Empoisonné, Arafat ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, ont répondu les scientifiques suisses. Une prudence qui trahit leur extrême embarras.
De notre correspondant à Genève, Ian Hamel
Le dirigeant palestinien Yasser Arafat est-il mort des suites d’un empoisonnement au polonium le 11 novembre 2004 à l’hôpital Percy, en France ? Jeudi, au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne, les deux experts suisses auteurs du rapport médico-légal sur feu le président Yasser Arafat n’ont pas exactement répondu à la question. Patrice Mangin, directeur du Centre universitaire romand de médecine légale, et François Bochud, directeur de l’Institut de radiophysique, déclarent à la fois que l’on ne peut pas exclure que le polonium ait causé la mort du leader palestinien, mais que les analyses ne permettent pas de conclure de « manière catégorique » que le décès est dû à ce produit… Malgré tout, le professeur Patrice Mangin a laissé entendre que le décès « pourrait être la conséquence d’un empoisonnement au polonium 210 ».
Neutralité suisse
Une réponse de Normand ou plutôt de Suisse. L’expertise des chercheurs de Lausanne est reconnue mondialement. Dans le passé, ils ont été sollicités pour l’attentat de Lockerbie en 1988, comme pour la mort de la princesse Diana en 1997, les suicides suspects de prisonniers à Guantánamo en 2006, ou encore la mort du magistrat français Bernard Borrel à Djibouti. À leurs compétences s’ajoute la fameuse neutralité suisse. Citoyens d’un pays qui ne joue pas dans la cour des grands, les chercheurs du bord du lac Léman n’ont pas la réputation de faire entrer des considérations géopolitiques dans leurs rapports scientifiques. C’est donc tout naturellement que l’Autorité palestinienne les a mandatés pour autopsier le corps de Yasser Arafat en novembre 2012 à Ramallah.
Seulement voilà : le rapport médico-légal du CHUV de 108 pages, révélant qu’une forte concentration de polonium – mais également de plomb – a été découverte dans le corps du leader palestinien, « aurait dû rester confidentiel au moins pendant dix jours », reconnaît Marc Bonnant, l’avocat suisse de Souha Arafat, la veuve de Yasser Arafat, dans le quotidien Le Temps. « Les proportions de polonium relevées ne sauraient être expliquées autrement que par un empoisonnement. Une contamination naturelle est exclue », ajoute le ténor du barreau genevois.
Un microgramme pour tuer un homme
Le contenu de ce rapport daté du 5 novembre a été révélé dès le lendemain par la chaîne Al Jazeera, avant même que Berne ne consulte toutes les parties concernées par ces révélations, des Palestiniens aux Américains, en passant par les Français et les Russes. Si les Palestiniens en particulier, et le monde arabe en général, sont unanimes pour désigner un coupable, en l’occurrence Israël, en revanche Souha Arafat, qui entretient des relations exécrables avec l’Autorité palestinienne, ne veut pas exclure une « dissidence palestinienne ». D’où l’extrême embarras du CHUV, accroché à sa neutralité et à sa réputation.
Jacques Baud, un ancien membre des services de renseignements suisses, auteur de l’ouvrage Le renseignement et la lutte contre le terrorisme (*), souligne que les Israéliens auraient les moyens de se procurer du polonium dans leur centre de recherche nucléaire dans le désert du Néguev. Par ailleurs, si un simple microgramme de cet élément chimique extrêmement rare peut tuer un homme, la facture est tout de même estimée à un million de dollars. Ce n’est pas à la portée du premier terroriste venu.
Cela dit, c’est le 12 octobre 2004 que Yasser Arafat a été pris de vomissements après le dîner. Or, assiégé par l’armée israélienne, il ne peut quitter la Mouqata’a, le siège de l’Autorité palestinienne, depuis deux ans. Qui aurait pu lui faire avaler une boisson contenant du polonium ou lui souffler cette poudre, inodore et sans saveur, dans le visage sinon l’un de ses proches ?
(*) Éditions Lavauzelle, 412 pages
source : lepoint.fr
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