Décision confidentielle adoptée par le Comité à sa 133ème session (Panama, 15-19 avril 2011)
Le Comité,
se référant à l’exposé du cas des anciens parlementaires susmentionnés, ayant prétendument démissionné de leur fonction de parlementaire, et à la décision qu’il a adoptée à sa 132ème session (janvier 2011),
tenant compte de la lettre du Président de l’Assemblée nationale datée du 11 avril 2011 et ayant entendu la délégation togolaise à la 124ème Assemblée de l’Union interparlementaire,
tenant compte également des informations fournies par les sources le 4 avril 2011,
considérant les informations suivantes qui replacent le cas dans son contexte :
– l’Union des forces du changement (UFC) a désigné M. Jean-Pierre Favre comme candidat du parti aux élections présidentielles de mars 2010 en remplacement de son président, M. Gilchrist Olympio; au lendemain de ces élections dont M. Faure Gnassingbé est sorti vainqueur, M. Gilchrist Olympio a annoncé au Bureau national du parti, le 28 mai 2010, avoir obtenu sept portefeuilles ministériels pour le compte de l’UFC dans le nouveau gouvernement de M. Faure Gnassingbé; cette démarche qualifiée de « solitaire et unilatérale » a valu à M. Gilchrist Olympio d’être exclu du parti lors d’un congrès; répliquant à cette exclusion, M. Gilchrist Olympio a à son tour tenu un congrès au terme duquel a été adoptée une « motion spéciale d’exclusion » de MM. Jean-Pierre Fabre, Patrick Lawson et Eric Dupuy, ainsi que de Mmes Isabelle Manavi Améganvi et Mana Sokpoli; de ces deux décisions d’exclusion seule celle de M. Gilchrist Olympio a été entérinée par le Ministère de l’administration territoriale;
– prenant acte de cette décision du Ministère, plusieurs militants de l’UFC, dont 20 députés sur les 27 que comptait le parti à l’Assemblée, ont créé l’Alliance nationale pour le changement (ANC), démissionnant ainsi de l’UFC le 5 octobre 2010; le 25 octobre 2010 une lettre d’information sur la création d’un nouveau groupe parlementaire ANC et un acte collectif de démission du groupe parlementaire UFC a été adressé au Bureau de l’Assemblée nationale; le Président de l’Assemblée a opposé une fin de non-recevoir à la constitution d’un groupe parlementaire ANC, estimant qu’un parti « extraparlementaire ne peut créer un groupe parlementaire »; selon les autorités parlementaires, une analyse combinée des dispositions du Règlement intérieur (article 26) et du Code électoral (articles 191 et 192) permet de conclure que la liberté de créer des groupes parlementaires ne vaut que pour les partis qui ont participé à des élections législatives et qui sont représentés à l’Assemblée nationale; de plus, la liberté de créer des groupes parlementaires est assujettie à la condition que la Cour constitutionnelle dispose d’une liste pour procéder au remplacement des députés dans l’éventualité de vacances, ce qui ne peut pas être le cas pour un parti qui n’a pas participé aux élections;
– suite à l’annonce de la création du groupe parlementaire ANC, le Bureau directeur de l’UFC a rendu publique le 8 novembre 2010 « une déclaration dans laquelle il rappelle que le 30 août 2007, des candidats de l’UFC, aujourd’hui députés à l’Assemblée nationale, ont pris l’engagement de démissionner de leur mandat s’ils venaient à quitter l’UFC »; les candidats de l’UFC à l’élection avaient été « fortement invités individuellement » à signer trois documents, à savoir deux actes intitulés « Contrat de confiance de l’UFC » et une lettre de démission adressée au Président de l’Assemblée nationale, le tout ayant pour but d’empêcher le transfert des élus de l’UFC vers le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT); ces documents d’engagement ont été remis au Président de l’UFC, M. Gilchrist Olympio,
notant que l’article 6 du Règlement intérieur concernant la démission des députés stipule que « Tout député régulièrement élu peut se démettre de ses fonctions. Les démissions sont adressées au président qui en donne connaissance à l’Assemblée nationale dans la plus prochaine séance et les notifie à la Cour constitutionnelle »; que l’article 7 dispose que le Président de l’Assemblée nationale « notifie à la Cour constitutionnelle le nom du député dont le siège est devenu vacant et demande à celle-ci communication du nom de la personne habilitée à le remplacer conformément à l’article 192 du Code électoral »; notant aussi que les lettres de démission en question sont dactylographiées, avec le nom de chaque député concerné ajouté en lettres manuscrites, signées, mais non datées et se lisent comme suit : « Je vous informe qu’à compter de ce jour, et pour des raisons de convenance politique, je démissionne de mes fonctions de député à l’Assemblée nationale… »,
considérant les éléments d’information fournis par les sources au sujet de la procédure devant l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle :
– le nouveau président du groupe parlementaire UFC, M. Kokou Aholu, remet le 10 novembre 2010 les lettres de démission des députés en question au Bureau de l’Assemblée nationale; par lettre du 11 novembre 2010, le Président de l’Assemblée nationale transmet ces lettres à la Cour constitutionnelle « afin de statuer sur ce cas »;
