Dans une interview accordée en 2020, à TV5 Monde, à la veille des élections présidentielles, Faure Gnassingbé s’était offusqué du fait qu’on le taxe de dictateur. « Je ne me sens pas l’âme d’un dictateur », avait-il réfuté, estimant que les appréciations de la presse sur la situation au Togo et sur sa personne sont exagérées.
Trois ans plus tôt, en octobre 2017, lors du congrès de son parti, le chef de l’Etat avait tenu le même discours, accusant ses opposants d’utiliser les réseaux sociaux pour intoxiquer l’opinion en transformant « un homme simple comme moi en dictateur sanguinaire ». « J’ai découvert que j’étais un dictateur sanguinaire », s’était-il indigné.
Mais depuis son accession au pouvoir, ou pour être plus juste, depuis sa capture du pouvoir en 2005, dans les conditions apocalyptiques que tout le monde sait, avec un millier de Togolais assassinés, Faure Gnassingbé n’a strictement rien fait, ni sur le plan de la gouvernance, ni dans le domaine politique, encore moins sur le plan de la démocratie pour prouver aux Togolais qu’il est différent de son géniteur qui a dirigé le Togo dans un gant de velours pendant 38 ans.
« Le fils d’un dictateur, succédant à son père, doit faire la preuve qu’il a de meilleures intentions que son père. Et qu’il n’a pas reçu en héritage les germes de la dictature », disait Jean-Baptiste Placca. Mais, depuis 2005 qu’il trône au sommet de l’Etat, Faure Gnassingbé qu’on dit avoir suivi de grands préceptes dans des universités occidentales, couronnés par des diplômes cossus, n’a jamais donné la preuve qu’il est un bon démocrate. Au contraire, il a toujours nourri une seule ambition: rester au pouvoir et se ménager la présidence à vie…comme son père. En mettant en place un système que le politologue camerounais Achille Mbembe appelle « le gouvernement par l’immobilisme ». Pour ce dernier, le but de ceux qui ont le pouvoir n’est pas d’accomplir quoi que ce soit de grandiose. C’est tout simplement d’être au pouvoir. Et donc gouverner et surtout ne pas gouverner.
En 20 ans de règne, Faure Gnassingbé a verrouillé le système et tout l’appareil de l’Etat et militarisé le Togo beaucoup plus que son père ne l’avait fait durant son règne au long cours. De plus, il a endetté le Togo bien pire que les quatre décennies de pouvoir d’Eyadema.
La corruption est endémique avec les immenses scandales de détournement des deniers publics auxquels Faure Gnassingbé est resté totalement indifférent. Ceux qui pillent allègrement le pays ainsi que les auteurs des crimes économiques n’ont jamais été inquiétés. Les contre-pouvoirs n’existent pratiquement plus puisqu’il utilise le pouvoir d’Etat non pas pour développer le pays, réduire le chômage, les inégalités sociales et créer des emplois à la jeunesse, etc. mais pour écraser les opposants, les journalistes, les militants des droits de l’homme, les syndicalistes, etc. Dans ce sens, la justice qui devrait être le dernier rempart qui assure la cohésion sociale, est instrumentalisée à des fins de règlements de comptes. Les prisons sont remplies d’innocents politiques, malades et privés de soins adéquats et qui y meurent.
Les 20 années au pouvoir ont servi à une émasculation progressive de la société. Le régime a largement réussi à imposer une « tonton-macoutisation » généralisée des esprits. Ainsi schématisée toute la gouvernance de Faure Gnassingbé.
La nouvelle trouvaille
Au Togo, il est toujours utile de le rappeler, une seule famille, la dynastie Gnassingbé détient le pouvoir sans fin. Le père a régné pendant 4 décennies, le fils est à son 4ème mandat. Sous l’effet des critiques et de la pression pour son long règne, dans une région ouest-africaine où deux mandats sont la norme, Faure Gnassingbé qui porte d’ailleurs le surnom peu glorieux de « jeune doyen », a trouvé un stratagème pour prolonger son bail à la tête du Togo : changer de Constitution.
Tous les 5 ans, depuis 2005, Faure Gnassingbé prend l’engagement solennel devant Dieu et devant la nation togolaise de « respecter et de défendre la Constitution que le peuple togolais s’est librement donné ». Mais dans l’histoire tumultueuse du pays, il est celui qui a le plus porté atteinte à cette Constitution.
Le 19 avril 2024, à quelque 10 jours des élections législatives, un énième coup de canif a été porté à la loi fondamentale. Un groupe de députés dont le mandat a expiré depuis des lustres, tous sous les bottes de Faure Gnassingbé, a cru bon de changer brutalement de Constitution pour basculer le Togo dans un régime parlementaire. Le hic, c’est que le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté, n’a pas été consulté. Ce régime qui n’a jamais tiré sa légitimité du peuple a préféré se passer de lui. Plus rageant, le texte est frappé du sceau de secret d’Etat. Seuls Faure Gnassingbé et son cercle restreint en connaissent la teneur.
