Togo… En Attendant La Démocratie


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Il est indéniable que le silence, l’inaction, les ambiguïtés, les énigmes, les inconstances, les hésitations de Faure Gnassingbé ont fini par avoir raison de l’avènement d’un autre Togo, une autre République. Deux mandats présidentiels, dix années, à tourner en rond autour des indispensables réformes constitutionnelles et institutionnelles qui devaient faire évoluer le paysage politique vers une démocratie véritable dont le chef d’État togolais lui-même devrait en être le parrain et le bénéficiaire historique. Après une vingtaine de dialogues politiques, aucune volonté n’a malheureusement émergé du camp présidentiel togolais, sinon la malice d’une perversion politique récurrente : la conservation du pouvoir ainsi que le refus de tout mode d’alternance pacifique, élégante et réparatrice du passé. En attendant la démocratie, agir pour une République intégrale au Togo devient un devoir citoyen de tous les instants : prendre parti pour un autre Togo.

La démocratie ne peut continuer à attendre, et dépendre seulement du bon vouloir d’un seul camp, celui-là même qui traine les pieds et n’y trouve que menace à sa suprématie. Au Togo, il sonne le glas de la démocratie et personne ne pourra arrêter une telle poussée. Au Togo, l’homme successeur de son père au lourd passé s’est révélé, lui-même, un Chef d’État peu engagé dans la série de changements politiques fondamentaux dont son pays avait immanquablement besoin pour se réconcilier. Aujourd’hui, tout le monde constate que Faure Gnassingbé, pris au piège de ses propres tergiversations, n’a finalement pas la haute intention de s’ennoblir après ses deux mandats présidentiels se terminant en mars 2015, et ainsi ouvrir le pays à l’inévitable destin démocratique qui l’attend depuis plus de cinquante ans.

Durant les dix dernières années, il aurait été possible de réconcilier tous les Togolais et intégrer les Forces armées togolaises à l’œuvre de l’unité nationale. Tel fut d’ailleurs la promesse de Faure Gnassingbé lui-même, face au chao socio-politique caractéristique de sa captation du pouvoir en février 2005. Ainsi devrions-nous tous, autant que nous sommes, être aujourd’hui en mesure de mélanger les couleurs, toutes les couleurs et les sensibilités du paysage politique togolais : jaune, bleu, blanc, rouge, orange, vert et autres, pour réserver nos énergies, pour livrer bataille seulement aux causes et symptômes du mal développement qui assaille notre pays. Malheureusement, cet espoir est resté amer, insuffisamment relevé sans aucune grandeur éthique mais plutôt à travers des actes politiques superficiels et malicieusement calculateurs. Une attitude dommageable qui pousserait même le camp présidentiel à vouloir légiférer sur les nombreux « désaccords » constatés dans le tout dernier dialogue politique.

Exiger davantage d’un chef d’État est un devoir citoyen

Et pourtant, le temps et les citoyens ne s’étaient jamais figés au Togo. Tout un pays aspire fortement à une alternance politique véritable et définitive; en permanence, tout un pays « soupire vers la liberté » à tout prix. Et chacun le sait, l’élite togolaise le sait davantage : le Togo actuel ne ressemble qu’imparfaitement à son incontournable destin démocratique. Arrive alors à point nommé, à poing levé même, cette observation de Desmond Tutu opportunément partagée sur Internet par un responsable politique togolais; une citation dont toutes les traductions révèlent bien la déliquescence et la chient-lit de l’ambiance politique qui prévaut au Togo et qui, conséquemment, appelle chaque citoyen à l’engagement : « Dans les situations d’injustice, rester neutre c’est choisir de prendre parti pour l’oppresseur ».

Rester silencieux et sourd-muet devient suspicieux autant que le sont les tentatives de vouloir faire croire qu’exiger davantage de Faure Gnassingbé serait l’exclure du jeu politique au risque de provoquer les dérapages semblables à ceux de la Conférence nationale souveraine togolaise de 1991. Une telle position, venant particulièrement d’un parti politique témoin privilégié des réalités togolaises, apparait d’ailleurs comme une grossière entourloupette : une tendance dont on peut croire qu’elle exprime une sorte de réticence démocratique malsaine, voire une résistance à la naissance d’un nouvel État-nation au Togo.

