préjugés. Qui mieux que Marcus, l´Allemand, l´Européen des trois acteurs, de qui viennent la plupart du temps, ces tares humaines comme l´arrogance, le sentiment de supériorité et le racisme, pouvait conclure sur ce ton réconciliateur?: «Apprenons à mieux nous connaître, et disons ensemble: halte au racisme et pour l´amitié entre les peuples.» (Les trois amis s´embrassent, quittent la scène et les rideaux se ferment.)
À tous ceux qui se font encore des illusions, à tous ceux qui rêvent encore et croient que l´Allemagne ou l´Europe constitue l´eldorado tant vanté, dont il suffit de fouler le sol pour connaître le paradis sur terre, et qui, malgré le rejet, les préjugés, et le racisme, fondent leur espoir que le monde de demain, avec un peu plus d´efforts, avec moins d´ignorance, devienne vivable pour tous sur la terre entière, ce livre devrait servir de bouquin de chevet à lire absolument.
Samari Tchadjobo
Allemagne