Après la proclamation de l’indépendance et l’intégration du Togo au concert des nations par sa demande d’adhésion à ONU, le gouvernement de Sylvanus OLYMPIO commence à nouer des relations diplomatiques, d’abord au plan sous-régional en recevant successivement à Lomé, début juillet 1960, le chef d’Etat de la Guinée-Conakry, Ahmed Sékou TOURE, et le Premier ministre Alhaji Sir Abu Bakar TAFAWA BALEWA, Premier Ministre de la plus grande nation africaine : l’Etat fédéral du Nigeria.
Nous publions ci-dessous, la présentation faite par la presse officielle d’alors de ces deux événements.
Lomé, le 3 décembre 2022
Claude AMEGANVI,
Secrétaire chargé de la coordination du Parti des travailleurs du Togo.
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La visite attendue d’Alhaji Sir Abu Bakar TAFAWA BALEWA
Arrive à Lomé aujourd’hui, pour une visite de quelques heures, un grand personnage, relativement peu connu en dehors de l’Afrique anglophone, mais dont la redoutable tâche est de gérer la destinée de la plus grande-des nations africaines.
Alhaji Sir Abu Bakar Tafawa Balewa, est Premier Ministre de la Fédération du Nigeria depuis bientôt trois ans. Il est le premier à occuper cette fonction.
Au dernier recensement, on accordait au Nigeria quelques 3l millions d’habitant, chiffre que la croissance naturelle aurait porté depuis à 30 millions. Toutefois le recensement ghanéen ayant montré une sous-estimation de 22 p.c. dans les recensements antérieurs, on croit que la sous-estimation doit être encore plus grande au Nigeria, pays vaste et plus indirectement administré, du temps colonial. On lui accorde aujourd’hui officieusement une population d’environ 40 millions.
Le « premier » de cette immense masse humaine, qui deviendra indépendant le 1er Octobre, est né à Bauchi en 1912. Il est Haoussa – ou plus précisément, Djéré. Son père était au service de l’Emir de Bauchi.
A quatre ans, sa famille quittait Bauchi pour le village dont il a fait sien le nom : Tafawa Balewa. Là, il fut l’un des premiers enfants musulmans autorisés par leurs pères à fréquenter l’école.
A seize ans, il est entré à l’école de Katsina, puis il est devenu professeur de géographie et d’histoire à Bauchi. Passionné de linguistique, il manie la langue anglaise d’une façon que beaucoup d’Anglais lui envient.
Devenu directeur de son école en 1944, il est allé par la suite à l’Université de Londres pour un an. A son retour, il est nommé directeur de l’éducation de l’émirat, et membre du Conseil de l’Emir.
A partir de ce moment, sa promotion politique a été rapide : il fut élu aux élections de la première législature du Nigeria du Nord en 1946, puis au Conseil Législatif Nigérien où on le surnommait « La voix d’or du Nord ».
Devenu Ministre des Travaux Publics en 1952, il s’est vu ajouté le poste de Ministre des Transports l’année suivante. Il a assisté à toutes les conférences (…) constitutionnelles », pour préparer le Nigeria à l’indépendance, (…)
Après la conférence de 1957, où le poste de « premier fédéral » fut institué, il est allé à La Mecque, d’où vient son titre « Alhaji ». Le 1er janvier de cette année, la reine l’a fait chevalier, d’où vient le préfix « Sir ».
Pour ses admirateurs. Sir Abu Bakar a le génie de faire travailler même ses ennemis politiques, le don de la modération, un attachement sincère aux valeurs démocratiques. Pour ses critiques, c’est un homme du nord ultra-conservateur qui est influencé par les traditions quelque peu féodales de cette immense région septentrionale, dont la population équivaut à celle de l’ex-A.O,F. et l’ex-AEF.
Malgré une santé fébrile, c’est un bourreau du travail.
Certains admirent sa simplicité un peu hautaine, d’autres lui reprochent de ne pas avoir assez de « personnalité ». II est vrai qu’il est plus à l’aise dans une réunion, même turbulente, de cabinet, que devant une foule dans un meeting électoral ; et que son succès dépend davantage de son efficacité que de sa popularité. Mais beaucoup qui lui ont reproché d’être « le candidat du gouverneur-général » ont fini par admettre que ce dernier n’a pas mal choisi.