– par lettre du 17 novembre 2010, le Président de la Cour constitutionnelle informe le Président de l’Assemblée nationale de vices de forme et de procédure, notamment l’absence de date sur les lettres et le non-respect de l’article 6 du Règlement intérieur de l’Assemblée; le 17 novembre, les 20 députés de l’ANC informent la Cour constitutionnelle qu’ils ne démissionnent pas de l’Assemblée nationale;
– le 18 novembre 2010, le Président de l’Assemblée nationale annonce à la plénière neuf démissions; interrogé par un député sur le contenu, la date et les signataires de ces lettres, le Président refuse de donner les noms des signataires, précisant que ces lettres n’ont pas de date; sur l’insistance d’autres députés, il donne le nom de M. Tchagnaou Ouro-Akpo, qui proteste avec véhémence, affirmant qu’il n’a jamais démissionné; face à sa colère, le Président lève la séance;
– le 18 novembre, les députés de l’ANC adressent au Président de l’Assemblée nationale des lettres avec copie à la Cour constitutionnelle, affirmant qu’ils ne sont pas démissionnaires;
– le 22 novembre 2010, la Cour constitutionnelle déclare, à la demande du Président de l’Assemblée nationale, avoir constaté la vacance des sièges occupés par les neuf députés en question et procède à leur remplacement conformément à la Constitution;
– le 29 novembre 2010, les députés ANC assignent MM. Olympio et Aholou en référé au tribunal de Lomé afin qu’ils restituent les « lettres de démission » signées en blanc encore en leur possession; le juge est informé par le conseil de M. Olympio que toutes ces lettres ont été remises au Président de l’Assemblée nationale;
– les sources affirment que le Président de l’Assemblée nationale n’a pas respecté l’article 6 du Règlement intérieur et que la procédure devant la Cour constitutionnelle est également viciée parce que la Cour n’a pas désigné de rapporteur, a fixé sa saisine non au 11 novembre 2010, date à laquelle elle a reçu la première demande du Président de statuer sur ce cas, mais au 18 novembre 2010, date de la deuxième demande, et que sa décision est signée par huit seulement des neufs juges qui ont délibéré sur cette affaire,
considérant les informations suivantes communiquées par les autorités parlementaires à ce sujet :
– à la réception des lettres de démission, le 11 novembre 2010, le Président de l’Assemblée nationale a convoqué une séance plénière comme prévu par l’article 6 du Règlement intérieur; toutefois, certains députés de l’UFC avaient monté des groupes de jeunes pour troubler la sérénité des délibérations lorsque le point des démissions serait abordé; tout était préparé pour empêcher que la phase parlementaire de démission se poursuive normalement et aboutisse à la Cour constitutionnelle;
– les dispositions de l’article 6 du Règlement intérieur ont été observées lors de la séance plénière du 18 novembre 2010; le Président avait précisé que les lettres ne portaient pas de date mais que les noms et signatures existaient, écrits ou apposés à l’encre bleue; toutefois, le comportement de M. Tchagnaou Ouro-Akpo visait clairement à empêcher la poursuite de la phase parlementaire de démission et entrait dans la stratégie d’obstruction; le Président de l’Assemblée ne pouvait pas continuer à citer les noms des autres députés et la séance a donc été levée;
– la validité des lettres de démission ne peut pas être contestée car en droit « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » et que, par ailleurs, le Président de l’Assemblée nationale n’a pas à vérifier l’authenticité d’une lettre de démission dès lors qu’elle comporte les coordonnées et la signature de l’intéressé; le véritable problème qui devrait être posé est celui de l’authenticité desdites lettres;
– après avoir reçu la lettre du Président de la Cour constitutionnelle attirant son attention sur certains vices de procédure, l’Assemblée nationale a procédé le 18 novembre 2010 à la mise en oeuvre de l’article 6 du Règlement intérieur et c’est en raison du comportement du député Tchagnaou Ouro-Akpo lors de la lecture de sa démission que la séance a dû être levée;
– le fait que seuls huit des neufs juges ayant délibéré dans cette affaire ont apposé leur signature à la décision de la Cour constitutionnelle n’est nullement une violation du Règlement de la Cour car le quorum pour siéger et délibérer est de six membres; de plus, le neuvième membre n’ayant pas signé avait un intérêt direct, étant le beau-père de M. Jean-Pierre Fabre; par ailleurs, la Cour n’avait pas à statuer sur un différend entre des parties, mais a été appelée, par lettre du Président de l’Assemblée nationale, à procéder au remplacement des députés démissionnaires,
considérant que, lors de l’entretien avec la délégation, le Président de la Commission des lois a indiqué que la signature en blanc de lettres de démission était une condition sine qua non pour être candidat sur la liste de n’importe quel parti politique, y compris le RPT car il fallait éviter le transfert, ce qu’assuraient précisément des « lettres de fidélité »,
notant que, dans la lettre qu’il a adressée au Président de l’Assemblée nationale le 17 novembre, le Président de la Cour constitutionnelle précise, entre autres, que la Cour souhaiterait s’assurer du respect de l’article 6 du Règlement intérieur, « surtout que les lettres de démission sont des lettres types saisies et les noms écrits au stylo » et que « l’ensemble ne comporte pas de date » et que par ailleurs que « la démission d’un député est personnellement adressée au Président de l’Assemblée nationale et non au Président du groupe parlementaire qui la transmet au Président de l’Assemblée nationale… », et prie le Président de l’Assemblée nationale de corriger ces irrégularités de forme,
