Comme nous l’indiquions dans le numéro 379 du 27 septembre, l’Union européenne a financé une conférence dite de haut niveau sur le thème « les enjeux démocratiques et la consolidation de la paix ». A l’occasion de cette conférence tenue le vendredi dernier dans un hôtel de Lomé, Patrick Spirlet, chef de la délégation de l’Union européenne au Togo a prononcé un discours qui se présente comme un diagnostic pertinent de la situation politique compliquée du pays. Mais alors, se demande-t-on, Bruxelles doit-elle se contenter d’un tel diagnostic et se résigner à financer des élections qui, au lieu d’éclairer l’horizon politique, l’assombrissent encore et encore.
Les mots de M. Spirlet
Après avoir situé le contexte de la conférence, M . Spirlet s’est essayé à dresser le tableau de l’évolution de la politique togolaise ces dernières années et les grands questionnements qui devraient occuper les participants à la conférence.
Au sujet du contexte de la conférence, M. Spirlet a indiqué que l’initiative est une suite logique des « leçons basées sur les recommandations (des) missions d’observation électorale » « à la suite des deux scrutins législatif et présidentiel de 2007 et 2010 ». De ces leçons sont nées des résolutions qui portent essentiellement sur le financements de différents programmes dont « un programme d’éducation à la citoyenneté et à la culture démocratique ; la promotion de la participation des femmes dans la vie politique ; la formation des forces de sécurité, les ateliers de formation en administration électorale BRIDGE pour le renforcement des capacités de la CENI, des partis politiques, de la société civile, etc. » M. Spirlet a souligné dans la foulée que la conférence du vendredi dernier constitue « le point d’orgue du dernier volet, celui de la formation et sensibilisation .des acteurs sur les processus électoraux ».
Au volet du tableau politique du pays, M. Spirlet signale que « le contexte politique est caractérisé par une crise de confiance profonde entre le pouvoir et une grande partie de l’opposition qui va au-delà de la bipolarisation « historique ». Il a également rappelé les faits saillants ayant marqué les dernières années notamment la scission de l’UFC et la création de l’ANC, l’exclusion des députés de l’ANC, les deux versions différentes du rapport de la CNDH ; sans oublier les multiples initiatives de dialogue. En liaison avec ce dernier point, M. Spirlet a relevé que « le débat portant sur l’ordre des thèmes de discussion …aura finalement limité la participation à ce dialogue essentiel ». Il en déduit une conclusion logique selon laquelle la crise politique connaît une tension croissante. M. Spirlet a ainsi déclaré que « aujourd’hui, quelles que soient les initiatives, la tension s’est accrue sur base de polémiques, de mesures d’apaisement ou d’exacerbation, de manifestations ou de réactions parfois excessives ».
Reprenant à son compte la définition d’une société démocratique proposée par le philosophe français Paul Ricœur, le chef de la délégation de l’UE au Togo en a établi l’évidence selon laquelle « le débat contradictoire est …essentiel ». D’où des interrogations logiques telles : « comment gérer (les) contradictions dans l’intérêt ? Quels mécanismes pour en assurer le correct arbitrage ? Quel rôle pour les leaders politiques alors même que les élites politiques sont de plus en plus déconnectées de leur base ? » Des interrogations valables pour l’Afrique de l’Ouest certes mais également pour le Togo bien que le problème togolais requière des questionnements spécifiques. M. Spirlet en trouve cinq (5) qui s’énoncent ainsi : « comment parvenir à l’alternance ? est-ce le préalable ou l’éventuelle conséquence du jeu démocratique ? Comment assurer la confiance dans les processus électoraux ? Quelles sont les clés pour en assurer la crédibilité et la transparence ? Quel (sic) rôle et responsabilité pour l’opposition fragmentée et avec peu de moyens ? »
Un dialogue sans doute pertinent
Le tableau dressé par M. Spirlet est presque exempt de reproches. Sous réserve de s’assurer réellement de l’intention du diplomate à travers le questionnement selon lequel l’alternance est-il un préalable ou une conséquence éventuelle du jeu démocratique le tableau fait le point pertinent de la situation politique de même qu’il pose les vraies questions.
