Le samedi 2 janvier dernier, Faure Gnassingbé faisait son discours de vœux aux Togolais. Entre incantations politiques et professions de foi, c’est en homme super vertueux qu’il a parlé, invitant presque les Togolais à suivre le Guide. Mais certains pans de son allocution résonnent encore dans les têtes. Sur deux thématiques majeures abordées, à savoir les élections locales et la construction d’institutions fortes, il sied d’attirer l’attention des populations sur les contradictions de l’homme en rappelant certains de ses actes en rapport avec ces questions.
Des institutions fortes au rythme des violations !?
« (…) Nous devons bâtir des institutions fortes, une administration efficace et efficiente, plus proche et à la hauteur des performances recherchées. Dans le même sens, la lutte que nous avons entamée contre la corruption doit être intensifiée avec méthode et détermination », déclarait Faure Gnassingbé ce samedi soir.
Bâtir des institutions fortes, c’était une invite lancée par Barack Obama à Accra en 2009 lors de sa toute première visite en Afrique après son élection à la Maison Blanche en 2008, à l’endroit des dirigeants africains. C’est sans doute une paraphrase habile de cet appel du président américain que « Miabé » a faite. Cette invite du numéro 1 américain a suscité un débat et dans le monde intellectuel, certains relèvent utilement que les institutions ne valent que par les hommes qui les dirigent, et pour que les institutions soient fortes, elles doivent être forcément incarnées par des hommes forts, cela s’entend des hommes vertueux et respectueux de la loi.
Comme le Professeur togolais agrégé de Droit, Kossivi Hounnaké qui l’a exprimé, à l’occasion d’un atelier organisé du 2 au 4 décembre dernier à l’endroit des professionnels de la communication sur la gestion médiatique des conflits. Qu’à cela ne tienne, celui qui s’engage et invite ses compatriotes à la construction d’institutions fortes devrait être respectueux de la loi et des textes qui régissent la vie de la Nation. Mais Faure Gnassingbé est loin de répondre à ce profil. Il en incarne plutôt la violation. Illustrations.
« Le Président de la République peut adresser des messages à la Nation. Il s’adresse une fois par an au Parlement sur l’état de la Nation », stipule en caractères intelligents et visibles l’article 74 logé sous le titre IV de la Constitution intitulé « Du Pouvoir Exécutif » et le sous-titre I consacré aux prérogatives du Président de la République.
De toute l’année, ce ne sont que deux messages que Faure Gnassingbé adresse à ses gouvernés : la nuit du 26 avril, soit la veille de la célébration de l’anniversaire de l’indépendance du Togo, et le 31 décembre pour présenter ses vœux aux populations. Depuis qu’il a été parachuté au pouvoir en 2005, il n’a jamais daigné faire à l’Assemblée nationale, comme l’enjoint la Loi fondamentale du pays, l’état de la Nation.
La déclaration des biens est une disposition inscrite dans les textes constitutionnels de bien de pays ayant opté pour régime politique la démocratie et qui a le mérite de constituer un garde-fou contre le détournement des ressources nationales, l’enrichissement illicite, la corruption, les malversations de toutes sortes, entre autres crimes économiques. Elle est aussi inscrite dans la Loi fondamentale du Togo.
« Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat et les directeurs des administrations centrales et des entreprises publiques doivent faire devant la Cour Suprême une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction », indique l’article 145.
C’est un réflexe dans les démocraties traditionnelles, mais cette civilité est respectée dans beaucoup de pays africains aujourd’hui. C’est le mardi 29 décembre, lors de son investiture et devant le peuple burkinabé et le monde entier que Roch Kaboré, le nouveau président élu du Burkina Faso a fait la déclaration officielle de ses biens. Mais Faure Gnassingbé qui chante vouloir ériger des institutions fortes ne l’a jamais fait ni ses ministres et autres responsables indiqués. Une situation qui alimente l’enrichissement illicite au Togo, les cas de corruption multiples…
L’indépendance et l’impartialité de la Justice constituent un baromètre de la démocratie et des institutions fortes. Mais Dieu sait ce qu’est la Justice au Togo. Elle est diaboliquement instrumentalisée, avec « Miabé » lui-même aux manettes. Les dossiers signalés tels Kpatcha Gnassingbé, Pascal Bodjona ou encore des incendies criminels des marchés en sont des illustrations vivantes.
