Une atteinte aux droits des prévenus et une entorse aux droits de l’homme
Lorsqu’on n’a pas dans sa famille un parent en détention préventive depuis des années, on ne peut pas comprendre. Quand on n’est pas soi-même considéré comme un oubli par les autorités judiciaires, il est impossible de s’indigner de la situation que vivent certains prévenus dans les prisons togolaises. En 2019, une seule assise, et aucune en 2020. Alors que des citoyens en conflit avec la loi auraient pu recouvrer leur liberté si les assises étaient régulièrement tenues. Une atteinte aux droits des prévenus et aux droits de l’homme qui interpelle.
Auront-elles lieu en 2021 ? Rien n’est moins sûr. Mais que doivent faire ceux des prévenus qui fondaient leur espoir de recouvrer leur liberté au bout d’années de privation de liberté ?
Du 15 juillet au 3 août 2019 pour la Cour d’appel de Lomé, et du 11 au 23 novembre 2019 pour la Cour d’appel de Kara, se sont tenues les dernières assises au Togo. Et depuis, plus rien. Mais même pour qu’elles aient lieu, il a presque fallu déterminer le sexe des anges, tellement les autorités arguaient le manque de moyens financiers. Et, tenez-vous bien, pour des besoins estimés à 53 millions FCFA, il a fallu que ce soit l’Union Européenne qui vienne au secours de la justice togolaise à hauteur de 40 millions pour que ces assistes puissent se tenir. Nous étions en 2019.
Durant toute l’année 2020, ni Lomé, ni Kara n’ont connu d’audiences pour juger des crimes, viols, détournements et autres crimes. Certains estiment que c’est le fait de la survenue de la pandémie de la Covid-19. D’autres estiment que par rapport au délai prévu qui est de 11 ans, l’Etat togolais serait toujours dans le temps. Mais même au niveau des magistrats, bien malin qui pourra dire les raisons qui motivent la non tenue des assises. « Avec la nouvelle loi sur les tribunaux de grandes instances, tout est à revoir », estiment certains. Un autre juge pense qu’« avec ce coronavirus, la priorité devrait être d’abord aux affectations des magistrats ». Mais un autre a presque touché du doigt la réalité. « Rien n’est clair à ce sujet. Mais il faut reconnaître que les fonds pour l’organisation des assises font cruellement défaut ». En plein dans le mille. Et c’est là que ça fâche.
D’abord si c’était le fait du coronavirus, 2019 devraient voir deux assises se tenir à Lomé. Mais tel n’avait pas été le cas ; or en cette année, personne ne parlait coronavirus. Ensuite, s’agissant des délais prescrits, ce serait comme si l’Etat pourrait se permettre de laisser passer des années sans tenir d’assises et situer des prévenus sur leurs sorts. Il semble que le nerf de la guerre serait la raison fondamentale.
53 millions pour faire tenir des assises et pour lesquels les autorités judiciaires sont obligées de se tourner vers un bailleur. Et pourtant, une dizaine de milliards avaient été décaissés pour moderniser l’état de la justice togolaise. Pendant ce temps, d’autres citoyens se permettent de faire mains basses sur les recettes du mécanisme d’ajustement des prix des produits pétroliers. Pendant ce temps encore, des fonds d’entretien routier prennent des chemins autres que ceux du trésor public…
Et ce sont les droits des prévenus qui sont bafoués
« Nous avons le devoir de faire de notre justice une référence positive et de notre pays une vitrine des droits de l’homme. Notre investissement personnel ne peut s’expliquer que par cette volonté », déclarait Kodjo Gnambi Garba, Procureur général près la Cour d’appel de Lomé. C’était à l’ouverture de la première session de la Cour d’appel de Lomé en 2018. Parlons justement de la vitrine des droits de l’homme. Juillet 2019-janvier 2021. Déjà 18 mois que les prévenus n’ont pas été jugés pour être condamnés ou libérés. Or, il y en a qui, assurément, devraient recouvrer leur liberté si 2019 avait vu se tenir la 2ème assise. Ou si 2020 avait connu la tenue des deux assises officiellement reconnues. Mais parce que la question du manque de fonds se poserait, ces citoyens en conflit avec la loi sont comme « oubliés ». Leurs droits ne sont plus reconnus.
