Deux ans après le refus par la justice d’homologuer une procédure de plaider-coupable, le milliardaire breton conteste son renvoi devant le tribunal, notamment au motif que sa présomption d’innocence a été bafouée. Réponse de la cour d’appel ce mardi 28 février.
Réentendu, à sa demande, par la juge d’instruction chargée de l’affaire de corruption au Togo il y a un an, Vincent Bolloré a livré ses sentiments sur le dossier judiciaire qui le poursuit depuis bientôt dix ans. « En résumé, nous avons le sentiment d’avoir été piégés, et pour ne pas dire trahis, dans cette affaire », a-t-il conclu, rappelant qu’il avait toujours contesté « vigoureusement » la commission d’une quelconque infraction pénale et qu’il n’avait agi que « dans l’intérêt primordial de l’avenir des sociétés du groupe ».
Mis en examen en 2018 pour corruption dans l’enquête sur l’attribution de la gestion du port de Lomé, tout comme Gilles Alix, directeur général du groupe, l’homme d’affaires breton avait tenté d’éviter un long procès devant le tribunal correctionnel en négociant avec le Parquet national financier (PNF) une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC, sorte de « plaider-coupable » à la française). Celle-ci prévoyait une amende de 375 000 euros.
Dans cette affaire, les juges d’instruction du pôle financier du tribunal de Paris, saisis depuis 2013, soupçonnent le groupe Bolloré d’avoir utilisé les activités de conseil politique de sa filiale Euro RSCG (devenue Havas) pour décrocher frauduleusement la gestion des ports de Lomé et de Conakry (Guinée), au bénéfice d’une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics (anciennement appelée SDV). Une partie des poursuites concernant la Guinée a finalement été annulée en 2019, pour cause de prescription. Reste le Togo.
Un procès public
Lors de l’audience d’homologation de la CRPC en février 2021, Vincent Bolloré et Gilles Alix, ainsi que Jean-Philippe Dorent, directeur international de l’agence Havas également mis en examen, avaient reconnu les faits reprochés, mais le tribunal avait estimé qu’il était « nécessaire » que les trois hommes comparaissent devant le tribunal correctionnel pour un procès public.
Devant la juge d’instruction, Vincent Bolloré est revenu sur cette audience, évoquant pour son groupe un véritable « cataclysme » :
« Après m’avoir fait comparaître à la barre pour me demander si j’acceptais la peine proposée par le Parquet national financier et si, dans ce cadre-là, je reconnaissais les faits, deux questions auxquelles j’ai bien entendu acquiescé pour les besoins de la réalisation de l’accord global qui avait été négocié depuis près de trois mois, Madame la présidente s’est retirée pour délibérer puis est revenue dans la salle d’audience pour m’indiquer que l’homologation de la CRPC était refusée. »
Comme le veut la procédure, l’information judiciaire avait donc été rouverte, le temps pour le parquet de rédiger son réquisitoire définitif et pour la juge d’instruction de rendre son ordonnance de renvoi. Sauf que les avocats de Vincent Bolloré et Gilles Alix ont déposé plusieurs requêtes en nullité, arguant notamment que la présomption d’innocence de leurs clients n’était plus respectée. La procédure dite CRPC, dans laquelle ils reconnaissent leur culpabilité, a en effet été versée au dossier. Comment dès lors se défendre devant un tribunal, notent les conseils des hommes d’affaires ? Ils ont demandé l’annulation de toute l’enquête, au motif d’une « atteinte irrémédiable à l’équité globale de la procédure », et ont plaidé lors d’une audience le 7 février.
« Absence de reconnaissance formelle »
« Les magistrats ont été très attentifs à l’examen de tous les moyens et ont laissé chacun s’exprimer, y compris sur le sujet principal : l’annulation pure et simple de la procédure compte tenu de l’atteinte à la présomption d’innocence de Vincent Bolloré », avait déclaré Me Olivier Baratelli, l’avocat du milliardaire, à l’issue de cette audience.
Me Jérôme Karsenti, avocat de l’association de lutte contre la corruption Anticor et de l’ONG Sherpa, parties civiles, a rappelé que l’homologation d’une CRPC n’était pas automatique et reflétait l’indépendance de la justice. L’avocat s’est également penché sur la reconnaissance de culpabilité de Vincent Bolloré, qui en réalité n’a jamais reconnu son intention claire de corruption dans l’affaire du Togo. L’homme d’affaires a en effet expliqué avoir « cédé » à la CRPC pour préserver son groupe et ses 80 000 salariés, et non parce qu’il était coupable.
« Il insiste tout au long de son courrier sur sa volonté de préserver l’avenir de sa société et agir uniquement à cette fin, insiste Me Karsenti. Il y a donc une absence de reconnaissance formelle de Vincent Bolloré. » Et donc une absence d’atteinte à sa présomption d’innocence.
La réponse de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris est attendue ce mardi 28 février.
Nouvelobs