Vendredi 05 Octobre 1990, en milieu de matinée de cette paisible classe de 5 ème dans laquelle nous nous trouvions , rien ne laissait présager qu’un pan important de l’histoire du Togo allait commencer à se jouer. Des bruits sourds de détonations semaient l’inquiétude parmi les élèves que nous étions.
Rapidement, nous apprenions qu’au détour d’un procès pour une affaire de tracts, des manifestations violentes avaient éclaté en ville avec comme corollaire la répression et la destruction de biens publics.
Trois mois et deux semaines après l’historique discours de la Baule en France, discours conditionnant l’aide au développement à une ouverture démocratique, le peuple Togolais exprimaient un ras le bol de certains aspects de la gouvernance et une volonté de changement…
En cette date historique, qu’il nous soit permis de nous incliner devant la mémoire de tous les citoyens Togolais, de tous bords qui ont perdu la vie au cours de ce processus parfois douloureux.
Le bilan de ce soulèvement populaire n’est pas l’objet du présent document, n’étant pas acteur ou partisan d’une démarche révolutionnaire qui prend la forme de manifestations de rue ou de coup d’état militaire selon les circonstances.
Comme démocrate, comme libéral profondément attaché aux libertés individuelles, nous estimons que la volonté populaire , qui est l’agrégation de volontés individuelles de laquelle se dégage une majorité , s’exprime mieux dans les urnes et que tout effort pour enraciner la démocratie doit concourir à renforcer la transparence des élections pour sacraliser la légalité et la légitimité des élus.
Quelles sont les perspectives pour notre Togo 31 ans après le 05 Octobre 1990 ?
Le contexte politique, économique, social, sous régional, continental et international ayant fortement évolué, un changement de paradigme s’impose pour faire face aux menaces les plus pressantes et qui présentent un facteur de risque élevé pour le bien-être de nos populations. Nous parlons ici de la pauvreté, du chômage et du sous-emploi, de la cherté de la vie, des risques sécuritaires, sanitaires etc…
À notre humble avis, au Togo, les structures démocratiques sont en place et les efforts actuels doivent être orientés vers l’ enracinement de la culture démocratique dans notre société faute de quoi nous courrons le risque d’avoir des structures démocratiques animées par une culture de parti unique. Ce changement de culture passe par un changement de mentalité par lequel le Togo et les Togolais doivent passer pour s’approprier davantage les valeurs démocratiques.
Le soulèvement populaire du 05 Octobre, récupéré par l’élite intellectuelle et une partie de la bourgeoisie Togolaise a assigné à ce soulèvement populaire comme objectif un changement de gouvernement (alternance) et en a fait une condition pour l’amélioration de la gouvernance et le début du bien-être des populations. Dans notre perspective, l’alternance est un des symptômes de la vitalité d’une démocratie mais ne garantit pas forcément une amélioration de la gouvernance ou le bien-être des populations, surtout si le nouveau pouvoir perpétue l’ancien système. Les efforts doivent être orientés vers une amélioration de la gouvernance politique, économique et sociale.
Une approche collaborative basée sur le dialogue, la négociation coopérative, et la recherche de compromis s’imposent pour, ensemble, améliorer la gouvernance dans le pays et renforcer les capacités et l’indépendance des institutions en place.
Une amélioration de la qualité de l’offre politique et un renouvellement de la classe politique dans le pays s’imposent également. En effet, la vie politique de ces 30 dernières années a tourné autour d’un certain nombre d’hommes politiques communément appelés « leaders ».
Les populations ont suivi ces hommes qui ont réduit la lutte à leurs limites personnelles sur fonds de luttes intestines, de jalousie et de sabotage et n’ont pas atteint les objectifs qu’ils se sont eux même assignés même au bout de 30 ans.
En lieu et place, nous proposons que l’offre politique tourne autour d’idéologies, de projets de société et de programmes de gouvernement, le tout dans une culture de débat fécond, idée contre idée, projet, contre-projet en vue de faire jaillir… de nos contradictions la lumière… qui éclaire le peuple… et la mène vers des sentiers paisibles…, libres …et prospères…
Dans l’édification de notre jeune nation et de notre démocratie, le 05 Octobre reste une date importante dans le sens qu’elle nous rappelle que le vivre ensemble est un équilibre fragile que nous avons tous la responsabilité de maintenir. Il n’y a pas de bons Togolais d’un côté et de mauvais Togolais de l’autre. Nous sommes tous ouvriers sur le chantier… Togo… et chacun apporte sa pierre…brute… ou polie… selon sa perception de la situation et sa capacité. Nous devons, ensemble faire tomber toutes les barrières qui segmentent la société Togolaise et alimentent les clivages stériles, notamment politiques, économiques, ethniques et réduire l’asymétrie d’équité et d’égalité auxquels font face les citoyens face aux opportunités que présentent le Togo à l’ensemble de ses citoyens. La Paix, la liberté, la prospérité, l’égalité, la fraternité et la justice sont des valeurs que nous devons promouvoir pour renforcer le sentiment national et bâtir un Togo qui nous ressemble et nous rassemble.
Comme libéral, il n’est un secret pour personne que nous sommes engagés en politique depuis près de 22 ans pour la promotion du libéralisme politique et économique autrement dit, une démocratie libérale et une véritable économie de marché.
L’ État doit jouer un rôle de régulateur et laisser le secteur privé jouer un rôle économique prépondérant avec des avantages fiscaux suffisamment attrayants pour attirer les investisseurs nationaux et étrangers. Moins d’impôts, moins de taxes, une administration publique de taille réduite offrant un service public d’une qualité irréprochable aux citoyens. Moins de bureaucratie et une automatisation des différents services publics. En résumé, moins d’État, mieux d’État.
En ce 05 Octobre 2021 , je nous invite à un changement de paradigme. Le changement qui s’impose au Togo, c’est un changement de système politique et économique accompagné d’un changement de mentalité. Je propose un processus d’évolution, plutôt qu’un processus de révolution.
Bâtissons une démocratie libérale et une économie de marché pour faire du Togo un pays émergent à l’horizon 2030.
Bâtissons un système qui repose sur des principes démocratiques plutôt que de personnaliser le débat et de chercher à en découdre les uns avec les autres.
Bâtissons une démocratie basée sur la confiance, le dialogue et la coopération, une démocratie dans laquelle les élections ne sont pas une lutte de survie où le vainqueur prend tout et le perdant n’a rien.
Bâtissons une démocratie plus inclusive et dans laquelle la gouvernance est de plus en plus partagée. Une démocratie où l’alternance commence dans les associations, les partis politiques et finalement peut par voie de conséquence se réaliser plus facilement dans les institutions de l’État.
Bâtissons une démocratie où l’on scrute l’horizon ensemble, pour innover et imaginer l’avenir.
L’avenir du Togo ne se trouve pas dans le passé avec des acteurs du passé, du passif et de l’échec. L’avenir, c’est vous, femmes et jeunes de ce pays.
La lutte aujourd’hui ce n’est contre quelqu’un ou quelque chose c’est pour plus de Paix, de Libertés et de Prospérité.
Passons d’un état d’esprit de révolution, de confrontation et de division à un état d’esprit d’évolution, de consensus et d’union. Inscrivons-nous de bonne foi dans un processus d’amélioration continue de l’existant, capitalisons sur nos acquis, travaillons ensemble, plutôt que les uns contre les autres.
Bâtissons un Togo qui nous ressemble… et nous rassemble…
Et Comme l’ont rêvé les pères fondateurs de l’Ablodé…, faisons du Togo, l’or de l’humanité…
Sena ALIPUI
Acteur politique
Acteur de la société civile.