Chose bizarre, le ministère trouvera l’argent pour ouvrir des maisons de justice, ou d’autres tribunaux de grandes instances. On a souvent entendu des magistrats dont Pius Agbetomey dire qu’une journée de détention, c’est déjà trop. Et qu’en cas de doute dans une affaire, le doute profite à la victime. Nous avons toujours sur le cœur ce prévenu que nous avons visité, Laurent Kpogo, accusé en 2013 d’homicide volontaire ou involontaire sur la personne d’un agent des forces de l’ordre. Lequel agent n’a jamais été retrouvé pour confrontation. Et depuis, ce compatriote croupit à la prison civile de Lomé. Tout comme d’autres qui devraient être élargis si vraiment, le Togo se voulait « une vitrine des droits de l’homme ».« L’Etat fait des efforts pour que la justice soit rendue le plus rapidement possible. Ces efforts méritent d’être soutenus et accompagnés, car la justice pénale est trop coûteuse. A titre d’illustration, la présente session a nécessité la mobilisation de cinquante-trois millions deux cent soixante-quinze mille cinq cent francs CFA. Cette enveloppe financière a pu être mobilisée grâce à la bonne coopération qui existe entre notre pays et l’Union Européenne qui, à travers le Programme d’Appui au Secteur de la Justice (PASJ), a débloqué quarante millions quatre cent soixante-quinze mille neuf cent francs (40.475.900) CFA », peut-on lire dans le réquisitoire du Procureur général lors de l’ouverture de la session de juillet 2019. 53 millions pour rendre justice, trop peu, très insignifiant pour féliciter. Mais même cet « effort » n’a pu être renouveler en 2020. Triste sort que celui des prévenus au Togo.
Pour confirmer nos doutes, nous avons touché le parquet général à travers la personne de Kodjo Gnambi Garba, Procureur général. Mais jusqu’à la parution de l’article, il ne nous est pas revenu.
Des élus du peuple muets tels des carpes sur la question
Suffit-il aux députés de la VIème législature de percevoir régulièrement leurs émoluments pour se considérer comme tels ? Le vote des lois fait partie intégrante de leurs prérogatives. Hormis leur zèle à proposer des textes qui vont au-delà du projet de loi introduit par l’exécutif et qui déroulent le tapis rouge au maître de céans, on attend toujours de voir ces élus impacter l’actuelle législature. Et pourquoi ce ne serait pas par une proposition de loi de programmation judiciaire ciblée ?
Si les députés ont pu lever la main et donner le quitus à la ministre des Armées pour une loi de programmation militaire qui nécessitera plus de 722 milliards FCFA au cours des cinq prochaines années, ils peuvent aussi initier une proposition de loi qui exige que, conformément aux textes en vigueur, les prévenus accusés de vols, viols et meurtres soient effectivement jugés deux fois dans l’année dans chaque Cour d’appel. Et ça ne coûtera pas les yeux de la tête. Comment ? Explication.
En partant du principe que le montant moyen pour faire tenir une assise est de 50 millions FCFA comme en juillet 2019 (53 millions plus exactement), les Cours d’appel de Lomé et de Kara, en organisant deux assises chacune annuellement, auront besoin chacune d’une centaine de millions FCFA annuellement. Et sur les cinq prochaines années, comme pour le secteur militaire, les députés voteront un budget affecté spécialement à la tenue des assises et qui ne dépassera pas, après arithmétique, un milliard FCFA. Comparé aux 722 milliards FCFA pour l’armée, il faut reconnaître que ce n’est pas si salé comme addition. Mais la question est de savoir si les députés, plus préoccupés par autres choses, feront l’examen introspectif et reconnaître qu’il est temps pour eux de marquer leur passage du côté des prisons civiles du Togo. On attend de voir, même si le doute est permis.
Godson K.
Source : Liberté N°3314 du Mercredi 27 Janvier 2021