Le Togo de 2014 n’est nullement une copie conforme de celui des années quatre-vingt-dix. Le ratage d’une Conférence nationale ouverte sur l’indéfini et minée par les querelles larvées des prétendants politiques ne conditionne nullement l’avenir du Togo pour toujours. Les peuples sont dans des poussées démocratiques constantes et peuvent exiger davantage de leurs dirigeants du moment, davantage qu’ils ne doivent le faire de n’importe quel autre acteur politique. Ce recours vicieux à l’échec de la Conférence nationale togolaise se veut donc une injure à la mémoire de tous celles et ceux qui ont laissé leur vie, leur honneur ainsi que leurs biens dans les tourments et les retournements de cet évènement. La Conférence nationale togolaise reste un avatar politique imputable à ceux qui avaient participé à l’évènement historique, de près ou de loin, autant qu’à ceux qui avaient tout fait pour qu’advienne le revers de ces rencontres et particulièrement le travestissement des maigres résultats qui en sont issus.

Sortir de l’indifférence et changer définitivement le destin du Togo

Désormais, il faut parler, agir, interpeller toutes les consciences pour un engagement au dépassement. Désormais, il est clair que l’absence de démocratie devient périlleuse pour chaque citoyen togolais; périlleuse pour la réconciliation, la tranquillité et la prospérité du pays; périlleuse pour les intérêts de tous les pays amis et alliés du Togo. Désormais, il faut assumer une rupture avec ce passé démocratique timoré d’un Togo amoindrit par trop de perversions politiques. Car, il y a au fond de ce Togo qui se perpétue sous nos yeux, une réalité douloureuse d’un manque de volonté politique, d’un excès de pouvoir, même d’un excès de victoire d’un seul camp et par tous les moyens, d’un excès d’indifférence, d’un état de siège en somme.

En d’autres termes, souvenons-nous des plus récents traumatismes togolais : une année 2005 douloureuse que personne ne veut voir se répéter en 2015. Que tant de citoyens aient sacrifié leur vie pour rien. Que tant d’années aient été utilisées pour si peu. Que tant de dialogues n’aient servi qu’à légitimer une république insuffisante. Et ce n’est pas fini. Après l’effusion de tant de sang, après autant d’attentes et de concessions, après tant d’errance pour une si simple destination, après tant d’opinions, tant d’oppositions, tant de constitutions, tant de toilettages, tant d’incendies, d’arrestations et d’arbitraires, c’est toujours le statuquo politique qui prédomine au Togo, au moment même où le peuple a énormément soif d’une République intégrale, confortable et rassurante pour chaque citoyen, soif d’une réconciliation, soif d’un Grand Pardon, soif d’un État de droit, soif de justice, soif de paix, soif des élections crédibles, soif de dignité, soif du développement, soif de démocratie.

En attendant cette incontournable démocratie, cette République intégrale, il s’agit de prendre parti pour le Togo. D’ailleurs, Faure Gnassingbé lui-même a très peu de choix : la perpétuation de la violence par la répression policière et militaire ou l’interruption du fourvoiement politique caractéristique des atermoiements de ses deux mandats présidentiels au profit de la refondation véritable du Togo, ici et maintenant. Sur tout le Togo sonne un glas. Inutile de demander pour qui ni pour quoi résonnent ces cloches de lassitude, de désobéissance éthique, de désarroi et d’appel à un autre Togo. Il y a lieu d’agir, et agir autrement et promptement pour réinventer un autre pays, assumer le Togo autrement en y faisant entrer définitivement la démocratie. Et lorsque la démocratie entrera au Togo, lorsqu’elle retournera au Togo, c’est véritablement un tout autre pays qui s’éveillera avec l’ensemble de ses citoyens. Faisons notre devoir… Sauvons le Togo, collectivement… Donnons un nouveau destin définitivement pacifié à notre pays.

 
Pierre S. Adjété
 

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