Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Les enseignants d’université ont obtenu des augmentations de salaires en 2011. En 2020, soit neuf années plus tard, ils réclament toujours et encore ce qui était promis depuis 2011 devenu des arriérés de leurs augmentations de salaires.
Parce que leurs revendications se sont faites plus insistantes ces derniers temps, les autorités de l’enseignement supérieur ont piqué une colère royale et ont « dévoilé » les salaires des enseignants du supérieur. Apparemment il s’agissait de montrer aux autres salariés, de la Fonction Publique notamment, l’outrecuidance de ces enseignants qui gagnent tant d’argent et qui en demandent encore plus.
Mais qu’ont-elles « révélé » en fait, ces autorités, sinon leurs propres limites ? En effet, tout citoyen peut aller consulter les grilles salariales en vigueur dans la Fonction Publique, elles ne sont guère secrètes ! Tout ce qui a été démontré par leur dernière sortie médiatique, c’est la mauvaise foi d’une autorité qui attend que les gens menacent de se mettre en grève avant qu’elle n’honore ses engagements. Précisons d’ailleurs que les universitaires ne sont pas encore rentrés dans leur droit.
Et le comble dans cette situation, c’est que font partie de ces autorités des enseignants du supérieur qui ont bien profité des augmentations et qui bénéficieront aussi de la régularisation des arriérés, si elle est accordée.
A moins qu’elles veuillent revenir par «souci de justice » aux rémunérations d’avant 2011 (soit pour un Assistant, 222 076 CFA de salaire de base assorti d’une prime de base de 122 000 CFA, soit au total 344 076 CFA) et rembourser tous les trop perçus. A ce titre on pourra les décorer de l’ordre du mérite et surtout du zèle, car à l’époque, les enseignants togolais faisaient partie des moins bien payés de la sous-région et c’était l’un des arguments qui avaient pourtant fait plier les autorités de ce moment. Mais dans la mesure où celles d’aujourd’hui trouvent qu’elles perçoivent trop d’argent, (soit 765 407 CFA pour un Assistant), pourquoi ne pas les écouter et les ramener aux anciens salaires ?
Cependant, pourquoi ne pas dévoiler aussi les autres salaires de la Fonction Publique ? Tout le monde saurait qu’un instituteur débutant perçoit environ 104 000 CFA par mois alors qu’un enseignant du secondaire débutant titulaire d’une Licence gagne 155 000 CFA.
Et pourtant, les enseignants du primaire et du secondaire sont en grève depuis la rentrée 2020-2021. Précisons cependant qu’ils ne se comparent pas à d’autres salariés pour leurs revendications. Eux aussi demandent que l’Etat honore l’accord signé avec eux et paie les primes promises. Pour rejeter ces revendications, on va peut-être révéler le montant de leurs rémunérations et les punir pour trop perçus en les ramenant aux 60 000 mensuels de certains Enseignants Volontaires !
Finalement, en raisonnant ainsi on en arrivera à aligner tout le monde sur les salaires les moins élevés, et même sur les revenus les plus bas, ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté, ceux des familles de paysans. C’est cela qui serait justice selon nos ministres?
Drôle de pays où ce qu’on appelle équité c’est le nivellement par le bas : traiter mal tout le monde serait mieux que faire un effort pour relever les salaires et les revenus des plus démunis.
A moins qu’on ne désire changer le système de rémunération de la Fonction Publique. Celuici est fondé sur le diplôme scolaire de base et la qualification professionnelle ; du coup, il y aura toujours une inégalité dans les salaires de base, selon le temps mis pour se former et le poste (donc les responsabilités) lié à ce niveau de formation.
Peut-être que les autorités actuelles voudraient introduire une révolution dans la rémunération des fonctionnaires ? Elles auront sans doute voulu initier cette révolution par la transparence à propos des revenus des enseignants du supérieur, peut-être pour s’occuper d’abord de ceux qui ont les salaires les plus élevés ?
Mais, charité bien ordonnée commençant par soi-même, comme le dit l’adage, ne faudraitil pas se pencher en premier lieu sur le cas des ministres. Et donc faire (enfin !) appliquer l’article 145 de la Constitution qui demande au Président de la République, au Premier Ministre et à tous à les membres du Gouvernement, au président et aux membres de l’Assemblée Nationale, entre autres personnes de l’administration centrale de notre pays, de faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat.
Le feront-ils ? Ou bien, ne tenant pas compte de l’article de la Loi Fondamentale, ils s’appliqueraient le principe de discrétion requis pour les salaires des travailleurs, principe qu’ils n’ont pas respecté pour les enseignants d’université. En effet, comme le fait remarquer M. GANAKOU ALI Pitaloumani, enseignant chercheur à la Faculté des Sciences de l’Homme et de la Société de l’Université de Lomé : « La communication publique des salaires des enseignants n’est pas précédée d’une consultation des enseignants eux-mêmes. C’est une décision unilatérale dans le but de réprimer les manifestations et faire pression sur la liberté de pensée, d’opinion et de contradiction. Par cette décision, le ministre et le président de l’université de Lomé espèrent museler le personnel enseignant et de pouvoir mettre fin à la revendication d’un droit déjà acquis. » Quelle scandaleuse stratégie ? Quand le zèle atteint un certain degré, il devient insupportable et insoutenable.
Les travailleurs togolais se laisseront-ils diviser par ces manœuvres ? Nous ne pensons pas car ils sont habitués aux stratégies tortueuses des autorités universitaires mandatées par un pouvoir qui essaie à tout moment de réprimer les libertés publiques comme la liberté de manifestation, et maintenant celle de réclamer le respect d’un droit acquis depuis plus de neuf années.
D’ailleurs comment, dans un pays où certains détournent des milliards, tandis que d’autres se font virer des centaines de millions sur leur compte en banque, on va réussir à livrer à la vindicte populaire une catégorie de travailleurs, des salariés qui ont des salaires moins élevés ? Les salaires des enseignants de l’université ne mettent pas en danger notre pays à qui, à travers les divers mécanismes de corruption, on a déjà volé des milliers de milliards de Francs CFA.
Les travailleurs togolais savent qu’encore une fois les autorités de ce pays violent la Constitution de notre pays qui dit dans son article 38 :
« Il est reconnu aux citoyens et aux collectivités territoriales le droit à une redistribution équitable des richesses nationales par l’Etat ».
En réalité, les lignes de l’injustice ne passent pas entre les travailleurs mais entre les citoyens et ceux qui sont au pouvoir en vue de se réserver la plus grande part des richesses nationales. Dans ce sens réclamer de meilleurs salaires est juste, que personne ne culpabilise aucun travailleur à cause de cela, et ne tente de tuer l’action syndicale, action citoyenne, en tentant d’effrayer ceux qui luttent par la menace de les punir pour avoir perçu trop d’argent.
Lomé, le 4 décembre 2020