Une bonne page de l’Histoire politique du Togo a été tournée samedi dernier. Le Rassemblement du peuple togolais (Rpt), le plus vieux parti politique a été dissous, et dans la foulée un autre a été porté sur les fonts baptismaux, il s’agit de l’Union pour la République (UNIR). Se défaire de l’« encombrant » Rpt, créer son propre parti et avoir les coudées franches afin d’appliquer son « programme de développement en faveur du Togo », c’est un projet nourri depuis quelques années par Faure Gnassingbé. Et aujourd’hui il peut dire ouf. Mais le processus n’aura été qu’une suite d’escroqueries : intellectuelle et politique.
Blitta, le rendez-vous de l’hypocrisie et de l’arnaque intellectuelle
« Congrès de refondation : Anticiper pour faire face aux enjeux de demain », tel est le thème autour duquel a tourné le congrès. Une formation politique qui ne régénère et ne s’adapte pas aux exigences de l’heure et aux enjeux futurs est appelée à disparaître. Ainsi dit, le commun des observateurs devrait croire que les travaux de ce congrès de Blitta allaient être juste consacrés à la recherche de voies et moyens pour réadapter le parti aux enjeux actuels. « Mettre le parti au diapason du changement », c’est d’ailleurs le maître mot des partisans de cette aventure avec Faure Gnassingbé. Les discours sont même allés dans ce sens. Surtout ceux de Faure Gnassingbé lui-même, tant à l’ouverture qu’à la clôture. Morceaux choisis : « Le congrès permet de marquer un arrêt et de réfléchir (…). Je vous invite à profiter de ce congrès pour mettre le parti au diapason du changement et ainsi éviter l’immobilisme qui nous conduirait à l’impasse » ; « Je voudrais vous inviter tous, chers congressistes, à mettre à profit nos assises de ce jour pour repenser l’avenir avec audace. C’est notre responsabilité en tant que grand parti de remodeler le Togo pour le mettre au diapason d’un monde en perpétuel changement » ; « Vous avez fait le bon choix, car pour vivre, se régénérer à nouveau et donner des fruits en abondance, le grain se doit de donner toute sa substance, tout son être, tout de lui-même afin qu’une nouvelle plante grandisse et porte en elle, la promesse d’une nouvelle moisson, plus abondante » ; « Au regard de notre cheminement, nous avions besoin d’un temps d’arrêt pour faire le bilan et opérer les choix stratégiques devant guider notre quête de progrès et d’un avenir meilleur pour notre pays le Togo » ; « En décidant en effet de modifier les textes qui régissent le fonctionnement de notre grand parti, le Rassemblement du Peuple togolais afin de lui permettre de s’ouvrir à d’autres formations politiques pour créer un nouveau cadre d’expression à l’intention de tous nos compatriotes qui le souhaitent, vous leur avez donné de nouveaux repères face aux incertitudes qui nous envahissent. Vous vous êtes inscrits dans la voie du progrès et dans la dynamique de l’histoire ».
Pour le commun des citoyens qui n’est pas dans le secret des dieux, plutôt de Faure Gnassingbé, les assises de Blitta visent juste à refonder le parti. Et dans le Petit Larousse Illustré, refonder signifie reconstruire sur des bases, des valeurs nouvelles. Mais dans le glossaire de l’« Esprit nouveau », refonder veut dire faire disparaître, dissoudre. Ce thème n’est donc qu’une arnaque intellectuelle. Du blaguer-tuer, dira-t-on du côté d’Abidjan.
« Papa Eyadéma, nous ne t’oublierons jamais ». C’est le message que l’on pouvait lire sur les tee-shirts blancs arborés par les congressistes. Un message d’amour qui devrait a priori faire chaud au cœur de son destinataire, dans l’au-delà. Mais voilà, ceux qui feignent de lui rendre cet hommage allaient faire disparaître le parti cher à lui qu’il a créé en 1969 et qui lui a permis de régner durant 38 ans sans partage sur le Togo et de sauvegarder le pouvoir dans le giron familial même après sa mort. Si Faure Gnassingbé et ses affidés aimaient réellement le « Vieux », pourquoi mettre fin aux jours de ce parti avant de porter le leur sur les fonts baptismaux, alors que la norme voudrait que les formations politiques cohabitent ? C’est une drôle d’amour que celui déclamé à cette occasion, et on parie que le « Baobab » s’est remué dans sa tombe. C’aurait été de son vivant qu’il fondrait son fiel dans un casier de la bière brune d’inspiration locale –suivez les regards.
