Concurremment avec l’organisation des élections locales, la question des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg) est toujours d’actualité. Dans une récente correspondance à Faure Gnassingbé, Jean-Pierre Fabre le relançait encore sur leur mise en œuvre. Mais l’opposition devra-t-elle rester accrochée à son bon vouloir ? C’est ici que des voix s’élèvent pour suggérer l’introduction d’une nouvelle proposition de loi de réformes à l’Assemblée nationale ; ce qui aura le mérite d’éprouver à nouveau la bonne foi de l’homme et attirer les regards sur lui, après son refus de signer le protocole de la Cedeao à Accra en mai 2015.
Un pouvoir résolument fermé aux réformes
Le 20 août 2006, lorsque le pouvoir Rpt signait l’Accord politique global (Apg) et prenait l’engagement d’opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles, personne n’aurait imaginé que dix ans après, Faure Gnassingbé qui s’était fait tout petit pour amener ses adversaires politiques à la table des discussions afin de requérir d’eux une légitimation tacite de son pouvoir acquis dans le sang, allait refuser d’honorer sa parole. C’est malheureusement la triste réalité aujourd’hui. Et les seuls responsables de cette situation ne sont autres que le pouvoir Rpt/Unir et son incarnation.
Le régime en place qui a pourtant les prérogatives d’en prendre l’initiative n’a jamais cru devoir s’exécuter plusieurs années après la signature de l’Apg, malgré les réclamations de l’opposition doublées de manifestations de rues soldées généralement par la répression, les relances, pressions et menaces indirectes des ambassadeurs et partenaires en développement. Avec l’imminence de l’élection présidentielle d’avril 2015, la consécration de cet obscurantisme a été offerte lorsque le 30 juin 2014, les députés de l’Union pour la République (Unir) ont rejeté, à la surprise générale, le projet de loi transmis par le gouvernement. La raison, le refus de l’opposition d’accorder un passe-droit à Faure Gnassingbé pour candidater à un 3e mandat. L’opposition parlementaire constituée par l’Alliance nationale pour le changement (Anc), le Comité d’action pour le renouveau (Car) et l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi) avait alors formulé une proposition de loi. Mais même sort, pour les mêmes motifs.
C’est dans ces circonstances que Faure Gnassingbé a déposé sa candidature en prenant appui sur la Constitution en vigueur (sic) à lui laissée par son défunt père avant de traverser l’autre rive. Après avoir remporté la victoire – hum- et gardé son fauteuil (sic), la norme voudrait qu’il se rattrape et fasse les réformes. Mais l’homme n’a nullement changé de mentalité. C’est devant ses pairs réunis lors du sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) à Accra au Ghana en mai 2015 qu’il a refusé de signer, avec son homologue gambien Yahya Jammeh, le protocole visant à limiter à deux les mandats présidentiels dans tous les Etats de la communauté ; prouvant, si besoin en était encore, ses intentions de s’accrocher indéfiniment au pouvoir.
Faure Gnassingbé ne montre aucune disposition sincère à mettre en œuvre les réformes. C’est même un euphémisme de dire qu’il est opaque à la matérialisation de ces réformes qu’il conçoit comme une façon de se faire hara-kiri, de donner à ses adversaires les armes nécessaires pour le…Avec la fameuse Commission de réflexion créée et confiée à Mme Awa Nana-Daboya, il compte rallonger au maximum son règne.
Aller au-delà des simples relances…
Si l’on en est encore à attendre la mise en œuvre des réformes, ce n’est sans doute pas faute pour l’opposition de l’avoir réclamée. Elle s’est employée à l’exiger, mais peut-être pas suffisamment. Le 13 janvier dernier encore, le chef de file de l’opposition, Jean-Pierre Fabre écrivait à Faure Gnassingbé pour le relancer sur cette question et celle de l’organisation des réformes.
« (…) L’imprécision de votre affirmation selon laquelle ces réformes nécessitent de ‘’donner corps à la commission sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles et d’amorcer dès que possible la mise en œuvre de la feuille de route relative à la décentralisation et aux élections locales’’, renforce la conviction de la classe politique et des populations togolaises que le gouvernement n’a pas la volonté de réaliser les réformes et d’organiser les élections locales. Il est incompréhensible et préoccupant que le gouvernement s’emploie à se soustraire au respect des engagements pris et maintes fois renouvelés aussi bien devant la nation togolaise que devant la communauté internationale. Le refus de mettre en œuvre les réformes politiques et électorales constitue la cause majeure du manque d’équité et de transparence des élections, notamment la présidentielle d’avril 2015 dont les populations et Cap 2015 ne reconnaissent pas les résultats », a relevé Fabre dans son courrier, avant, « dans l’intérêt de la paix sociale et au moment où l’incertitude du lendemain, avec ses multiples conséquences sociales, accentue la précarité des ménages, appeler encore une fois et solennellement [son] attention sur la nécessité de régler diligemment les nombreuses et importantes questions politiques et sociales en attente, parmi lesquelles : les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales prescrites par l’Apg ; l’organisation des élections locales ».
C’est une relance de plus à l’homme qui a toutes les cartes en mains pour mettre en œuvre ces réformes. Mais Faure Gnassingbé a suffisamment montré sa mauvaise foi que l’opposition perdrait son temps à attendre qu’il lui plaise un jour de s’exécuter.
…et soumettre une autre proposition de loi
C’est la seule alternative qui reste aujourd’hui à l’opposition, ou plutôt la piste à explorer aujourd’hui. Et plus concrètement, cette charge revient en priorité au groupe parlementaire Anc qui doit en prendre l’initiative et y rallier les autres composantes de l’opposition parlementaire, à savoir les cinq (05) députés du Car, les deux de l’Addi, Djimon Oré qui s’est désolidarisé de l’Union des forces de changement (Ufc). Faut-il le rappeler, il faudra, conformément à l’article 144 de la Constitution, alinéa 1er , qui stipule : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et à un cinquième (1/5) au moins des députés composant l’Assemblée nationale », rallier à cette initiative au moins dix-neuf (19) députés de l’opposition. L’Anc n’en dispose que de seize (16) et pourra a priori bénéficier du soutien d’Alphonse Kpogo qui est devenu membre de fait de ce groupe parlementaire après sa rupture avec l’Addi. Pour rassembler le nombre, il faudra alors tenter un rapprochement avec les élus du parti d’Aime Gogué et ceux du Car. L’exercice ne devrait pas être aisé, au regard de l’atmosphère actuelle tendue au sein de l’opposition.
En effet, les rapports ne sont plus les mêmes au sein de ce courant politique. C’est une animosité qui y est ostentatoire et la dernière manifestation n’est autre que la scène minable suscitée par le décret du 25 janvier dernier pris en Conseil des ministres et concédant les avantages dus au chef de file de l’opposition, à Fabre donc, la polémique qui s’en suit. Les lignes sont assez tendues, mais il y a quand même une marge de manœuvre. Cette responsabilité revient en priorité au chef de file de l’opposition qui devra descendre de son piédestal et prendre la tête d’une telle initiative. Aucun ego ne doit prévaloir sur l’intérêt général. Une nouvelle proposition de loi aura le mérite de remettre à nouveau la pression sur Faure Gnassingbé et attirer les regards de la communauté de la Cedeao et du monde entier sur lui, après son refus à Accra de limiter le mandat présidentiel. Faut-il le rappeler, le Togo est l’une des exceptions en Afrique de l’ouest où le mandat est no limit.
Source : [17/02/2016] Tino Kossi, Liberté