Abdoulaye Yaya saura-t-il redorer le blason écorné de la cour suprême?
Telle une chauve-souris, le désormais ancien président de la Cour Suprême Akakpovi Gamatho se sera accroché de toutes ses forces à son poste, paravent contre les bourdes dont il s’était rendu coupable au crépuscule de sa carrière. Mais au final, il a été dégommé par un décret pris en conseil des ministres. Mérite-il des louanges du genre « que tes œuvres sont belles, que tes œuvres sont grandes » ? Ou devrait-on simplement dire : Akakpovi Gamatho, que tes œuvres t’accompagnent ?
Sur l’échelle de la vie, plus les années passent pour un homme, plus il devrait tendre vers la sagesse et faire en sorte, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme qui a tenu la carrière de ses collègues et la baguette qui change le cours des choses, entre ses mains. Par décret numéro 2020-103/PR, Abdoulaye Yaya a été nommé président de la Cour Suprême, en remplacement d’Akakpovi Gamatho poussé vers la sortie, lui qui s’accrochait au décret numéro 2012-040/PR datant du 27 juin 2012 portant nomination du président de la Cour suprême du Togo. Mais que retiendra-t-on du passage de l’homme ? Ses collaborateurs le regretteront-ils ? Les citoyens dont il a eu à connaître les dossiers diront-ils : à la cour suprême a vécu le juge, ou bien la loi ? Retour sur quelques faits d’armes qui ont terni l’image de la magistrature togolaise, du fait d’un seul homme.
Quelques faits d’arme « gamathoïques »
S’il est un acte que Akakpovi Gamatho a posé et qui a ravi le cœur de la quasi-totalité des magistrats, c’est bien les résultats des affectations opérées l’année de sa nomination. Et beaucoup de magistrats trouvaient normal que dans les propos du juge, il fît allusion aux bonnes pratiques des juges, allant jusqu’à comparer la Directive sur l’éthique et la déontologie du magistrat, avec un bréviaire ne devant point quitter le magistrat dans ses décisions. Il était l’incarnation pour certains, du parfait juge. Mais des faits ont très vite montré l’autre côté du juge.
Affaire Verzina. En 2016, Akakpovi Gamatho plana au-dessus du Conseil supérieur de la magistrature (CMS) et de la Cour suprême. Sanction contre l’ancien président de la Cour d’appel accusé de corruption, mais dont les faits n’ont jamais été prouvés par l’inspection générale ; sursis multiples accordés à un avocat –Gilbert Kodjovi Dossou- convaincu de dilapidation des fonds du compte CARPA malgré la sanction prononcée par l’Ordre des avocats contre leur collègue. Ceux qui avaient en haute estime le juge s’étaient rendu compte que la justice togolaise avait emprunté un autre chemin moins vertueux.
Mais deux ans plus tard, celui qui tapait sur les doigts de ses collaborateurs se retrouva embourbé dans une affaire foncière au quartier dit Agoè-Kleve.
Une collectivité –BOBY- avait gagné un procès en 2005 en falsifiant le cachet d’un géomètre et en remplaçant sur le plan d’origine le nom KAMASSA Bidibi par BOBY, bref, en faisant du faux et en usant de faux. Bien que toute la procédure soit entachée d’irrégularités, la Cour suprême avait donné raison à cette collectivité, au détriment d’une centaine d’acquéreurs de bonne foi. Quatre ans plus tard, nous avons mis la main sur un jugement de partage et reddition dans lequel des juges ont été cadeautés par cette collectivité. Ainsi le juge Gnon Clément et Akakpovi Gamatho qui a reçu en contrepartie du rôle joué en 2005, 10 lots sur le terrain querellé. L’homme confirmera en faisant prendre par le juge Kossi Kutuhun un jugement dans lequel Gamatho précisa que c’étaient plutôt 12 lots auxquels il renonçait !A ce jour, des juges frileux craignent d’ouvrir la boîte de Pandore.
Un jeune juge a été radié du corps des magistrats par la volonté de l’ancien président du CSM. Son crime, avoir osé demander à répondre de l’acte dont il est accusé devant un CSM « valide », car ce juge estimait qu’un CSM dont le mandat a expiré depuis août 2019 n’avait pas compétence à connaître les faits à lui reprochés. Ainsi, pour son « outrecuidance », ce juge a été révoqué par celui qui reçoit des lots de faussaires.
A la Cour suprême, par deux fois au moins, Akakpovi Gamatho a tordu le cou au cours que prenaient des arrêts. Nous avons appris qu’au crépuscule de sa carrière, il serait devenu irascible et discourtois. Comme s’il en voulait au monde entier de partir à la retraite et de se faire rappeler comme un simple justiciable pour répondre de certains de ses actes.
Ici a vécu le juge, ou bien ici a vécu la loi Si aujourd’hui il est acté que c’est désormais le chef de l’Etat qui sera président du CSM, c’est en réalité pour « récompenser » l’ensemble des œuvres de Gamatho. Bref pour arrêter l’hémorragie judiciaire à la Cour suprême, du fait d’un seul homme. Beaucoup ne se sont pas demandé ce qui s’est passé pour qu’un projet de loi soit pris dans ce sens.
Les affectations, premier test grandeur du renouveau tant attendu
Le nouveau président de la Cour suprême marchera-t-il sur les pas de son prédécesseur pour laisser perdurer la chienlit ? Le juge, pour être efficace, ne doit pas faire plus de quatre ans au même poste, de peur de le voir prendre ses aises avec des justiciables et de devenir moins performant. Surtout que le ministre Pius Agbetomey a toujours claironné que le juge n’a pas de plan de carrière, ce qui suppose qu’il peut être affecté partout où besoin. Malheureusement, ce slogan a souffert sous le duo Agbetomey-Gamatho.
Ils sont nombreux, ces magistrats qui semblent faire carrière à un même poste ou au sein d’une même juridiction. Pendant que des juges font plus de vingt (20) ans en première instance, plus de huit (08) ans dans un seul tribunal sans affectation, d’autres étaient balancés au gré des humeurs de la hiérarchie parfois avant les quatre ans convenus. Dans la première catégorie, ces juges ne manquent pas les fins d’année pour « remercier » à leur façon la hiérarchie qui les maintient en poste ; dans la seconde catégorie, ce sont des sanctions déguisées qui constituent le soubassement de ces affectations.
Cette situation a connu son sinciput avec l’expiration du mandat du CSM depuis août 2019, mais quatre mois après la fin de leur mandat, les membres dudit conseil perçoivent toujours –indûment- des indemnités. Comme l’a fait Akapkovi Gamatho, depuis avril 2020 qu’il est admis à la retraite.
Avec un nouveau président du CSM et une nouvelle tête à la Cour suprême, les habitudes rétrogrades prendront-elles fins ou auront-elles encore de beaux jours devant ? Faure Gnassingbé, premier magistrat, garant de l’indépendance de la magistrature et président du CSM, Abdoulaye Yaya, président de la Cour suprême, et Puis Agbetomey, Garde des sceaux et ministre de la Justice seront désormais marqués à la culotte dans leurs actes. Car la justice togolaise a trop péché.
Abbé Faria
Source : Liberté N°3288 du Lundi 07 Décembre 2020