« On n´est pas couché », c´est le nom de l´émission à laquelle participait le premier ministre français Manuel Valls sur France 2 Samedi dernier.
Interrogé par l´humoriste Jérémy Ferrari sur la présence de certains chefs d’état dans le cortège du 11 janvier 2015 après l’attentat de Charlie Hebdo, Manuel Valls a fini par lâcher la phrase qui fait aujourd´hui scandale, en tout cas du côté officiel gabonais.
Jérémy Ferrari : « Comment vous expliquez qu’Ali Bongo se retrouve en tête d’une marche pour la liberté d’expression ? »
Manuel Valls : « Dans cette manifestation, il y avait des chefs d’Etat et de gouvernement. Vous retenez Ali Bongo, moi je retiens surtout un autre Africain, élu lui,: Ibrahim Boubacar Keïta , le président du Mali ».
Jérémy Ferrari : « Ah, parce qu’il n’est pas élu Ali Bongo finalement ? »
Manuel Valls : « Non, pas comme on l’entend. »
Une petite phrase apparemment anodine, prononcée en quelques fractions de seconde pouvait être passée inaperçue s´il elle n´était pas lourde de sens.En effet les relations entre les anciennes colonies françaises d´Afrique et la France suscitent beaucoup d´intérêt et surtout beaucoup de passion vu la méthode pas très gentille, sinon criminelle utilisée par l´ancien colonisateur pour maintenir l´Afrique francophone dans son giron et l´empêcher par conséquent de se développer.
Et l´entreprise mafieuse que nous nommons par « Françafrique » est la main gauche mise en place pour saper les « indépendances » accordées par la main droite. Donc la France a une grande part de responsabilité dans la descente aux enfers du continent noir francophone depuis les années 60.
Et c´est pourquoi une telle phrase, si courte soit-elle, venant d´un responsable politique français rappelle toutes les rancœurs, toutes les victimes des dictatures, rappelle surtout l´histoire de tous ces présidents africains mal élus ou pas du tout élus et qui s´accrochent au pouvoir.
Nous savons tous que les hommes politiques, que ce soit en démocratie ou en dictature, ont tous une vie privée, et que ce qu´ils disent en public ne reflète pas forcément leur point de vue en privé.
Le premier ministre français, peut-être acculé par les questions de l´humoriste, a-t-il oublié de couvrir sa phrase d´un vernis diplomatique, ou a-t-il exprimé exprès ce que beaucoup d´hommes politiques français pensent en privé mais n´osent pas dire en public?
Moi personnellement je pencherai pour la deuxième hypothèse.
Manuel Valls sait ce qu´il fait. Samedi il avait décidé de se débarrasser de cette hypocrisie dont les politiques français ont le secret surtout quand il s´agit de l´Afrique francophone.
En Avril 2012 l´élection de Bongo-fils avait été critiquée dans les mêmes termes que Manuel Valls par un certain François Hollande.
En pleine campagne pour la présidentielle, celui-ci est alors interviewé par Médiapart, et doit répondre à une question similaire : « Est-ce que vous estimez que l’élection à la présidence du Gabon d’Ali Bongo a été truquée ? » Et François Hollande de rétorquer : « Je ne sais pas si elle a été truquée, en tout cas elle n’était pas dans les critères de ce que l’on peut appeler des élections démocratiques » .
François Hollande n´était à l´époque que candidat et sa parole n´engageait donc que lui seul, et non la France.
Mais une fois installé à l´Élysée, Hollande a continué sur les pas de ses prédécesseurs, recevant Ali Bongo dès Juillet 2012 alors qu´il avait promis mettre fin à la Françafrique.
Manuel Valls ne se trouve pas dans la situation dans laquelle était François Hollande en 2012; il est le premier ministre de la France et tout ce qu´il dit peut être interprété comme la position officielle de son gouvernement.
Aujourd´hui on peut remarquer une certaine discrétion de la primature française sur cette affaire qui tente de corriger le « faux pas » de Valls en faisant recevoir l´ambassadeur du Gabon dont Libreville exige le retour au pays pour « consultations ».
Quelle que soit la gymnastique côté français pour minimiser l´incident les choses ne seront plus jamais comme avant entre Valls et le « prince-héritier » de Libreville.
Prince-héritier! les togolais ont aussi le leur et doivent se sentir concernés et surtout encouragés dans leur lutte par le courage du locataire de Matignon.
Pour nous démocrates africains la petite phrase de Manuel Valls vient porter de l´eau à notre moulin et surtout au moulin de l´opposition gabonaise qui avait à l´époque dénoncé les circonstances anti-démocratiques de l´élection d´Ali Bongo.
Le premier ministre français, en parlant du mal élu Ali Bongo indexe indirectement tous les dirigeants africains qui cherchent à mourir au pouvoir et dont la plupart n´ont aucune légitimité de leurs peuples.
Et les cas togolais et gabonais se ressemblent par le fait que les deux « présidents » respectifs sont au pouvoir à la suite de la mort de leurs pères, même si le sang a plus coulé à Lomé qu´à Libreville.
Manuel Valls dans sa réponse au comédien Ferrari pouvait rallonger la liste des présidents mal élus en citant Faure Gnassingbé du Togo, car nous savons tous qu´il n´était pas élu comme on l´entend, notre « Ali » togolais.
Mais cela suffira-t-il pour que Ali Bongo et tous les mal élus en Afrique quittent le pouvoir? Non, nous ne sommes pas si naïfs pour croire que le clin d´oeil « pas très gentil » de Valls à Bongo suffira à lui seul pour mettre fin à la Françafrique. La petite phrase de Manuel Valls ne sera pas une garantie pour que par exemple au Togo les résultats sortis des urnes soient ceux qui seront proclamés aux prochaines élections présidentielles. Que ce soit à Lomé, à Libreville, à Brazzaville ou à Kinshasa ils sont si arrogants, si cupides, si égoïstes et surtout si méchants pour ne pas se laisser impressionner par une phrase d´un responsable politique français.
Ali Bongo ne va pas quitter le pouvoir parce que le premier ministre français a dit qu´il n´était pas élu comme on l´entend.
Faure Gnassingbé et son entourage se sentiront indirectement concernés par la petite phrase assassine de Valls, certes, mais ce n´est pas demain qu´ils décideront d´eux-mêmes de libérer le peuple togolais qu´il malmènent depuis un demi-siècle. L´histoire des peuples du monde nous enseigne que les dirigeants, quels que soient leurs pays, sont au pouvoir pour les intérêts de leurs électeurs. Et ce sont des africains naïfs qui avaient cru que l´élection de Barack Obama à la Maison Blanche devait faire de l´Afrique un paradis sur terre.
De même, si d´aventure Manuel Valls devenait un jour locataire de l´Élysée, il ne va sans doute plus se rappeler de cette phrase prononcée Samedi sur France 2. Ainsi va le monde. Ainsi vont la politique et les relations entre états où seuls les intérêts constituent la boussole qui montre le chemin à suivre.
Il revient donc aux togolais, aux gabonais et à tous les africains qui végètent encore sous quelque joug que ce soit de le comprendre et de s´organiser intelligemment pour se libérer.
Attendre qu´un Samaritain arrive un jour à l´Élysée pour décider de laisser l´Afrique francophone choisir librement ses dirigeants, serait donner la chance à la Françafrique d´avoir encore de beaux jours devant elle.
Samari Tchadjobo
Allemagne