Depuis décembre 2019, deux évènements majeurs marquent l’histoire et précisément l’histoire contemporaine de l’Afrique : la pandémie de COVID-19 et la fameuse guerre en Ukraine. Face au premier évènement, qui a donné droit à des «prophéties macabres » des Occidentaux sur la catastrophe que connaîtrait le continent africain, les pays africains se sont, heureusement, bien tirés d’affaire sans savoir, néanmoins, jusqu’à ce jour les raisons et les mécanismes qui leur ont permis d’éviter le désastre prévisible à cause de leurs structures sanitaires non-performantes. Mais, même si on ignore encore les vraies raisons qui ont permis aux Africains de tenir, ce qui est certain c’est que, ce n’est pas le processus COVAX, destiné à envoyer, sous un regard de commisération, des vaccins aux pauvres Africains d’ailleurs majoritairement réticents, qui a été l’élément protecteur et libérateur. On attend toujours des études qui donneront les vraies raisons de cette sortie de la Mer Rouge. Il ne s’agit pas, pour nous, ici de revenir sur les méandres de tous le processus COVAX qui a révélé le manque de solidarité et la classification des humains en différentes zones d’intervention sur la planète.
Le deuxième évènement qui est toujours en cours comme le premier, car la crise sanitaire n’a pas encore disparu, c’est la guerre en Ukraine, déclenchée le jeudi 24 février 2022 par la Russie. Sur cette guerre, nous avions déjà écrit trois tribunes : « Guerre en Ukraine, un tournant historique au XXIè siècle ? » (4 mars) et « Des voix africaines qui ne resonnent pas à l’ONU à une Afrique dont la voix porte » (11 mars). Dans cette dernière, nous nous interrogions en ces termes « Le niveau des abstentions, le 2 mars 2022 à l’ONU, dévoilerait-il une stratégie, une forme de clairvoyance des Africains, enfin conscients de leur force ?… Et si l’Afrique prenait conscience de sa force, elle aurait pu produire une autre résolution où elle aurait pu exprimer, d’une seule et même voix, son vrai point de vue, expliquant peut-être son abstention par le fait que la résolution du 2 mars ne prenait pas en compte le fait que la violence anti-démocratique en Afrique ne produit pas la même levée de boucliers, et que les vrais motifs des Occidentaux sont de nature économique ou hégémonique, ce qui n’est pas toujours à l’avantage des Africains, etc. ».
Et dans la tribune « De quelles faims souffrons-nous en Afrique ? » du 17 juin 2022, après la visite à POUTINE de Macky SALL et de Moussa Faki MAHAMAT, nous écrivions encore ceci : « notre vraie faim, à nous citoyens africains, fiers d’être les filles et les fils de ce continent, est-ce d’abord d’un secours en matière de blé ou d’engrais ? Pourquoi toujours quémander au lieu de tabler d’abord sur nos potentialités et capacités ?… Il nous faut renoncer à la facilité qui nous pousse à choisir la voie habituelle au prétexte que c’est la plus efficace, la plus adaptée. Cela ne devrait pas être difficile car, il est aisé d’en faire le constat, jusqu’à présent les choix dont nous sommes coutumiers ne nous sortent pas définitivement de nos problèmes : l’Afrique demeure toujours le continent le plus pauvre, toujours en queue de peloton, toujours à aider dans un système savamment organisé…
Notre intérêt n’est-il pas au contraire de nous projeter autrement que du continent qui a systématiquement besoin de l’aide mais aussi des idées des autres, de nous positionner plutôt comme le continent dont on a besoin ? Notre intérêt n’est-il pas de démontrer que ce dont nous avons besoin c’est d’une Afrique qui gagne, au lieu de donner raison à ceux dont l’intérêt est de voir une Afrique qui perd ? »
Il ne s’agit pas de revenir sur ces deux évènements pour en faire une description mais de voir quelles leçons on peut et on doit en tirer pour construire nos pays et notre continent avec la ferme conviction que son avenir dépend de chacun de nous et nous engage tous. Les deux évènements ont un point commun : une incapacité à trouver des solutions adéquates, efficaces et propres en face d’une situation de crise. Et la question que nous devons nous poser est de savoir si cette incapacité est intrinsèque parce qu’il y a manque de ressources humaines, financières, économiques, scientifiques ou si elle relève d’un système entretenu auquel nous participons, nous les Africains, par une forme de paresse et une culture de manque d’ambition et de vision.
