Le Togo est sans doute encore loin de la guerre classique, qui voit généralement deux camps armés s’affronter. Mais au-delà de la conception classique, et sans le dire ouvertement, Faure Gnassingbé semble en guerre contre le peuple togolais. Au regard de la situation depuis la semaine dernière où le pouvoir a franchi un cap dans la répression des populations et du drame humanitaire engendré au Nord du pays. Et si l’on n’y prend garde, le pays va tout droit vers l’apocalypse.
Une guerre inédite contre le peuple
Le pouvoir faisait dans la répression depuis le début des manifestations de contestation et qui se soldait par des morts et des blessés. Mais un cap a été franchi la semaine dernière où il est monté d’un cran dans la violence. Une attitude loin, très loin du maintien d’ordre et assimilable à une guerre déclarée et faite par Faure Gnassingbé à son peuple.
Les grenades lacrymogènes sont lancées, non plus seulement dans les foules pour les disperser, mais aussi dans les maisons. Les manifestants de l’opposition et tous les citoyens sans distinction sont vus en ennemis et se voient tirer dessus à balles réelles. Les enfants et/ou adolescents ne sont pas épargnés. Ils sont déjà au moins trois (03) à s’être vu ôter la vie depuis le début de la crise et de la répression. Aujourd’hui les morts ne se comptent plus par unité, comme au début ; on en enregistre parfois deux, trois voire quatre par jour. On en est déjà à une bonne quinzaine, et le décompte macabre n’est pas encore à son terme. Au-delà des tués par des tirs d’armes de guerre sur le coup, d’autres compatriotes succombent des suites de leurs blessures par balles ou autres armes blanches, et d’autres encore des coups de bâton reçus. Ce sont tous les Togolais qui sont en sursis de mort…
Jusqu’au 17 octobre, seule la soldatesque assurait la répression. Mais les manifestations de la semaine écoulée ont vu entrer en scène les miliciens du pouvoir, armés de bâtons, de machettes, de gourdins cloutés et même d’armes de guerre et prestant aux côtés des corps habillés. Même si l’inénarrable ministre de la Sécurité et de la Protection, le Col Yark Damehame tente de brouiller les pistes, les présentant tantôt comme des agents de l’opération Entonnoir, tantôt comme des jeunes qui défendraient leurs quartiers, ils sont bien organisés par des mains au sein du sérail, circulent dans des véhicules 4×4 flambant neuf mis à leur disposition et semblent avoir reçu mandat de tuer, tout comme la soldatesque officielle. Et avec eux, la violence a franchi un cap. Ces miliciens constituent une menace pour tout le monde, aussi bien les journalistes que les défenseurs des droits de l’Homme, violentés dans l’exercice de leurs fonctions. L’émission débat sur Taxi FM n’a pas pu se tenir vendredi dernier à cause de la présence de ces individus lugubres autour de la radio, sans doute pour s’en prendre aux invités critiques…
Des bastonnades générales sont organisées dans des maisons, de jour comme de nuit, de même que des expéditions punitives. Il ne fait pas bon d’être jeunes. Ils sont devenus des cibles privilégiées, pourchassés et obligés de traverser les frontières. Les expéditions punitives sont plus fréquentes dans les localités de l’intérieur du pays. Même blessé, on n’est pas à l’abri. Certains reçoivent la visite de leurs bourreaux à l’hôpital. Il y a également des enlèvements pour des destinations inconnues. On est dans un règne permanent de la violence…
Faure Gnassingbé est manifestement en guerre contre son peuple, malheureusement aux mains nues. Et c’est légitimement que certains parlent de massacre en douce des populations.