considérant que, selon une information datant d’avril 2011, tous les jeudis et vendredis depuis environ un mois, la police et la gendarmerie encercleraient le domicile de M. Jean-Pierre Fabre et l’empêcheraient de sortir et que, quand il force les dispositifs, une pluie de grenades lacrymogènes s’abattrait sur lui; que le Président de l’Assemblée nationale a indiqué ne pas être informé de cette affaire,
sachant enfin que la Constitution de la République du Togo stipule en son article 52 que « chaque député est le représentant de la Nation tout entière. Tout mandat impératif est nul » et qu’aux termes de son article 50, « les droits et devoirs énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux de droits de l’homme ratifiés par le Togo font partie intégrante de la présente Constitution »,
1. remercie le Président de l’Assemblée nationale de sa coopération et des informations complètes qu’il a fournies; remercie également la délégation de sa coopération, ainsi que du complément d’information et des observations dont elle lui a fait part;
2. note les faits suivants comme avérés :
i) exiger des candidats à une élection la signature de lettres de démission en blanc est une pratique de tous les partis politiques au Togo;
ii) les lettres de démission des députés concernés n’ont pas été remises par eux-mêmes au Président de l’Assemblée nationale, mais par le Président du groupe parlementaire du parti politique dont ils avaient démissionné;
iii) lors de la séance plénière du 18 novembre, le premier député dont le nom a été donné comme étant démissionnaire a vivement protesté et tous les autres députés concernés, mais dont les noms n’avaient pas été lus, ont adressé individuellement des lettres au Président de l’Assemblée précisant qu’ils n’avaient signé aucun acte de démission de leur fonction de député;
iv) ces lettres ont été également portées à l’attention des juges de la Cour constitutionnelle, laquelle, dans un premier temps, a relevé des vices de forme;
3. observe qu’il est incontestable que les autorités parlementaires, ainsi que la Cour constitutionnelle, connaissaient la nature des lettres de démission en question et savaient que les personnes en question n’avaient nullement l’intention de démissionner de leur fonction de député;
4. observe aussi que la Cour constitutionnelle, alors que, dans un premier temps, elle a relevé des irrégularités de procédure et demandé leur correction, ne s’en est plus préoccupée dans sa décision du 22 novembre 2010 alors que certaines de ces irrégularités, notamment l’absence de dates et le fait que ces lettres n’avaient pas été remises par les personnes concernées au Président de l’Assemblée, n’avaient pas été corrigées;
5. affirme qu’un acte de démission d’un parlementaire de son mandat est un acte sérieux et que, par conséquent, tout doit être mis en oeuvre pour s’assurer que cet acte est authentique et volontaire; que pour cela, toute lettre de démission devrait être rédigée par le ou la député(e) qui souhaite démissionner pendant son mandat, datée et signée par lui ou elle et remise personnellement au Président de l’Assemblée nationale; qu’il devrait être donné lecture de cet acte, qui concerne aussi le Parlement en tant qu’institution, en plénière;
6. constate que ces exigences n’ont pas été respectées, que notamment les lettres de démission en question ne peuvent pas être considérées comme légalement valables et que, par conséquent, il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une démission volontaire mais de la révocation d’un mandat parlementaire;
7. invite les autorités à réfléchir à la façon dont peut être réparé le tort causé aux députés qui ont ainsi perdu leur mandat; invite aussi le Président de l’Assemblée nationale, ou toute autre autorité ou personne actuellement en possession des lettres de démission signées en blanc par les 11 députés ANC non exclus du Parlement, à les leur restituer dans les meilleurs délais;
8. considère, de manière générale, que la pratique des partis politiques de faire signer des lettres de démission en blanc peut introduire subrepticement le mandat impératif, interdit par la Constitution car étant liberticide; invite les responsables des partis politiques à bannir cette pratique peu démocratique et à réfléchir à d’autres façons d’éviter la « transhumance politique »; prie le Secrétaire général de leur transmettre dès que possible, ainsi qu’aux autorités parlementaires, l’étude que l’UIP a commandée à ce sujet;
9. prie enfin les autorités parlementaires à veiller à ce que M. Jean-Pierre Fabre ne fasse pas l’objet de représailles ou d’autres actes arbitraires et qu’il puisse exercer pleinement les droits fondamentaux qui lui sont garantis par la Constitution;
10. prie le Secrétaire général de transmettre la présente décision aux autorités togolaises;
11. décide de poursuivre l’examen de ce cas à sa prochaine session (juillet 2011).
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