Si on prend le cas de la pandémie, les faits sont là, aucun pays africain n’a produit de vaccin et n’a trouvé une solution au virus car il n’existe pas sur le continent des centres de référence, des laboratoires de qualité qui décident de s’occuper de la recherche dans le domaine de la médecine et dans d’autres domaines. Quelle est la place de la recherche fondamentale dans nos pays et dans nos institutions universitaires ? Quelle politique pour la recherche sur un si grand continent où même depuis des années nous n’avons pas pu et su extraire le principe actif des plantes pour produire des médicaments de synthèse contre le paludisme qui fait des ravages dans les différents pays ? Le sous-sol de tous les pays africains est riche de minerais convoités et exploités par les autres alors que notre grande fierté est de nouer des relations avec des Occidentaux ou des Asiatiques pour nous affirmer comme des pays importants ayant des relations internationales mais en même temps la pauvreté et la misère ne cessent de croître sur le continent.
En ce temps de crise énergétique issue de la guerre en Ukraine, où la Russie va couper le gaz aux Occidentaux, chaque pays cherche à s’approvisionner ailleurs et les regards sont tournés vers l’Afrique. L’Afrique est convoitée par toutes les grandes puissances. Ainsi dans un laps de temps on observe presque simultanément la tournée du Président Emmanuel MACRON au Cameroun, au Bénin, et en Guinée Bissau, alors que Sergueï LAVROV, le ministre de la diplomatie russe est allé au Congo Brazzaville, en Ouganda, en Egypte et en Ethiopie, pays qui accueille le siège de l’UA, pour soigner et rassurer ses partenaires. Et de son côté, le secrétaire d’État Anthony BLINKEN, chef de la diplomatie américaine a entrepris aussi une tournée sur le continent en passant par l’Afrique du Sud, la République Démocratique du Congo et enfin le Rwanda. Ce ballet diplomatique a eu lieu entre fin juillet et mi-août sur le continent où des pays, dont on dit que la voix ne porte pas et qui n’ont pas de poids à l’ONU ou sur la scène géopolitique, ont refusé de prendre position dans le vote de la résolution contre la Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Et puis Emmanuel MACRON, face à la pénurie de gaz en France a repris les airs ce 25 août pour l’Algérie afin de négocier des accords économiques surtout au sujet du gaz afin de palier à sa pénurie en hiver prochain sinon ses concitoyens vont critiquer sa politique intérieure et sa position dans la guerre en Ukraine.
Face à tous ces faits qui sont devant nous, pourquoi l’Afrique ne prend-elle pas conscience de sa force ? Pourquoi le panafricanisme n’est-il qu’un discours sans aucun projet concret ? Pourquoi n’existe-t-il aucune ambition d’envergure, aucun grand projet continental entre les pays de cette Afrique si immensément riche en ressources minières et humaines ? Pourquoi l’avenir de tant de jeunes sur ce continent, déclaré faussement pauvre, est sacrifié par la politique au sens négatif du terme alors que partout ailleurs elle se révèle comme « la caractéristique majeure de la collectivité tout entière puisqu’elle est la condition de toute coopération entre les hommes ». ? (Raymond ARON).
Quel paradoxe que les pays africains qui dénoncent sans cesse la coopération Nord -Sud, non seulement n’arrivent pas à coopérer entre eux sur de grands projets, mais continuent tout simplement en changeant de partenaire au Nord ? Une des urgences africaines ne serait-elle pas de changer de logiciel et de pratique pour initier de vraies coopérations entre pays sur le continent ? Comment des pays africains et des organisations africaines qui critiquent sans cesse les dégâts de la colonisation, admettent-ils au même moment le principe de l’intangibilité des frontières héritées de cette colonisation ? Pourquoi s’accrochent-ils au principe de la souveraineté mal compris, s’empêchant ainsi de donner corps au panafricanisme et à des grands projets dans différents domaines ? La célébration du centenaire de l’Université de WITS en Afrique du Sud, pourrait-elle être un déclic pour une nouvelle ère?
N’y a-t-il pas urgence pour le continent à inventer une coopération entre les différents pays afin de faire face aux nombreux défis à l’intérieur des pays tout comme à l’extérieur du continent ? Pour paraphraser Archimède, la coopération ne sera-t-elle pas le point fixe, et la volonté politique, le levier pour redonner un autre visage au continent africain ?