Cette nouvelle Constitution qui est une escroquerie politique instaure carrément une monarchie au Togo. Puisque les véritables raisons cachées derrière ce changement de Constitution et de régime dénotent d’une volonté de Faure Gnassingbé de s’éterniser au pouvoir. Dans le régime parlementaire, comme l’explique cet homme en toge, « il n’y a pas de limitation pour le président du conseil des ministres qui détient la réalité du pouvoir exécutif. Il n’y a pas de limitation de mandats ni en terme de mandats successifs, ni en terme de la totalité des mandats. Le président du Conseil peut le faire X fois de façon consécutive et autant de fois que possible en terme de cumul des mandats au fil du temps sans que cela ne prête à contestation ».
L’article 44 de la nouvelle Constitution dispose à cet effet: « A l’issue des élections législatives et après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, le chef de la majorité parlementaire est de facto le président du Conseil ».
Voilà ce que cherche en réalité Faure Gnassingbé : rester indéfiniment au pouvoir sans faire objet de contestation. Tant que son parti UNIR gagnera les élections législatives et aura la majorité à l’Assemblée nationale -il est d’ailleurs de notoriété publique que depuis la nuit des temps, le parti au pouvoir a systématiquement et frauduleusement remporté les élections-, Faure Gnassingbé peut donc rester au pouvoir ad vitam aeternam et personne ne pourra rien y faire.
« Aussi longtemps que UNIR sera proclamé vainqueur des législatives et des régionales au Togo, et aussi longtemps que Faure Gnassingbé sera président de UNIR, il restera Président du conseil. C’est une manière de sauter la limitation du nombre de mandats et de lui permettre de diriger le pays à vie ». Bref, il y est et il y sera, même la mort ne l’y enlèvera pas.
De plus, tous les pouvoirs lui sont dévolus par la nouvelle Constitution. Ainsi, Faure Gnassingbé Président du Conseil, a tous les pouvoirs sur l’armée, la diplomatie, les finances, l’administration publique…
« Le Président du Conseil, chef du gouvernement : – préside les conseils des ministres; – est le chef suprême des armées ; – dispose de l’administration et exerce l’autorité et le commandement sur les forces armées et les forces de sécurité ; – détermine et conduit la politique de la nation ; – définit la politique étrangère et représente l’Etat dans la conduite des relations internationales ; – assure l’exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire; – nomme aux emplois civils et militaires », précise l’article 50.
Ce qui faire dire à certains que les prérogatives du Président de la République telles que redéfinies par la constitution de 1992 ont été recopiées et plaquées pour le compte du Président du Conseil qui ne sera que Faure Gnassingbé. Qui, en sus, nomme à lui tout seul le tiers (1/3) des membres du Sénat, ce qui lui permet de s’assurer la majorité. On sombre carrément dans un déni démocratique.
Il faut aussi rappeler que dans la nouvelle Constitution, du moins la première mouture, les droits de l’Homme sont relégués à la portion congrue. Les droits et devoirs fondamentaux sont annexés au texte de la constitution, ce qui, pour nombre d’observateurs, diminue le caractère contraignant de l’obligation de respecter ces droits puisqu’ils n’ont plus valeur et force constitutionnelles directes comme dans la Constitution de 1992. Un recul grave sur le plan des droits humains.
Le Togo, laboratoire des pratiques anti-démocratiques
« Fermé à toutes les formes de réformes en vue de consolider la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’État de droit et la démocratie, il n’est nullement pas exagéré de nos jours d’affirmer que le pouvoir togolais reste l’épine dorsale des coups de force permanents, le point de départ de la fragilisation de l’Institution communautaire, l’épicentre des maux dont souffre la CEDEAO », dénonçaient récemment des organisations de la société civile.
Le Togo est le tout premier pays en Afrique à expérimenter tous les dérapages constitutionnels et électoraux consacrant la tragédie de la dévolution monarchique du pouvoir que vit encore le fils du père et les ignominieux troisièmes mandats. Le Togo, faut-il le rappeler, est le champion toutes catégories confondues des fraudes électorales massives qui, comme une tache d’huile, s’est étendue sur tout le continent.
Il ne faut pas passer sous silence, la fameuse remise de compteur à zéro avec en toile de fond cette manière improbable de transformer les deuxième et troisième mandats en premier qui est une autre escroquerie morale et politique. Ce sport favori pratiqué par des dictateurs, surtout africains, a été inventé à Lomé. Et va transiter par la Guinée d’Alpha Condé et la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara et hanter un temps l’esprit de Macky Sall au Sénégal.
Et comme si toutes ces entorses au bréviaire de la démocratie ne suffisaient pas, le Togo de Faure Gnassingbé en invente une nouvelle : changer de Constitution sans consulter le peuple, et basculer dans un nouveau régime et une nouvelle République et repartir ainsi à zéro. C’est la TOTALE.
Médard A.
source : Liberté Togo