Issu du secteur privé, Sylvanus Epiphanio Olympio était un véritable homme d’Etat fort respecté. Sémillant en tenue occidentale ou drapé en tissu traditionnel Kenté, le leader nationaliste devenu le premier Président démocratiquement élu du Togo indépendant a été assassiné le temps d’un éclair à la suite d’un complot ourdi de l’extérieur avec la complicité des valets locaux.
Exactement 58 ans que le Togo ne cesse de panser la plaie suscitée par la mort tragique de celui que par dérision, le Général Charles de Gaulle, l’homme des « intérêts », appelait « le petit commerçant de Kéta ». Lugubre et sinistre week-end en ce début d’année 1963. Absent à la cérémonie d’inauguration en début de soirée du samedi 12 janvier du Centre Culturel Français (CCF) au quartier Sanoussi à Lomé. Il était retenu chez lui à la résidence La Hutte, située en bordure de mer pour veiller sur la rédaction de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaines (OUA).
Sylvanus Olympio est surpris par la visite nocturne et inattendue d’anciens soldats togolais démobilisés de l’armée coloniale française. Juste en culotte surmontée d’une chemise, il parvint à tromper la vigilance de ses visiteurs indélicats pour s’introduite dans la cour de l’ambassade américaine qui jouxte son domicile. Sans succès, le groupe de soldats procède à une fouille minutieuse de la résidence présidentielle alors que le propriétaire des lieux était tapi dans le parking de la représentation diplomatique
Alerté, Léon B. Poullada, l’ambassadeur américain arrive entre temps muni d’une torche. D’un geste de la main, le Président Olympio lui fera signe comme pour lui manifester sa détresse. « Restez ici, je n’ai les clés d’accès à mon bureau, le temps d’aller les chercher pour vous mettre à l’abri ». Après avoir tourné le dos à Sylvanus Olympio, le diplomate américain passe un coup de fil à son homologue français, Henri Mazoyer. Ce dernier mit la puce à l’oreille de son compatriote, le gendarme Georges Maitrier, un membre du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) et conseiller militaire en fin de mandat auprès du président togolais.
Alors qu’il retournait bredouille au camp militaire de Tokoin, le groupe des insurgés retourna sur son pas, dit-on pour ramener le président Olympio auprès de l’Adjudant Emmanuel Bodjollé qui dirigeait l’opération. C’était le dimanche 13 janvier et le soleil dardait ses premiers rayons sur la ville. La discussion entamée entre l’homme dont l’aura était sans pareille dans toute l’Afrique et jusqu’au-delà et les bidasses désargentés, s’est terminée en une scène tragique. Le président Olympio meurt, en recevant, selon des témoignages, trois balles dont l’une au thorax et deux autres à l’abdomen. Qui est l’auteur de cet odieux acte ?
Dans une déclaration largement diffusée à l’époque par de nombreux journaux et magazines dont « Paris Match », le Figaro, le Sergent Etienne Eyadema, un illustre inconnu alors âgé de 28 ans revendiqua officiellement l’acte : « Je l’ai descendu parce qu’il ne voulait pas avancer ». Plus tard, président de la République, Etienne Eyadema devenu Gnassingbé Eyadema s’est rétracté. Etait-il vraiment l’assassin de l’illustre Président Olympio ?
Mais le médecin Hospice Coco et l’enseignant-syndicaliste Paulin Akouété, deux des plus fidèles collaborateurs du président assassiné n’ont jusqu’à la fin de leur vie, épousé la thèse selon laquelle c’est un des anciens soldats revenus de la guerre coloniale qui a tué l’homme d’Etat.
Faute de « témoins », Gnassingbé Eyadema qui, de 1967 à 2005, avait régné sur le Togo, s’était constitué son prestige autour de cette revendication. D’abord laissé dans l’antichambre de la scène politique togolaise, il était devenu des années plus tard, l’un des plus importants pions de la Françafrique. Pour Gilchrist Olympio, l’un des fils du défunt président, Leon Poullada, au cours d’une rencontre à Washington, lui avait dit qu’Henri Mazoyer alors ambassadeur de France à Lomé, l’avait prévenu cette nuit-là qu’un coup d’Etat était en cours et que le président Olympio s’était peut-être réfugié dans son ambassade ».
58 ans après, tout un mystère entoure le nom de celui qui a véritablement tué le premier Président démocratiquement élu du Togo. A tort ou à raison, le nom du gendarme Georges Maitrier est souvent avancé. Avec le diplomate Mazoyer, celui qui plaidait la cause des soldats revenus de la guerre coloniale dont le Président Olympio ne voulait pas l’intégration au sein de l’armée nationale togolaise en gestation. D’autres pistes évoquent le nom d’un certain Pauc.
Aucun des soldats ayant pris part à l’insurrection de la nuit du 12 au 13 janvier 1963 ne sont plus de ce monde. Du plus haut gradé, Kléber Dadjo, Janvier Bawoubadji Chango, Albert Alidou Djafalo, James Yaovi Assila, Robert Adewui, sont morts sans laisser leur part de témoignes sur les malheureux événements du 13 janvier 1963. Les archives françaises gardent toujours tout le secret sur l’assassinat du Président Olympio qui était à la fois respecté et redouté du côté de la France, ancienne nation tutrice.
« Je vais faire mon possible pour que mon pays le Togo se passe de la France », avait-il déclaré avec imprudence à la presse quelque temps après l’accession du Togo à la souveraineté internationale. Le président Olympio qui s’était employé à tisser des liens bilatéraux notamment avec l’Allemagne et les Etats-Unis, voulait quitter l’univers de la zone franc pour créer une banque centrale togolaise avec une monnaie locale, le franc togolais.
Grand visionnaire, Sylvanus Olympio avec le Nigérian Nnamadi Azikiwé, avait à cœur d’œuvrer pour l’intégration économique ouest-africaine. De leur idée, vit le jour la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1975 à Lagos au Nigéria. Il était juste un homme en avance sur son époque. L’ancien haut cadre en Afrique de la firme Unilever, fait partie de ces leaders des premières heures de l’indépendance africaine qui avaient de nobles idéaux pour l’émergence du continent. A l’instar d’autres et illustres figures africaines, le premier Président démocratiquement élu du Togo, est de la race de ces illustres figures que les Africains pleureront pendant bien longtemps.
©Ekoué Satchivi
Source : Liberté