Juillet 2021, une incroyable affaire mondiale éclate à la face du monde grâce à un consortium de journalistes dénommé Forbidden Stories, avec l’appui informatique de l’ONG Amnesty International.
11 Etats sur notre planète ont embrayé la pédale de l’espionnage de leurs propres concitoyens relevant soit de l’opposition, du corps des journalistes ou des acteurs et militants dans la défense des droits de l’homme.
A l’aide du logiciel espion dénommé pegasus, édité par la société israélienne NSO Group, la vie privée de tout ce monde est littéralement suivie à la loupe, violant ainsi de fait leur droit à la vie privée.
Parmi les pays responsables et acteurs de cette fouille illégale dans la vie privée de leurs concitoyens, se trouve en très bonne place le Togo, ce petit pays de l’Afrique de l’ouest, logé de façon étriquée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Ghana en marge de la mer qui en constitue sa bordure vers le sud.
Ici, dans cet espace de 56600 km2 abritant environ 8 millions d’âmes, il est indiqué qu’environ 300 numéros des togolais se trouvent dans une base de données où leurs propriétaires auraient fait l’objet d’un suivi méticuleux de leurs faits et gestes par les dirigeants de notre pays.
Dans la foulée, le président de la République en personne, Faure Essozimna Gnassingbé, accorde une interview à nos collègues du journal le Monde, dans laquelle, il a peiné à nier cette évidence qui accroche le monde entier et met en transe beaucoup de leaders d’opinion visiblement intrigués par cette pratique pour le moins lâche.
Après avoir reconnu avoir eu vent de l’affaire, le président Faure déclarera par conséquent et en des mots très clairs ceci: ” Chaque État souverain s’organise pour faire face à ce qui le menace avec les moyens dont il dispose”. La coupe est ainsi pleine, l’État du Togo par la voie de son principal dirigeant, assume ainsi tacitement la pratique illégale de l’espionnage de ses concitoyens, sous le seul prétexte de “menace” qui justifierait le recours grossier et illégal à l’agression systématique de la vie privée des citoyens à l’insu de ces derniers et sans une recommandation formelle de la justice qui, seule, en a les compétences dans une République.
L’affaire a fait un vrai tollé aussi bien au Togo que dans le monde entier. Pour ce qui est du cas spécifique du Togo, ce fut un vrai scandale d’autant plus que de tous les pays de l’Afrique de l’ouest, seul le nôtre, aussi petit soit-il, s’est livré à cette pratique alors que les enquêtes révèlent que l’acquisition et l’usage de ce logiciel israélien coûtent des yeux de la tête.
Pendant que l’écrasante majorité des togolais peinent, jour après jour, à se garantir la pitance à cause des choix politiques hasardeux et ininspirés de leurs dirigeants qui offrent ainsi très peu d’ouvertures et d’opportunités aux citoyens, ceux-ci utilisent maladroitement les maigres ressources du contribuable pour des aventures mesquines aussi coûteuses qu’intules.
Pour camoufler cette pratique non orthodoxe et donc peu recommandable, le pouvoir de Lomé initie et organise les 23 et 24 mars 2022 dans la capitale togolaise, un sommet sur la cybersecurité. Premier du genre dans le monde, ledit sommet organisé avec l’appui substantiel de la Commission Économique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA) a, dit-on, rassemblé plus de 700 participants venus de 28 nationalité.
Même si en tout et pour tout, aucun chef d’État n’avait foulé le sol togolais dans le cadre d’un tel sommet, alors qu’ils avaient été annoncés en très grande pompe par la ministre togolaise de l’économie numérique, dame Cina Lawson, notre pays peut au moins se vanter d’avoir réussi le pari d’une mobilisation record de participants à une rencontre dont l’objet est censé avoir quelque chose d’intéressant dans le processus de sauvegarde et de préservation de la vie des individus, des sociétés et des États.
A l’occasion, Mme Véra Songwé, secrétaire générale adjointe des Nations-Unies et secrétaire exécutive de la CEA, décernera un prix de ” Champion d’Afrique de la Cybersecurité ” à Faure Gnassingbé, le président du Togo, en vue affirme-t-elle, de saluer les efforts du Togo dans la lutte contre la cybercriminalité.
Évidemment les observateurs avisés étaient bien en droit de s’interroger sur ces prétendus efforts surtout que le pays s’est bien révélé, quelque mois plus tôt, comme un acteur dangereux de la cybercriminalité à travers l’usage du logiciel espion israélien qui a servi à fouiner dans la vie de citoyens dont la seule faute est soit de formuler des critiques vis-à-vis du régime en place, soit de défendre la cause de l’être humain tout court.
Dans tous les cas, le sommet s’est soldé par la déclaration dite de Lomé, après que le Président de la République du Togo lui-même eut à recommander, dans un discours fleuve ” la mise en place des structures opérationnelles nationales en matière de cybersecurité, en ouvrant la voie à une coopération active avec les pays africains et avec tous les acteurs de l’écosystème numérique “.
Cette déclaration de Lomé devrait servir de document cadre identifiant les pistes de coopération et de coordination entre parties prenantes tout en marquant un engagement renouvelé en faveur de la lutte contre les cybermenaces.
L’on s’attendait alors à une action sincère et déterminante qui permettrait de rassurer les citoyens togolais et en l’occurrence, les victimes révélées ou non de l’usage du logiciel pegasus sur la désormais bonne foi de leurs dirigeants qui auraient ainsi renoncé à cette pratique pour le moins incongrue et inadmissible dans un État de droit.
Mais rien, vraiment rien jusqu’à ce jour! Non seulement les dirigeants n’ont donné aucune suite sérieuse à ces révélations d’espionnage, ne serait-ce que par l’ouverture d’une enquête judiciaire, ils n’ont non plus œuvré pour y mettre fin, afin de donner la garantie de leur engagement à préserver le caractère sacré de la vie privée de leurs concitoyens.
Au bout du compte, le togolais est bien fondé à s’interroger sur l’intérêt du sommet folklorique sur la cybersecurité organisé avec les ressources du contribuable togolais! A quoi cela sert-il à nos dirigeants de se battre avec autant d’énergie en vue de PARAÎTRE aux yeux du monde, alors que l’enjeu pour eux est vraiment de travailler rigoureusement pour ÊTRE, au sens plein du verbe?
Quoi que l’on dise, la tache de cette fouille illégale dans la vie privée des citoyens togolais reste encore vivace et laisse un point très noir dans la gouvernance actuelle de notre pays.
Il appartient à ces mêmes dirigeants d’œuvrer pour l’effacer avec des actions concrètes qui rendraient compte de leur conversion et de leur disposition à gouverner en toute confiance leurs citoyens dont le labeur crée les ressources qu’ils se doivent d’user à bon escient pour le salut du peuple dans son ensemble, au lieu de les allouer dans des futilités qui révèlent malheureusement, leur manque de sérénité et de quiétude dans la conduite des affaires de notre pays.
Luc Abaki