Soixante ans après, le panafricanisme attend toujours d’être sauvé. Mais, comment compter sur ceux qui ont choisi d’en faire un gagne-pain facile ?
D’une manière ou d’une autre, l’Afrique commémorera, ce 25 mai, le soixantième de la création, en 1963, de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue, depuis, l’Union africaine. Que peut, que devrait célébrer le continent, en souvenir de cet événement qu’accueillait alors l’Éthiopie impériale ?
Il convient, avant tout, de rappeler la puissance du symbole qui a voulu que ce sommet, première manifestation concrète du panafricanisme en terre africaine, ait été accueilli par l’empereur Haïlé Sélassié, alors considéré comme un dieu vivant, et pas seulement par les rastafaris. Marcus Garvey, pionnier du panafricanisme, invitait les peuples noirs d’Afrique à croire en ce Négus comme en leur Dieu, tout comme d’autres croient au Dieu d’Isaac et de Jacob. « Nous, les Noirs, croyons au Dieu d’Éthiopie, le Dieu éternel, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de tous les âges », écrivait ce Jamaïcain, surnommé « le Moïse noir ».
En mai 1963, l’hémisphère nord du continent n’était plus sous domination, à part les colonies portugaises. Et la moitié sud, à quelques exceptions près, était encore sous le joug colonial ou sous apartheid. La mission impérieuse assignée à l’OUA était alors de parachever la libération du continent. Elle y parviendra. S’il n’y avait qu’une seule réussite, palpable, à célébrer, ce 25 mai, ce serait, justement, l’accession de toutes les nations à la souveraineté internationale. Certains peuples ont, d’ailleurs, consenti de lourds sacrifices, pour que d’autres se libèrent. Dans cette Afrique-là, la solidarité avait un sens.
Faut-il comprendre que l’échec, sur les autres plans, est total ?
Il serait injuste et faux d’insinuer, sans nuances, que l’échec, partout ailleurs, est total. Certes, nombre de succès enregistrés s’avéreront éphémères, avec, parfois, de terribles reculs, des désillusions, vécues par les peuples comme autant de trahisons. L’indépendance n’ayant pas été partout concédée de bonne grâce, la tentation d’un retour en force était grande, dans certaines des anciennes métropoles. Quelques-unes sont revenues, en se glissant, parfois, sous les traits des dirigeants africains eux-mêmes. On parlait alors de néocolonialisme.
Dans cette Afrique tiraillée, les réussites pouvaient n’être que quelques bonnes inspirations, comme celle qui a conduit à la création, en 1964, de la Banque africaine de développement, censée mobiliser des moyens financiers, pour faire reculer la pauvreté. La pauvreté sur le continent demeure effrayante, mais la Bad a su devenir une institution crédible, parce que les États ont su se tenir à l’écart, pour laisser les compétences africaines gérer, dans le sens de l’intérêt général.
Lorsqu’à la suite du premier choc pétrolier (1973-1974), le Nigeria, du fait du quadruplement du prix du baril, s’est retrouvé avec d’importantes réserves, il a choisi d’en affecter une partie à un Fonds spécial géré par la Bad, avec un guichet dédié, qui permet, depuis 1976, d’allouer à d’autres États africains des prêts à taux concessionnels. Le succès, ici aussi, tenait à la solidarité panafricaine.
De l’OUA à l’UA, le problème du continent ne serait-il pas, justement, le déficit de solidarité ?
Il est même beaucoup plus grave, puisque l’on baigne aussi dans un affligeant déficit de leadership. Comme si, au fil des ans, l’Afrique sombrait dans une raréfaction de dirigeants d’envergure. Nous serions bien en peine, si l’on nous sommait de citer, parmi les dirigeants actuels, cinq de l’envergure de ceux qui étaient à Addis-Abeba en 1963, et qui savaient indiquer le cap, alors que les peuples, aujourd’hui, en sont réduits à subir des dirigeants embourbés dans l’improvisation.
Quant au panafricanisme, il s’est, peu à peu, vidé de son sens, pour n’être plus qu’un déroutant produit d’appel pour certains et, pour d’autres, le métier qu’ils n’ont pas appris, et dont ils s’acharnent à vouloir vivre, jusqu’à l’indécence, à coups d’approximations.
Et l’on a d’autant plus mal qu’en matière de panafricanisme, les maîtres à penser, sur le continent comme dans la diaspora, étaient de prestigieuses figures tutélaires, dont les noms sonnent comme un manifeste, qui devrait interdire de s’accommoder de l’échec avec une si déconcertante constance.
Jean-Baptiste Placca