Comme une prouesse sortie de chapeau. Le bon magicien peut, par un tour de passe-passe, tirer un billet de dix mille d’une feuille de mangue, une ardoise d’un morceau de craie ou une écritoire d’un peigne. Le gouvernement Dogbé, un tout de rien, tout ça là pour ça ? Nostalgique des commentaires composés au lycée, il nous tente de donner une image littéraire à cette équipe qu’on ne croise pas souvent, tant elle colle aux réalités socio-économiques des aventures au bord du naufrage. Quand on chasse ensemble, solidarité oblige, on n’oublie personne au partage. Ce gouvernement de 35 membres porte parfaitement l’image matinale d’un groupe de chasseurs de nuit au tour d’un maigre gibier ramené de haute lutte. La chasse de nuit est une randonnée sélective, n’y participe pas qui veut. Au retour, beaucoup de vicissitudes rencontrées entre monts et vallées. Mais personnes n’en parle, le parcours a beau être riche en récits, une chasse de nuit impose l’omerta, on s’autocensure, personne ne dit ce qu’il a vu. Même si à un moment de la nuit, on est tenté d’abdiquer, la forêt est trop hostile pour rejoindre seul la base. Oui cette équipe est un tout, ceux qui y participent pour la première fois et ceux qui après plusieurs aller-retours auraient aimé ne pas y participer. De ces 35, nous connaissons 3 qui ont souhaité être utile ailleurs mais aucun capitaine ne tolère qu’on quitte son bateau quand approche l’incertitude. La fatigue, la désillusion, la colère, le sourire de poser aux flancs d’un gâteau gouvernemental, tous les sentiments sont mélangés dans le regard de l’équipe. Trente-cinq portefeuilles, quand les temps sont durs, seuls les durs avancent, une équipe des très proches, les envieux diront les intimes. Au soir de tout combat perdu, quand on a tout essayé, que nos mamans excusent une indélicatesse, l’Afrique met toujours une femme devant, le PM est une femme. Quand arrive une traversée de sauvetage, le capitaine privilégie la famille et le reste, il jette sens dessus dessous, les uns sur les autres, on n’est pas obligé de tenir compte des humeurs et préférences, on ne s’assoit pas forcement là où on désir, l’essentiel est de traverser. Six mois de durs labeurs, il a fallu à l’architecte un dépassement de soi pour rassembler dans une même équipe un parfait ensemble où le chantage, l’arnaque, la carence morale, la délinquance d’Etat et l’instinct de survie se côtoient. Gouvernement Dogbé, on aurait souhaité autre chose, mais la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a, c’est ce qui a pu sortir des entrailles du couple Faure-Dogbé après de longues nuits de mise ensemble. Le visage famélique sur fond de doute de ce clic colle bien à l’incertitude qui a gagné les Togolais. Le repli identitaire pour crise de confiance qui choque à première vue de cette retrouvaille reflète la méfiance réciproque qui mine les Togolais. Pour ceux qui doutent encore, cerise sur le gâteau, la gestion des Gnassingbé est au soir d’une razzia, quand on gagne un peuple envahi, on gère les arrières. Cette image d’un gouvernement de partage est symptomatique des monarchies au crépuscule, n’en déplaise aux qu’en dira-t-on.
Le Togolais peut parfaitement se mirer dans cette équipe de valets ministrables. Au-delà d’un ensemble ministériel bling-bling, cette équipe est une machine d’alerte, une rivière en étiage, dans l’attente des incertitudes de dernières heures en saisons difficiles. Quand on gouverne sans obligation de résultat ni reddition de comptes, tout le monde peut prendre la place de tout le monde. Pour un peuple résigné en attente des incertitudes à venir, on ne demande pas quel moyen est idoine à une traversée, comme les occupants d’un bateau en détresse, on ne choisit pas son capitaine, son blanchisseur, son cuisinier, son major d’homme, les difficultés les imposent. Ne demandez donc pas pourquoi un gouvernement de manipulateurs d’opinions, de rabatteurs, de chasseurs de primes, d’hommes politiques essoufflés et ceci et cela.
