Au sein de la coalition des 14 partis politiques de l’opposition, il fait partie des voix qui attirent l’attention. Dans des situations difficiles, ses propositions empreintes de lucidité et de responsabilité avérées sont souvent attendues. Avocat de profession, Me Paul Dodji Apevon fait partie des jeunes artisans de la lutte pour l’avènement de la démocratie depuis les années 1990. Président des Forces Démocratiques pour la République (FDR), Me Apevon dans cet entretien exclusif à la Rédaction de Le Correcteur analyse la feuille de route de la CEDEAO pour une sortie de crise au Togo. Pour lui, au-delà des insuffisances, il y a beaucoup d’acquis non négligeables si ils sont bien orientés, peuvent permettre d’obtenir l’alternance en 2020. Toutefois, il appelle à la vigilance et à la détermination du peuple pour parachever la lutte.
Quels commentaires faites-vous des recommandations de la CEDEAO ?
Les populations togolaises, qu’elles soient de l’opposition ou de la majorité, ont attendu avec beaucoup d’impatience et d’inquiétude la feuille de route de la CEDEAO qui est censée apporter des solutions pour une sortie pacifique et durable de la grave crise socio-politique que notre pays traverse depuis des décennies. La tension dans le pays était d’autant plus justifiée que le dialogue entamé depuis le 19 février 2018 entre le pouvoir et l’opposition n’a apporté aucune réponse aux revendications légitimes de cette dernière. La feuille de route rendue publique le 31 juillet a été diversement appréciée. A la coalition des 14 partis politiques de l’opposition, nous en avons pris acte en saluant les points positifs et en déplorant les insuffisances.
Sur le chapitre des réformes constitutionnelles et institutionnelles, la feuille de route a donné des orientations claires pour la limitation à deux (2) du nombre de mandats présidentiels, le mode de scrutin à deux (2) tours pour l’élection du Président de République, la recomposition de la Cour Constitutionnelle pour notamment revoir sa composition et limiter le nombre de mandats de ses membres.
Au titre des réformes du cadre électoral, la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO a recommandé la révision intégrale du fichier électoral, la recomposition de la CENI, le vote des Togolais à l’étranger, le déploiement des observateurs électoraux, l’appui et l’expertise technique de la Commission de la CEDEAO dans l’organisation et le déroulement des prochaines élections, la mise en place d’un comité composé des représentants des Facilitateurs et de la Commission de la CEDEAO pour assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions prises.
Un autre point positif de la feuille de route vient du fait que la Conférence a renouvelé son soutien aux deux facilitateurs du dialogue inter-togolais et leur a demandé de poursuivre leurs efforts en vue d’une résolution rapide et durable de la situation sociopolitique au Togo et de lui rendre compte lors de sa prochaine session. Ce qui signifie clairement que le dialogue se poursuit.
Tout en saluant ces acquis, la Coalition a cependant décelé plusieurs insuffisances liées notamment à la question des personnes encore en détention dans le cadre des manifestations et dont la libération a été renvoyée aux calendes grecques, des personnes réfugiées et déplacées qui n’ont fait l’objet d’aucune attention de la part de la Conférence, aux questions sécuritaires, au mode de scrutin pour les législatives, à la question liée à la désignation et aux prérogatives du Premier Ministre, aux conditions d’éligibilité du Président de la République, à la question de la transition. Comme vous pouvez le constater, les insuffisances existent mais les acquis ne sont pas à minimiser. Il revient donc à la classe politique de démontrer son amour pour la patrie en faisant preuve d’une réelle volonté politique pour préserver les acquis et corriger les insuffisances.
Quelles garanties pour la mise en œuvre ?
Il est certes exact que la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO a décidé d’instituer un comité composé des représentants des Facilitateurs et de la Commission de la CEDEAO pour assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions prises et a instruit la Commission de la CEDEAO de poursuivre son soutien aux Facilitateurs, mais la vraie garantie pour la mise en œuvre des recommandations de la feuille de route ne peut venir que des Togolais eux-mêmes par la volonté et le courage qu’ils exprimeront pour sortir définitivement de la crise.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous avez échoué dans vos revendications ?
Je ne sais pas ce qui constitue l’échec dont parlent ceux qui tiendraient de pareils propos. Il est vrai que beaucoup de nos compatriotes s’attendaient à voir prendre par la Conférence des Chefs d’Etat une résolution interdisant au Président Faure d’être candidat pour l’élection présidentielle de 2020 et le fait que les recommandations n’en ont pas fait état est pour eux une déception. Mais si l’opposition exploite efficacement les acquis de la feuille de route en les renforçant au cours des discussions à venir et en faisant corriger les insuffisances, nous arriverons aisément en 2020 à l’alternance tant souhaitée par nous tous. Et c’est pour cause que les partisans du pouvoir ne crient pas victoire à la publication de la feuille de route. D’ailleurs, lorsqu’on examine les diverses réactions venant de la société civile et de la diaspora, il est aisé d’affirmer sans risque de se tromper que globalement nous sommes sur la bonne voie même si nous devons être encore plus vigilants et plus déterminés pour la suite du dialogue.
Quelle suite pour la lutte ?
Comme je l’ai dit plus haut, le dialogue n’est pas terminé. Il va se poursuivre pour la mise en œuvre des réformes constitutionnelles, institutionnelles et du cadre électoral. Les populations togolaises tant de l’intérieur que de la diaspora doivent donc rester constamment mobilisées et déterminées pour accompagner cette phase cruciale de notre lutte.
Au lendemain du Sommet de la CEDEAO, Faure Gnassingbé en Conseil des Ministres du vendredi 03 août, estime avoir tiré tous les enseignements politiques par rapport à la situation que le Togo vient de traverser. Vous le croyez ?
Notre pays aurait pu faire l’économie de l’exacerbation de la crise qu’il a connue depuis le 19 août 2017 avec son lot de morts, des blessés et des réfugiés, situation qui a sérieusement affectée notre économie, si le Président Faure avait pris de la hauteur par rapport aux réformes constitutionnelles et institutionnelles indispensables par l’ancrage de la démocratie. Si aujourd’hui, il a compris que rien ne sera plus comme avant et qu’il a tiré des enseignements politiques conséquents, comme il le dit, ce sera à son honneur. Mais si au contraire, ses nouvelles déclarations sont juste un effet d’annonce à l’endroit de l’opinion nationale et internationale, ce sera bien dommage. Dans tous les cas, les Togolais et les Togolaises sont décidés à sortir du statu quo pour engager résolument notre pays sur la voie de la démocratie et du progrès.
Message de conclusion ?
Je demande à tous nos compatriotes qui veulent ardemment le changement de ne pas se laisser manipuler par ceux qui veulent les pousser au découragement en leur faisant croire que l’opposition a échoué dans ses revendications. Je demande aussi aux tenants du pouvoir de saisir la dernière opportunité qui est offerte à notre pays de sortir de la crise en s’ouvrant à de vraies discussions sur tous les sujets à inscrire à l’agenda du dialogue direct qui va commencer très bientôt. Je demande enfin à l’Eternel de continuer à nous assister et à bénir le Togo.
Entretien réalisé par Honoré Adontui
Source : Le Correcteur No.831 du 06 Août 2018