Des locales promises, mais aucune ligne budgétaire prévue pour
« (…) De nouvelles étapes seront franchies dans le processus de reformes politiques et de décentralisation. Ceci nécessite de donner corps à la commission sur les reformes constitutionnelles et institutionnelles et d’amorcer la mise en œuvre de la feuille de route relative à la décentralisation et aux élections locales ». C’est la promesse que faisait le locuteur de samedi soir. Mais voilà, les réformes constitutionnelles et institutionnelles, c’est depuis le 20 août 2006 que leur mise en œuvre a été prescrite. L’Accord politique global (Apg) même était un engagement de Faure Gnassingbé pris devant la communauté internationale pour ramener le Togo à la normalité. Mais leur matérialisation se fait toujours désirer 11 ans après. Mieux, le Prince s’est employé à entraver leur mise en œuvre, son parti n’avait pas hésité à rejeter le projet de loi du gouvernement dans ce sens le 30 juin 2014, la proposition de l’opposition parlementaire n’avait non plus prospéré, les démarches intermédiaires non plus. Le plus cocasse, il a eu l’audace de s’opposer à Accra au Ghana en mai 2015 à la limitation du mandat à deux dans l’espace Cedeao en refusant le protocole initié dans ce sens. L’homme abhorre l’alternance au pouvoir, un principe sacro-saint de la démocratie, et c’est un secret de Polichinelle.
Les élections locales, voilà une échéance réclamée par tous : des diplomates aux partis de l’opposition en passant par la société civile ou les populations. Les ambassadeurs européens ont même à plusieurs reprises relancé Faure Gnassingbé et son gouvernement sur la question et requis un calendrier précis. On a peut-être des raisons de jubiler qu’il ait évoqué la question dans son allocution et se soit engagé à donner suite au processus. Ce que tous les Togolais demandent, c’est l’organisation des locales pour permettre aux populations elles-mêmes de se gérer. Mais cela a sans doute échappé à l’analyse du commun des citoyens, Faure Gnassingbé n’a prévu aucune ligne budgétaire dans la loi de finance exercice 2016 votée le 28 décembre dernier.
Dans cette loi adoubée par les députés de l’Union pour la République (Unir) et de l’Union des forces pour le changement (Ufc), c’est seulement un budget de 5 932 689 000 FCFA qui est alloué au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales qui gère l’organisation des élections. A titre de comparaison, c’est une somme de 8 180 581 000 FCFA qui lui a été octroyée l’année passée, soit une baisse de 2 247 892 000 FCFA correspondant quasiment à la réduction du fonds alloué au Programme d’appui à la bonne gouvernance (1 300 000 000 FCFA en 2016 contre 3 500 000 000 FCFA l’année passée).
Par ailleurs, le budget réservé à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée de l’organisation des élections dans notre pays pour toute l’année 2016 n’est que de 150 millions de FCFA. « « Cela ne suffit même pas pour payer les indemnités des commissaires et leurs dotations en carburant, sans compter les provisions pour la réparation des véhicules », confie un membre de l’Institution qui nous fait savoir que l’indemnité en question est de 850 000 FCFA par mois et la dotation en carburant est de 500 litres mensuellement. Un petit calcul permet de réaliser que le paiement des indemnités des dix-sept (17) membres pendant les douze mois coûtera 173 400 000 FCFA tandis que les frais de carburant se chiffreront à 59 160 000 FCFA. Ce qui fait un total de 232 560 000 FCFA. Il nous revient par ailleurs que le Secrétariat exécutif qui est la cheville ouvrière de la Ceni en temps d’élection, n’est pas pris en compte par le budget 2016 et qu’au contraire, le Secrétariat administratif permanent qui n’est actif qu’en période non électorale, s’est vu réserver un « budget de fonctionnement » de 30 millions FCFA pour toute l’année. En clair, l’organisation de ce scrutin ne fait pas partie des actions prévues par le gouvernement au cours de l’année à venir », rapportions-nous dans la parution N°2083 du 02 décembre 2015.
Au demeurant, ce serait naïf de croire aux promesses lénifiantes d’un soir de Faure Gnassingbé sur les locales, la mise en place d’institutions fortes…
Source : Tino Kossi, Liberté / 27avril.com