La désillusion est grande, la géopolitique est devenue la réalpolitique. Même les zones qui revendiquaient jadis le titre foncier de la République et dont la notoriété se sait dans leur représentativité autour de la table gouvernementale, respirent désormais à double sens comme un pêcheur qui vient de laisser filer un silure entre les doigts dans une eau boueuse dont il se croyait le seul détenteur des techniques de pêche. Depuis le vent de l’Est, la dictature survit de ruse, d’une étape à l’autre, elle a gagné des combats, mais l’estocade du 19 août 2017 est une flèche à poison. En attendant un hypothétique antidote, l’animal, tel un bateau ivre, se reconnait dans sa démarche. On se mélange les pédales dans les choix politiques au point que la barque prenne de l’eau suite à des ouvertures dans la coque. A première vue, rien à craindre, le bateau semble imperturbable sur l’eau. Mais au grand étonnement des spectateurs, la fébrilité gagne le capitaine, l’équipage se sait en danger par un tableau qui s’affiche rouge. Le bâtiment est atteint dans son flanc en alliage que rien ne peut souder au creux des vagues. Ce régime est allé trop loin pour que la nature oublie les comptes. La lutte de libération réhabilitée dans ses droits depuis le 17 août patine, mais rien n’est acquis aux bourreaux qui se savent finissants. Dans la gestion des hommes, certaines méchancetés publiques ne se corrigent que dans l’implosion. Tout comme son peuple, l’autorité Togolaise a réduit les fondements de son existence aux besoins vitaux : manger, s’abriter et procréer. Pour projet de société, aucun espoir ne se pointe si ce n’est comment se prendre pour conserver le plus longtemps possible le pouvoir et ce qui va avec. Dans un tel environnement, à l’heure du bilan, quand il se rend compte que cet immobilisme n’a profité à aucune région du pays ni à aucun peuple soit-il loin ou proche des décideurs, le Togolais s’en veut d’être un citoyen en exil au pays natal. Torturé par une lourde responsabilité morale, la fratrie a effacé au Togo l’image d’une Nation, elle a légué une société qui croit au premier venu, un peuple qui se hait dans un tissu de division. Une jeunesse qui refuse d’accepter que même en temps difficile, tout ne se mange pas et qui se nourrit donc de compromis en regardant le pays s’effriter sous ses pieds comme si des vagues rongeaient une côte sablonneuse. Entre désespoir et peur-panique des crépuscules mouvementés, même dans la loge des loups, il n’y a plus de tabou, ils se mangent, personne n’est en sécurité depuis qu’un chef corps pas des moindre est immolé non pas par les Djihadistes du colonel Agadazi, mais par les vrais Djihadistes dont dépend la vie et la mort des Togolais. La faillite, elle n’est pas seulement économique, elle est aussi chiffrée en capital humain, en capital moral et social. Quand dans un pays le tissu social s’effondre, personne ne tire son épingle du jeu, les peines sont partagées et l’image apeurée de cette équipe obtenue par césarienne est celle de toute une société. Nous ne croyons pas si bien dire quand, dès sa prise de pouvoir, nous revenions en boucle sur l’impossible miracle de Faure Gnassingbé. Nous y sommes, le doute a gagné les plus optimistes. Depuis que le gouvernement porte un string, ceux qui s’accrochent par conviction, ils sont d’ailleurs en nombre effilé, ceux qui ont rallié par opportunisme, ceux qui y sont à défaut d’un choix, ceux retenus par un repli identitaire, tout le monde s’interroge. Dans l’attente du gouvernement, certains ont lancé aux leurs, « nous avions donné ce qu’on peut à cet régime, si on appartient à la prochaine équipe, tant mieux, si on n’appartient pas, nous sommes préparés. On n’attend pas de toute façon grand-chose de ce qui ressemble à une ingratitude. » Mais si cette miraculeuse équipe n’est pas capable d’un miracle, s’interroger éternellement, rabattre les mêmes cartes, le jeu de chaises musicales, ne seront capables tout au plus que de faire pourrir le pouvoir aux mains du « Tutu » avec son lot de puanteurs et d’incontinences. La première pierre d’une reconstruction d’un immeuble en souffrance est de reconnaître que les bases sont mal posées et que l’erreur au-delà des tropiques peut être une vérité en deçà. Pour reprendre l’autre, Faure doit avoir le courage « de faire ce qu’il n’a jamais eu le courage de faire » : Démission, Transition, Reformes, Elections.
Si Dieu a déifié l’homme à son image, Faure a ‘‘Faurmé’’ un gouvernement à l’image de ses propres problèmes, il suffit d’un clin d’œil pour y déceler le mal-être togolais. Fruit d’un crime parfait, quelle durée de vie donnez-vous à cette équipe ?
Analyse de Abi-Alfa
Source : Le Rendez-Vous 352 du 07 Octobre 2020