« Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse ». H.L. Mencken
Ainsi donc, après 11 mois d’une énième crise politique, les Togolais ont rendez-vous avec leur destin sous la forme des recommandations de sortie de crise de la CEDEAO à la fin de ce mois de juillet 2018.
À en croire certaines analyses, ainsi que les points saillants du lobbying mené par des partis et la société civile, la CEDEAO devrait envisager une feuille de route dans laquelle le président togolais resterait au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat en mars 2020. En échange, ce dernier devrait s’engager à ne pas se représenter en 2020. Il devrait aussi nommer un Premier Ministre issu de l’opposition. Ce Premier Ministre mettrait en œuvre les réformes institutionnelles et constitutionnelles au cours des 20 mois qui courent avant la fin du 3ème mandat.
Le soudain engouement de nombreux Togolais pour une transition avec le dictateur toujours au contrôle est une preuve que nous sommes très proches d’une répétition de l’histoire, sauf que cette fois nous paierons un prix plus élevé. Ce schéma d’une transition-cohabitation est hasardeux et voué à l’échec comme tout schéma qui reposerait sur la bonne foi du président togolais. Pour plusieurs raisons, mais je ne parlerai que de trois.
D’abord parce qu’en fonction des dispositions actuelles de la Constitution, le Premier Ministre de transition, qui qu’il soit, ne sera rien d’autre qu’un garçon de course de Faure Gnassingbé qui le nommera et pourra le limoger à tout moment. Nous devons tous avoir à l’esprit que Faure Gnassingbé a hérité d’un pouvoir sans partage, et il ne le partagera avec personne, même une personne imposée/conseillée par la CEDEAO. Le régime a appris les leçons de la transition de 1991-1992, et il ne répétera pas la même erreur qui consiste à accepter un partage du pouvoir. D’ailleurs Faure Gnassingbé l’avait dit dans son interview à Jeune Afrique en décembre 2017: pas de conférence nationale bis, donc inutile de rêver d’un Premier Ministre indépendant. De plus, même si ce Premier Ministre jouissait d’une certaine autonomie, Faure Gnassingbé et son clan auront tous les moyens de faire capoter lesdites réformes pour la simple raison que ces réformes leur feront perdre leur précieux pouvoir. Garder le pouvoir est la raison d’être du régime togolais, et ses tenants ne reculeront devant personne, fusse-t-il un béni de la CEDEAO.
La deuxième raison pour laquelle ce schéma échouera est que pour un autocrate, un jour de plus au pouvoir est une chance de plus pour préparer un pouvoir à vie. Et 20 mois de règne sont largement suffisants pour ce faire. L’intimidation et l’argent sont des recettes qui ont «marché» au temps du père, le fils n’hésitera pas à les utiliser. Une fois que Faure appliquera la stratégie utilisée par son père pour déstabiliser la transition de Koffigoh, eh bien le rituel recommencera pour l’opposition: ralliement au régime, exil ou élimination physique. Des 14 politiciens qui mènent la vie dure à Faure Gnassingbé depuis près d’un an, certains seront achetés, d’autres seront forcés de s’exiler, et une troisième catégorie sera purement et simplement éliminée ou, dans certains cas, emprisonnée sous des prétextes fallacieux. C’est le schéma classique de la gouvernance autocratique, et Faure Gnassingbé l’utilisera en gardant le silence cynique qu’on lui connaît.
La troisième raison est que Faure Gnassingbé est un homme blessé. Après son imposture de 2005, il croyait avoir les Togolais dans sa poche, mais depuis près d’un an il s’est rendu compte que chaque Togolais est en lui-même un petit volcan dont le contrôle n’est qu’une chimère. Et une fois qu’ils entrent en éruption, ces petits volcans ne sont pas prêts de s’éteindre. Depuis le 19 août, le vernis que Faure Gnassingbé avait soigneusement posé sur sa mauvaise gouvernance a été brutalement enlevé, dévoilant la sordide face de son régime au monde entier. Or ce que le règne de son père nous avait appris après la conférence nationale souveraine, c’est qu’un dictateur dévoilé au monde et blessé dans son amour-propre ne règne plus que pour la vengeance. Par conséquent, même si le président togolais s’engageait à ne plus se représenter, les 20 mois restants seront ceux de la vengeance contre tous ceux qui ont révélé sa véritable nature. Tous ceux qui doutent de cette éventualité n’ont qu’à se référer à la gouvernance du père Gnassingbé entre 1992 et 2005 lorsque, fâché du rejet dont il était l’objet auprès des Togolais et qu’il a interprété comme une « ingratitude », il s’était attelé à quasiment détruire tout ce qu’il avait construit entre 1967 et 1990. Et ce qui ne savent pas à quoi ressemble la vengeance de Faure Gnassingbé peuvent penser au sort qu’il a réservé à son propre frère Kpatcha Gnassingbé.
En bref tout « deal » dans lequel monsieur Faure Gnassingbé restera au pouvoir jusqu’en 2020 aboutira à son maintien au pouvoir au-delà de 2020. Il n’y a rien de plus sûr que ça.
À moins que cette fois le peuple togolais, par l’entremise de ceux qui déclarent parler en son nom, ne se donne les moyens plus contraignants que les déclarations et autres condamnations qui ne feront ni chaud ni froid au dictateur en quête du pouvoir à vie.
A. Ben Yaya