Sir Abu Bakar vient à Lomé pour des entretiens avec Mr. Olympio. Les deux premiers ministres, qui se sont connus à Monrovia en janvier et qui ont gardé, chacun, une très bonne impression de l’autre, parleront certainement du projet de notre premier ministre concernant la création d’une organisation de coopération économique africaine, projet qui a déjà reçu une approbation de principe de Sir Abu Bakar.
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SEKOU TOURE : « OUI » POUR LES OPPOSITIONS CONSTRUCTIVES,
« NON » AU MARCHE COMMUN.
Mr. Sékou Touré, président de la Guinée, a déclaré hier au cours d’une conférence de presse qu’une opposition était nécessaire en démocratie. Bien que la Guinée n’eût qu’un seul parti politique, de grandes divergences de vues existaient à l’intérieur de son comité directeur, et c’était en confrontant différents points de vue qu’on dégagea « le point de vue guinéen ».
Mr. Touré, très détendu bien que souffrant d’une fracture douloureuse de l’orteil, a reçu la Presse dans la salle de réception au premier étage de l’ancien Premier Ministère. Vêtu d’une agbada guinéenne, en tissu de teinture bleue traditionnelle, et portant le célèbre « chapeau Sékou » en peau de mouton blanche, le président parla avec son éloquence et sa spontanéité habituelle, ne s’arrêtant que pour allumer une cigarette de temps en temps.
Sommé de définir les bases de l’unité africaine, Mr. Touré a répondu que les pays africains cherchaient « cette unité qui permettrait leur relèvement économique, social et culturel et qui renforcerait leur stabilité morale ». Cette unité présupposait légalité entre tous les pays participant à l’union. Elle ne serait efficace que si chacun des pays avait confiance en son utilité.
Une Ambassade à Lomé ?
Interrogé sur le point de savoir si la Guinée aurait une ambassade à Lomé, Mr. Touré s’est borné à dire qu’un échange d’ambassades entre les deux pays serait « naturel et logique », sans parler de dates.
On lui demanda comment la Guinée avait réalisé l’unité politique. Le président répondit que sur le plan philosophique, cette unité n’existait pas et n’exilerait sans doute jamais,
« Mais sur le plan historique, cette unité existe, ajouta-t-.il. Malgré la diversité de formations, religieuses, politiques, spirituelles, nous sommes unis dans le but, c’est sur cette unité-là que repose toute l’œuvre de mon gouvernement. »
C’est cette réponse qu’appela la question : « Croyez-vous qu’une opposition constructive est à souhaiter ou à bannir ? »
« Tout n’est que moyen ».
Sékou Touré commença par un de ses dictons préférés : « Tout n’est que moyen pour l’homme ». Un parti politique, selon le président, n’est pas un fait en soi : c’est un moyen. Donc, tout parti, tout groupement politique dont le but était souhaitable était, à l’analyse, un moyen souhaitable. Une opposition créait de l’émulation entre les hommes. Une telle émulation pourrait servir. Tout ce qui servait le bien national était légitime. Sans opposition, il n’y avait pas de démocratie. Tout parti, toute union démocratique « reconnaît explicitement la diversité des vues, la nécessité du choix ».
L’opposition qui pourrait exister à l’intérieur d’un parti national se justifiait par l’avantage qu’elle apportait, et une telle opposition existait aux niveaux les plus élevés du gouvernement guinéen, conclua Mr. Touré.
Interrogé sur le point de savoir si une union Guinée-Mali n’était pas plus naturelle qu’une union Guinée-Ghana, Sékou Touré déclara qu’il existait « une » culture africaine qui réunissait les Africains davantage que les liens venant d’une culture européenne partagée. Le Togolais avait davantage de liens communs avec le Ghanéen qu’avec le Français, par exemple.
Un journaliste togolais ayant demandé au président si le syndicalisme, auquel Mr. Touré devait sa carrière politique, était mort en Guinée, le président l’invita à assister au prochain congrès des syndicats guinéens, aux frais de ces syndicats.
L’Afrique non-développée.
Interrogé sur le Marché Commun, Mr. Touré exprima des doutes sur la possibilité pour l’Afrique, « composée de pays non seulement sous-développés, mais non-développés », de s’associer, dans un même marché, avec des économies plus avancées. Mais il estimait que le Marché Commun « correspond aux besoins évolutifs de certains pays ».