Tout le monde applaudirait des deux mains en lisant que M. Spirlet a évoqué la crise de confiance qui existe entre les acteurs de la classe politique togolaise. C’est en effet un secret de Polichinelle que si beaucoup d’initiatives de dialogues ou de scrutins à organiser sont plombées au départ, avant même leur mise en œuvre, c’est essentiellement parce que par exemple les forces d’opposition, se fondant sur le passé, soupçonnent le pouvoir de vouloir les tourner une fois en bourrique en faisant des promesses et prenant des engagements qu’il ne tiendra pas. De même, nul n’ignore que si de son côté le pouvoir du clan Gnassingbé met entre parenthèses le levier essentiel de la démocratie qu’est l’alternance, c’est possiblement parce qu’il craindrait des représailles après coup. Conséquence logique : la crise de confiance est si profonde que presque rien ne semble plus possible, sinon la suite naturelle d’un affrontement fratricide aux retombées catastrophiques.
On doit évoquer tout autant la pertinence de M. Spirlet lorsque, analysant les derniers événements, il en dit que « la tension s’est accrue sur base de polémiques, de mesures d’apaisement ou d’exacerbations, de manifestations ou de réactions parfois excessives ». Depuis le 15 septembre, il y a des raisons de dire que le pays est encore assis sur un volcan qui n’a jamais été atteint. La hargne de nuire et de tuer affichée par les miliciens en mission de protection d’un quartier qui n’est pas le leur a révélé que les différents discours et initiatives sur la réconciliation et l’apaisement n’ont été que de l’eau jetée sur le dos d’une cane. Les Togolais sont sensibles donc que M. Spirlet en soit conscient. Par-dessus tout, la question « comment parvenir à l’alternance ? » retient l’attention. En ceci qu’elle indique que M. Spirlet et l’Union européenne n’ignorent pas que le problème politique du Togo se résume, après tout, à l’alternance politique. La question souligne en effet que toutes les fixations et les crispations qui rendent infertiles toutes les initiatives prises çà et là pour aider la démocratie togolaise à aller de l’avant. Tout bien considéré, l’UE doit-elle se contenter d’un diagnostic pertinent de la situation politique au Togo ?
Aller au-delà du diagnostic plat
Tout en tirant chapeau à M. Spirlet pour avoir présenté le tableau politique du Togo sans faux-fuyant ni langue de bois, plusieurs analystes s’accordent à reconnaître que l’Union européenne a intérêt à aller au-delà d’un simple diagnostic, d’une plate assistance financière ou institutionnelle. Selon ces analystes, Bruxelles fait beaucoup d’efforts financiers en faveur du Togo. Ces efforts portent pour une part considérable sur l’aide à la démocratisation. C’est une bonne chose, mais ces efforts seraient couronnés de succès encourageants s
S’ils n’étaient pas réduits à néant par l’impossible alternance et les couacs effroyables constatés dans le fonctionnement de la justice. L’intention des analystes peut être schématisée comme suit : c’est bien de financer les programmes et projets mais ce serait encore mieux de veiller à l’aboutissement effectif de ces investissements.
Dans son discours, M. Spirlet a mis en relief ce que Bruxelles a fait depuis les scrutins de 2007 et 2010. Mais n’est-ce pas que tous ces investissements sont annulés par les événements malheureux tels l’exclusion des députés ANC et les lendemains troubles des différentes élections ? Parlant d’élections, il est étonnant que l’Union européenne assiste presque impuissante à la logique du pouvoir qui escamote ouvertement et sans pudeur les recommandations des différentes missions d’observation électorale. Récemment, Bruxelles a menacé de ne pas financer les élections en vue si ses recommandations ne sont pas prises en compte. La réalité est que, alors même que le pouvoir de Faure Gnassingbé essaie de faire croire que ces recommandations sont la charpente et le fil conducteur des dialogues, il n’en fait rien à l’arrivée. Autrement, le dernier dialogue Ahoomey-Zunu II n’aurait pas reconduit le découpage électoral de 2007 que le rapport de la mission d’observation a jugé injuste et dont il a exigé la correction.
Au total pour les observateurs et analystes, l’Union européenne n’a aucun intérêt à se cacher derrière la souveraineté d’un Etat ni l’obligation de ne pas s’ingérer dans les affaires internes d’un pays pour continuer à investir de l’argent qui ne sert qu’à tromper les apparences. Il lui faut reconsidérer sa position afin d’aider efficacement le Togo à trouver une solution pérenne à son problème politique. Elle en a sûrement les moyens. A moins de préférer le statu quo du mythe de Sisyphe ou de la toile de Pénélope.
Nima Zara
Le Correcteur N° 380 du 01 Octobre 2012