Quels sentiments peuvent animer des acteurs de la justice lorsqu’ils apprennent que certaines condamnations sont abusives et dénuées de fondement ? Déposé en prison sur instructions de feu
Koudouovoh alors commissaire divisionnaire le 8 juin 2013, Laurent Kpogo a recouvré sa liberté dix années plus tard. Et malgré le temps, il affirme avoir été victime d’injustice.
Selon ceux qui l’ont connu, Laurent Kpogo aurait été oublié en prison, n’eût été la partition jouée par le journal LIBERTE dans cette affaire. Puisqu’avant qu’il ne soit finalement jugé lors des assises de
juillet 2021, il était carrément oublié au sein de cette prison. « Justice et abus des juges : 8 ans d’emprisonnement sans jugement pour une tentative d’homicide imaginaire », avions-nous écrit en novembre 2020.
« Peut-on être accusé de tentative d’homicide volontaire ou involontaire sur une tierce personne que la justice n’a jamais vue comparaître, et être incarcéré depuis presque 8 ans ? Non seulement le jeune Laurent Kpogo semble oublié par le juge d’instruction Jérôme Kodjo d’Almeida, mais son dossier n’apparaît nulle part au secrétariat du parquet général pour être appelé à comparaître devant la Chambre d’accusation. Qu’en disent l’inspection générale et la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) ? », avions-nous relevé.
Tentative d’homicide volontaire sur la personne d’un officier de police, tel était le chef d’accusation retenu contre lui. M ais ni l’arme du crime supposé, encore m oins le prétendu témoin qui, depuis une certaine distance, aurait reconnu Laurent Kpogo comme ayant tenté de mettre fin à la vie du policier n’ont été en mesure de confondre le jeune homme.
Mais la cour d’assises avait eu la main lourde, très lourde. Comment pouvait-il en être autrement lorsqu’on se rappelle que des erreurs judiciaires avaient déjà coûté à l’Etat togolais, au nom duquel les juges rendent les décisions ? Il fallait être présent lors de l’audience pour mesurer l’étendue des questions très biaisées posées au prévenu. L’idée étant de tout faire pour le déclarer coupable. Sinon, le risque était grand que, libéré sans avoir été condamné, Laurent Kpogo ne se résolve à porter plainte contre l’Etat togolais.
Et le 16 juillet 2021, une peine de dix ans fut prononcée contre sa personne. Alors qu’il avait déjà purgé plus de huit ans derrière les barreaux. Le tour était joué. Reconnaître sa culpabilité après avoir purgé sa peine ne peut plus conduire à un autre jugement. C’est ce que nous avons tenté de faire comprendre à Laurent Kpogo l’après-midi où il sortait de prison. Et quand nous lui avons demandé si en réalité il méritait au fond ce qui lui était arrivé, sa réponse plaintive était : « Grand-frère, ce n’est pas moi et je ne sais rien de ce dont le commissaire Koudouovoh m’a accusé ».
Malgré les années, il ne s’est pas écarté de sa version initiale. Au temps fort des manifestations sociopolitiques, on recherchait des taupes au sein des paris de l’opposition ; et selon Laurent Kpogo, il avait été approché par le commissaire afin de jouer ce rôle. Ce qu’il avait refusé.
Dix ans après son entrée en prison, le voilà libre. A la différence qu’il n’a plus de moto pour reprendre goût à la vie. Lorsqu’il entrait dans cet univers carcéral, il avait quitté sa femme et ses trois enfants. A sa sortie, un enfant s’est ajouté aux siens. Et il lui est presque interdit d’approcher son désormais ex-femme.
Au-delà de cette détention dont le prononcé fut banal pour le juge, c’est toute la vie et le futur de tous les Laurent Kpogo qui interpellent. Lorsqu’on condamne injustement un innocent pour une peine de dix ans de prison, et qu’à sa sortie, il ne retrouve plus ses repères, que sa famille semble disloquée, et
qu’il doit quémander pour manger alors que pour son entourage, il est coupable, que doit-il lui rester ?
L’assassinat ou sa tentative sont à condamner avec la dernière rigueur, m ais encore faut-il que le juge apporte toutes les preuves de la culpabilité du prévenu. Car en cas de doute, c’est le prévenu qui en profite.
Si les autorités veulent vraiment hum aniser les centres de Détention, elles doivent d’abord s’assurer que les délits et crimes dont les citoyens sont accusés, soient avérés. Pour ne pas créer des radicaux dans les prisons avant la sortie de ceux-ci. Car, il n’est d’homme plus dangereux que celui qui se dit qu’il n’a plus rien à perdre.
Godson K.
Liberté N°3828 du Mercredi 14 Juin 2023