Arrivé samedi, le président a été salué à la frontière par le Premier Ministre, qui le conduisit, en décapotable, au Palais, où les honneurs militaires lui étaient rendus et où les corps constitués, la magistrature et les directeurs des services gouvernementaux lui ont été présenté s. Dans un discours adressé à tous ceux rassemblés dans le parc du Palais, Mr. Touré a rendu hommage à l’universalité des Togolais en Afrique et au rôle d’avant-garde du Togo dans le mouvement anti-colonialiste,
Le président a été l’invité d’honneur à une réception donnée à la Chambre par le président Savi de Tové et à une réception de gala au Palais. Il a fait une courte visite à la ville, où régnait une atmosphère de fête.
La matinée du dimanche a été consacrée à des entretiens avec le Premier Ministre, chacun des hommes d’Etat étant assisté d’un nombre restreint de ministres. Du coté togolais, s’y trouvaient MM. Paulin Akouété, Ministre du Travail et Théophile Mally, Ministre de l’Intérieur. Du côté guinéen, Mr. Saïfoulaye Diallo, Président de l’Assemblée, Mr. Kéita Fodéba, Ministre de la Défense et de la Sûreté, Mr. Abdoulaye Diallo, Ministre-résidant à Accra, et Mr. Naby Issa, Ambassadeur à Monrovia.
Le Communiqué :
Peu avant le départ des visiteurs guinéens, dans un avion prêté par le Président de la Tchécoslovaquie et qui les emmena, à Accra, les deux chefs d’Etat ont communiqué à la presse un communiqué conjoint. Le voici :
« Son Excellence Sékou Touré, Président de la République de Guinée, a rendu une visite d’amitié à son Excellence Sylvanus Olympio, Premier Ministre de la République Togolaise.
« Les deux chefs d’Etat, assistés de leurs collaborateurs, ont examiné l’évolution actuelle de leur propre pays dans le cadre du développement historique de l1indépendance et de l’Unité Africaine.
« Ils seront félicités de leur identité de vues sur la nécessité de renforcer la coopération des Etats indépendants africains, dans le respect mutuel de leur personnalité et de leurs intérêts propres, de poursuivre des efforts communs en vue de la décolonisation complète de leurs pays respectifs.
« Ils ont décidé de consolider les relations d’amitié et de solidarité de leurs deux Etats et d’apporter une contribution efficace à la libération totale des pays africains et à la formation des Etats-Unis d’Afrique dans l’intérêt bien compris des populations africaines. »
Après son départ d’Accra, la délégation guinéenne s’arrêta à Abidjan, où le Président Touré compte renouer des liens d’amitié avec celui qui a été, d’abord son chef, puis son ennemi, politique : Mr. Félix Houphouët-Boigny.
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PROGRAMME TAFAWA BALEWA.
Le Premier Ministre du Nigeria arrive aujourd’hui, par un avion du Nigérian Airways, vers 13 heures 20, accompagné d’une suite de huit personnes, venant d’Accra, où il a assisté aux fêtes républicaines.
Après les formalités d’usage à l’aéroport (garde d’honneur, présentation du corps diplomatique, etc,) Sir Abu Bakar prendra part à un déjeuner intime au Palais.
Dans l’après-midi, il aura des entretiens avec le Premier Ministre et ses collaborateurs, suivis d’une visite rapide de la ville, qui doit commencer à 17 heures 15.
Cinq membres de la délégation repartiront aujourd’hui, par l’avion, pour Lagos.
Sir Abu Bakar, accompagné du Chef Kolawolé Balogun, Commissaire du Nigeria au Ghana, et de deux hauts-fonctionnaires, passera la nuit à Lomé.
Il assistera à la réception qui sera donnée ce soir à l’Hôtel Le Bénin, par le Chargé d’Affaires ad intérim des Etats-Unis, pour marquer le 4 Juillet, Journée de l’Indépendance des Etats-Unis.
Après, le Premier Nigérien sera l’invité d’honneur à un dîner offert par le Président de la Chambre des Députés, Mr. Savi de Tové,
(Le Togo, Bulletin d’information, n°01187 du 4 juillet 1960, pages 1-4)