La grande escroquerie politique
Il est constant que le « Leader nouveau » doit tout au Rpt, du moins son poste actuel. C’est sous le sceau de ce parti qu’il s’était présenté aux présidentielles du 24 avril 2005 et du 4 mars 2010 et les a « gagnées ». Le grand profiteur de la majorité acquise par le parti cher à Eyadéma aux législatives du 14 octobre 2007, c’est encore lui. Jusqu’à tout récemment, le Rpt était à ses yeux le meilleur parti qui puisse exister au Togo et qui fait même dans l’excès de transparence lors des élections (confer Solitoki Esso). Mais tout d’un coup, il est devenu un parti qui porte la peste et qu’il faut éviter à tout prix. Soit !
Cette vue des choses est sans doute partagée, car ce parti est à la source des malheurs du peuple togolais. Le Rpt, c’est ce parti qui a confisqué le pouvoir depuis 1969 et n’entend pas le lâcher, qui s’y maintient à coups de fraudes électorales, de tripatouillages de la Constitution et bien d’autres procédés peu orthodoxes. C’est encore ce parti qui appauvrit les populations et les maintient dans la misère. Ce sont ses cadres placés à la tête de grandes sociétés et des services administratifs qui font dans le détournement et des malversations de toutes sortes. Le Rpt, c’est tout un système pourri, qui traîne une mauvaise image qui ne sied réellement pas à l’« Esprit nouveau ». Mais les Togolais regrettent seulement que ce soit maintenant qu’il s’en rende compte.
Quand on refuse de manger une viande, on ne la partage pas avec ses dents, dit l’adage populaire. Mais Faure Gnassingbé semble prouver le contraire. Il a certainement raison de se défaire du Rpt, et le bon sens voudrait qu’il coupe toute relation avec ce parti. La formule idéale serait qu’il se retire tout simplement et aille créer son propre parti. Agbeyomé Kodjo et Dahuku Péré ont déjà donné le ton. Qu’à cela ne tienne, il a décidé de dissoudre le Rpt. Mais c’est la suite qui est moins compréhensible. Au cours de ce congrès de Blitta qui a acté la dissolution, il a été convenu que les actifs de ce parti soient versés à une certaine Fondation Eyadéma. Quant à ses militants et cadres, Faure Gnassingbé les récupère dans son UNIR. A preuve, à moins que les images soient traficotées, ce sont pratiquement les mêmes qui ont enterré le Rpt à Blitta quelques heures plutôt qui se sont retrouvés à Atakpamé pour donner naissance au nouveau bébé. Ils étaient bien visibles sur les écrans à l’assemblée constitutive de l’UNIR, d’Abass Bonfoh à Solitoki Esso en passant par Komikpime Bamnante. Le Secrétaire général du parti défunt l’a même confirmé, dans une interview accordée à republicoftogo, en laissant entendre que l’aventure se fera, « bien sûr avec les militants du RPT, mais aussi avec de nouvelles personnalités ».
Même si on clame haut et fort que les cadres de ce nouveau parti seront de nouvelles têtes, personne ne s’y trompe, une bonne part de ces barons rejoindra Faure Gnassingbé. Par cupidité ou par peur d’être vus en opposants à son initiative. Et ce sont eux qui joueront le vrai rôle mobilisateur, en attendant que ces fameuses nouvelles têtes n’aient la main, surtout que les échéances législatives et locales sont à nos portes. Faure a beau proclamer sa rupture et dissoudre le parti, ce n’est qu’avec les militants, le vivier électoral du Rpt qu’il peut composer.Il l’a compris très tôt, et c’est ce qui transparaît à travers ce passage de son discours : « Un parti politique, c’est avant tout les militants. Ils sont comme la sève vivifiante qui irrigue l’arbre. Ce sont les militants qui sillonnent les villages et les hameaux pour se mettre à l’écoute des Togolais et capter leurs aspirations profondes, leurs préoccupations mais aussi leurs espoirs».
Au demeurant, ce feuilleton de dissolution du Rpt n’est rien d’autre que de l’escroquerie politique. Et tout semble planifié depuis l’amont, à écouter le président du Comité d’organisation de ce cirque, Komikpime Bamnante. Il s’agissait de « Baliser la voie au Président de la République afin qu’il ait les coudées franches pour appliquer son programme de développement en faveur du Togo » et « permettre aussi à ceux qui veulent se joindre au Président de la République pour la construction du pays, de le faire ».
Tino Kossi
liberte-togo.com