En marge de la manifestation avortée des étudiants
Vendredi était parti pour être une journée trouble. Etudiants et politiques devraient manifester pour la cause de la masse estudiantine. L’iniative avait recueilli l’adhésion de presque tous les partis politiques vivants qu’on a au Togo – sauf bien évidemment le couple Rpt /Ufc – et des organisations de la société civile. Mais dans la nuit de jeudi, on ne sait pas si c’est le Saint Esprit qui est descendu sur elles, les autorités universitaires et gouvernementales ont décidé de lever la sanction scélérate d’exclusion de six ans des universités du Togo infligée au président du Mouvement pour l’épanouissement de l’étudiant togolais (Meet) et leader de la contestation, Adou Séibou.
C’était d’ailleurs la toute première revendication, et le Meet a appelé à surseoir à la manifestation. Logiquement elle ne devrait donc plus se tenir. Mais vendredi matin, les étudiants et les populations se sont retrouvés aux environs du Bas-Fonds du Collège Saint Joseph, devenu depuis l’occupation permanente du campus universitaire par les corps habillés, la Place Tahrir des étudiants. On pouvait mettre ce déplacement sous le coup de la non information de la suspension de la manifestation. Et même tôt ce matin du vendredi, le Meet a encore multiplié les appels à l’annulation et aux étudiants à rentrer sur le campus. Mais cela n’a pas calmé les ardeurs.
La tension était vive entre manifestants et forces de l’ordre déployées pour l’habituelle répression. Le ministre de la Sécurité le Col. Gnama Latta, le Directeur général de la gendarmerie le Col. Yark Damehane ainsi que son homologue de la Police nationale le Col Mompion ont fait le déplacement du Bas-fond où ont commencé les échauffourées pour calmer les esprits. Mais rien n’y fit. Les quartiers environnants et attenants au camp RIT, jusque-là calmes depuis l’ouverture des manifestations de contestation, se sont embrasés. Des barricades furent dressées sur les voies publiques, notamment celle menant à l’aéroport international Gnassingbé Eyadéma de Lomé ainsi que sur les autres artères, paralysant pendant longtemps la circulation, des pneus et autres troncs d’arbre brûlés. Pas du tout intimidés par le dispositif de répression, les jeunes manifestants répondirent aux coups de grenades lacrymogènes et tirs de balles en caoutchouc par des jets de pierres. Il est enregistré plusieurs blessées. Il est par ailleurs fait état de grenades lacrymogènes balancées sciemment dans des maisons par ses lanceurs. Les échauffourées ont duré jusque dans l’après-midi. Les stigmates de cette journée chaude étaient encore visibles samedi dans les environs du Collège St Joseph, au quartier Nukaku, Soted et autre Wuiti.
Ces événements, loin d’être conçus comme chien écrasé et on en passe, c’est-à-dire classés au registre des faits divers et mis sous le coup des manifestations ordinaires, sont symboliques. Ils sont simplement l’expression du ras-le-bol des populations, de la colère induite par la gestion calamiteuse du pays par Faure Gnassingbé depuis l’élection du 4 mars 2010. C’est l’expression des frustrations et des rancoeurs accumulés depuis lors, le rejet même du pouvoir du « Leader nouveau ». Il leur fallait se débarrasser du trop plein d’adrénaline.
Tout comme les riverains de ces quartiers, ils sont nombreux, les Togolais chez qui ces ressentiments s’accumulent et qui ne cherchent juste qu’une occasion pour le manifester. Les habitants de ces quartiers précités eux, ont rebondi sur l’occasion de cette manifestation a priori estudiantine pour se faire entendre. Il existe encore des milliers voire des millions d’autres qui ruminent en silence leur colère, et il suffirait juste d’une étincelle pour qu’ils se signalent. C’est ici même que « Leader nouveau » a du souci à se faire, parce que dans ces circonstances des faits même insignifiants peuvent mettre le feu aux poudres.
Aujourd’hui Faure Gnassingbé a presque dompté l’opposition togolaise ; en tous cas ce sont quelques leaders téméraires seulement qui maintiennent encore le flambeau de la contestation, sinon il se serait éteint depuis des lustres. Même ici aussi, l’ « Esprit nouveau » semble s’être accommodé de la contestation du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac). La logique est à peu près ceci : on les laisse marcher les samedis, les jours ouvrables on les violente proprement, et ça ne gêne personne. Il doit avoir l’impression de « maîtriser la situation », car en réalité il n’existe presque plus d’alternative sur le plan politique. On a affaire à un pouvoir décidé à user de la force brute pour régler tous les problèmes, qu’ils soient politiques ou sociaux, même là où est requise la négociation, et à une opposition qui n’est unie que dans sa désunion. Mais les cas tunisien et burkinabé sont assez instructifs.
En Tunisie il a juste suffi que le jeune Bouazizi se consume pour que le pays s’embrase. Ce n’était pas tant la vie de ce jeune homme que le peuple a défendue; ce sont les rancoeurs accumulées durant les années de dictature Ben Ali qui se sont dérobées au contrôle pour s’exprimer. Et la suite, tout le monde la connaît. Au Burkina à côté la tension est partie de la mort d’un (simple) élève. Les militaires et plein d’autres corps de métiers sont entrés dans la danse, et la tension reste perceptible aujourd’hui, même s’il y a un semblant d’accalmie. Au-delà de ces événements, c’est la gouvernance même de Blaise Compaoré qui est contestée. Et même si personne ne le dit ouvertement, les Burkinabé ont assez de lui et voudraient le voir libérer le plancher. C’est simplement un syndrome pareil qui guette le « Leader nouveau ».
T. K.
source: liberté hebdo togo
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