Terreur, haine tribale…
L’objectif de cette violence inouïe sur les populations, c’est de semer la terreur dans leurs rangs et les pousser à renoncer à la lutte pour l’avènement de l’alternance au pouvoir. Et visiblement, Faure Gnassingbé est en train de réussir (sic) son pari, si l’on considère la situation à l’intérieur du pays, notamment à Sokodé, Bafilo, Mango…
En effet, ce sont les militaires, notamment les bérets rouges qui occupent ces différentes localités en permanence et soumettent les populations à des exactions. Les domiciles sont violés et les habitants tabassés sans ménagement et sans distinction d’âge, certains tués à coups de tirs de balles réelles, d’autres enlevés. Ce sont des rodéos que font les jeeps dans ces localités, particulièrement à Sokodé qui est le fief de la contestation à l’intérieur du pays. Ses populations sont l’objet de représailles, paient pour le culot (sic) qu’a eu Tikpi Atchadam d’affronter le pouvoir en place. C’est le règne de la terreur à l’état brut et les habitants sont obligés de quitter la ville. Les images, vendredi dernier, montraient une ville complètement déserte, avec seulement quelques animaux visibles au loin dans les rues ; les rares habitants qui n’ont pas fui étaient terrés chez eux. On fait état de manque de nourritures, du fait qu’il n’y ait plus d’animation du marché ou simplement d’activités. Même les médicaments pour se soigner sont manquants. Devant la situation, c’est l’exode massif des populations que l’on enregistre. A certains habitants qui ont réussi à traverser les frontières pour se réfugier dans les pays voisins, s’adjoignent d’autres qui ont élu domicile dans la brousse pour échapper à la mort. Des images de familles entières, avec des enfants vivant dans la brousse, les regards perdus dans le vide et pleins d’incertitudes, mangeant naturel…font froid dans le dos. C’est un véritable drame humanitaire qui se déroule à nos yeux et qui nécessite des interventions urgentes. Certains parlent, à tort ou à raison, d’un début de génocide, d’une mise à mort du peuple tem…
Par ailleurs, la situation vire dangereusement à la haine tribale. Les Tems commencent visiblement à être l’objet de stigmatisation et de vengeance de la part d’autres peuples frères, notamment à Kara…C’est en tout cas la lecture qu’il faut faire des incidents signalés dans cette ville, notamment l’incendie de la mosquée de Tchitchida. Des individus auraient en effet saccagé la mosquée et mis le feu, disent-ils, pour venger leurs frères militaires tués dans la maison du Col Ouro-Koura Agadazi à Sokodé lors du soulèvement de la population dans la nuit du lundi 16 octobre suite à l’enlèvement de l’imam Hassane. Certains messages circulent sur les réseaux sociaux et font même état d’interdiction de prières dans les petites mosquées de la ville. Selon les indiscrétions, la manœuvre vise, pour ces extrémistes et leurs mentors qui tirent les ficelles dans l’ombre, à pousser les leurs à « affronter les Tem, dévier ainsi la lutte sur un autre terrain et profiter pour dissoudre le PNP ». En l’absence d’intervention du sommet de l’Etat pour arrêter l’hémorragie, on peut imaginer les dérives et violences que cette disposition d’esprit entrainerait.
C’est un virage dangereux que prend le Togo. Cette dérive ethnique est justement dénoncée par le Prof Togoata Apedo-Amah. «Sur les réseaux sociaux, se déchaînent des individus qui déversent leur haine tribale en ciblant deux ethnies en particulier. Il s’agit d’un dévoiement de la lutte politique. Notre lutte n’est contre aucune ethnie, elle cible un régime criminel et illégitime. Aucune ethnie n’est au pouvoir, aucune ethnie ne représente l’opposition (…) Agiter l’arme du tribalisme est une diversion criminelle par rapport à la lutte du peuple togolais. Le pouvoir fasciste a toujours eu recours à cette arme sous Eyadema qui avait créé deux catégories de Togolais : les Togolais à part entière et les Togolais entièrement à part. C’est-à-dire ceux qui le soutenaient et ceux qui le combattaient. Il est curieux que ce soit au moment où les Togolais ont brisé la frontière politique nord-sud que surgit ce tribalisme qui cible deux ethnies. C’est ici le lieu de féliciter tous les compatriotes Kotokoli et Kabye qui combattent ce tribalisme ciblant leur ethnie respective, en dénonçant, sans complaisance, ceux des leurs qui s’amusent à ce jeu macabre. Il nous appartient à tous de refuser la diffusion des messages écrits et audio de haine tribale provenant des réseaux sociaux », a-t-il déploré, dans une réaction titrée « Refusons le tribalisme come moyen de lutte ».
Faure Gnassingbé est visiblement en guerre contre son peuple, ses prétendus électeurs qui lui ont permis de gouverner jusqu’à présent. Pour l’instant, la violence est d’un seul côté. Mais les populations se retiennent simplement de sauter le pas, s’armer aussi pour répondre aux miliciens et à la soldatesque qui les tuent gratuitement. Ce seront des affrontements dans les rues, la violence totale et incontrôlée, et les morts pourraient se compter par dizaines ou même centaines. C’est peut-être le dessein secret du pouvoir de pousser les populations à la révolte et justifier les cache-sexe de guerre civile ou de terrorisme. Le Prince est tout-puissant aujourd’hui et soumet les populations à la violence à l’état brut. Mais une sagesse enseigne que lorsque tu poursuis un mouton jusqu’au pied du mur et il n’a plus d’issue, il se retourne contre toi et là, bonjour les dégâts…
Tino Kossi
Source : Liberté