Le ciel est orageux entre l’Ordre des avocats du Togo et la Faculté de Droit de l’Université de Lomé. Le différend qui oppose ces deux institutions concerne la formation des étudiants en CAPA (Certificat d’Aptitude à la profession d’Avocat). Pour permettre à l’opinion d’apprécier les tenants et aboutissants de ce conflit, il est impérieux de faire un rappel de l’histoire.
Le premier décret instituant le C.A.P.A remonte au 6 juin 1986 et confiait l’organisation de l’examen au Conseil de l’ordre. Libellé comme suit : « Décret 88-97 du 6 juin 1988 instituant le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat et complétant l’article 12 du décret N° 80-37 du 7 mars 1980 et décret N° 88-98 du – juin 1988 organisant l’examen d’Aptitude au stage du barreau » en son article 1er dispose : « Il est institué le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat ( C.A.P.A.). L’organisation de l’enseignement et de l’examen en vue de l’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat est fixée par décret ». L’article 2 précise : « A titre transitoire et jusqu’à la réalisation des dispositions prévues à l’article précédent, un examen d’aptitude au stage est organisé par le Conseil de l’ordre au début de chaque année judiciaire dans des conditions fixées par décret ».
Ce décret qui comporte des lacunes aurait été suggéré à feu Gnassingbé Eyadema par un avocat naguère conseiller du palais qui est devenu plus tard un opposant au système. Profitant des insuffisances du texte, plusieurs personnes en ont profité pour accéder à la profession d’avocat. Elles ont ensuite ouvert les vannes à leurs progénitures qui se sont invitées à la profession après des pseudos stages aux cabinets de leurs géniteurs. Le népotisme et les arrangements étaient le commun de ceux qui accédaient à ce métier. Selon des informations de bonne source, la plupart des avocats des années 1980 n’ont pas de diplôme de C.A.P.A. Les insuffisances, les dérives ont amené le gouvernement à abroger le décret du 6 juin 1988, remplacé par le décret N° 96-09/PR du 24 juillet 1996 relatif au Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat.
L’article 1er du décret du 24 juillet 1996 porte abrogation du décret du 6 juin 1988 en ces termes : « Sont abrogés le décret N°88-97 du 6 juin 1988 instituant le certificat d’aptitude à la profession d’avocat et le décret N°88-98 du 6 juin 1988 organisant l’examen d’aptitude au stage du barreau ». Les articles 2 : « Le certificat d’aptitude à la profession d’avocat est institué et délivré par l’Université du Bénin », et 3 : « L’organisation de l’enseignement et de l’examen en vue de l’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat est confiée à la Faculté de Droit de l’Université du Bénin » ; transfèrent les attributions naguère confiées à l’Ordre des avocats à la Faculté de l’Université du Bénin. Ainsi depuis 1996 à ce jour, c’est la Faculté de Droit de l’Université du Bénin ( Lomé) qui programme, supervise et organise les cours de C.A.P.A.
En 2005, le Professeur agrégé des Facultés de Droit Wolou Komi a été nommé Directeur du C.A.P.A. Sous sa responsabilité, plusieurs promotions de jeunes avocats ont été formées. Mais depuis quelques années, des étudiants admis au cours de C.A.P.A sont contraints de rester à la maison ( trois ans déjà pour certains) pour la simple raison que l’Ordre des avocats du Togo s’oppose à la formation de ces derniers par l’Université de Lomé. Dans un courrier d’un ton assez discourtois, signé du Batonnier Rustico Latévi Lawson-Banku et d’Euloge E. Talboussouma, l’Ordre des avocats conteste le choix des avocats devant dispenser les cours en s’appuyant sur le Règlement N° 05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA pour justifier sa curieuse démarche qui fait du tort à des jeunes étudiants bloqués à la maison depuis des années nonobstant leur admission au cours de C.A.P.A.
Au sein même de l’Ordre des avocats, la question divise et certains s’étonnent de la démarche qui ne vise en réalité qu’à faire entrave à l’accession à de la profession aux jeunes. Faut-il le rappeler, certains avocats qui craignaient à l’époque d’être concurrencés par des jeunes, ont multiplié par le passé les entraves pour la mise en place du département du C.A.P.A à l’Université de Lomé. La démarche actuelle s’inscrit dans la même logique, selon une source qui précise qu’il existe un véritable conflit de génération entre les anciens et les jeunes au sein de l’Ordre des avocats du Togo. Le Togo à ce jour dispose de 155 avocats inscrits au Barreau, 9 avocats stagiaires et 4 Sociétés civiles de Profession d’avocat. Un nombre assez insuffisant pour une population de plus de 6 millions d’habitants et un climat des affaires en plein essor.
En dehors de Lomé, il est quasi impossible de trouver un cabinet d’avocat à l’intérieur du pays. Un véritable paradoxe pour un pays où on appelle à l’enracinement de l’Etat de droit. Face à ce déficit, la politique de l’Etat devrait consister à encourager la formation des jeunes avocats et à prendre des mesures incitatives pour leur installation à l’intérieur du pays. De plus, les diplômés en C.A.P.A de nos jours ne deviennent pas tous avocats. Certains postulent dans les banques, les assurances ou deviennent des consultants.
Au sein même du Barreau et à l’Université de Lomé, personne ne comprend la posture d’entrave de l’ordre des avocats, du moins de ses premiers responsables qui font du tort à tous ces jeunes admis au C.A.P.A mais cloués à la maison depuis deux ou trois ans. Même dans les pays où la réglementation de l’UEMOA, d’ailleurs contestable, est entrée en vigueur comme le Bénin, l’Université continue de former les avocats. Dans un courrier réponse aux premiers responsables du Barreau, le professeur agrégé des Facultés de Droit, certainement touché dans son amour propre, a tenu à rappeler aux responsables du Barreau en des termes assez clairs sur fond de pédagogie les dispositions en vigueur.
Il ne pouvait en être autrement de la part d’un agrégé des Facultés de Droit qui ne saurait tolérer le ton méprisant des avocats dont la plupart sont loin d’avoir son niveau. En décidant de s’adresser de façon vulgaire à un Professeur agrégé, les responsables du Barreau se sont non seulement fourvoyés, mais ont également fait fi des règles de bienséance et de respect qui ont cours dans le monde académique. Et c’est bien dommage parce que le Professeur Komi Wolou a contribué à la formation de nombreux juristes dont certains sont aujourd’hui inscrits au Barreau.
L’organisation du CAPA s’inscrivant dans le cadre d’un service public et donc de l’intérêt général, il importe que le gouvernement à travers le ministère de la Justice prenne les mesures nécessaires pour recadrer les uns et les autres en vue de permettre à ces jeunes admis mais qui trainent à la maison de reprendre rapidement les cours. L’Ordre des avocats du Togo ne saurait être une secte fermée à certains Togolais intelligents mais démunis, contraints de rester à la maison alors que ceux qui y sont déjà envoient leurs progénitures pour suivre les cours à Abidjan, Dakar d’où ils reviennent pour se faire intégrer. Bon à suivre.
source : Ferdi-Nando
L’ALTERNATIVE